Un nouveau visage pour le port de Montréal à l’aube du XXe siècle
Les changements les plus importants qui surviennent à Montréal dans le domaine du transport au début du XXe siècle concernent les installations portuaires. Celles-ci sont désuètes et tout à fait insuffisantes. La Commission du havre a pourtant proposé, dès 1877, un plan d’aménagement. Après de nombreuses tergiversations, celui-ci est accepté en 1891, mais très peu d’éléments ont été réalisés avant 1896.
Les principaux problèmes qui se posent sont l’insuffisance de l’espace d’accostage, compte tenu de l’accroissement du trafic, et le fait que la plupart des quais sont à bas niveau, donc susceptibles d’être recouverts d’eau au moment des inondations, ce qui rend impossible la mise en place d’installations permanentes pour le stockage des marchandises ou la manutention des grains. Entre 1896 et 1914, la Commission s’emploie activement à moderniser le port et transforme substantiellement ses installations.
Il faut d’abord régler de façon définitive le vieux problème des inondations qui frappent périodiquement les parties basses de la ville. Le 12 septembre 1899, les commissaires du havre et la municipalité signent un contrat pour la construction d’un mur, d’une épaisseur d’un à deux mètres et d’une longueur de 1561 mètres, qui dépasse de 56 centimètres le niveau le plus élevé jamais atteint par une inondation, soit celui de 1896.
Les travaux les plus considérables entreprise dans le port touchent les quais, qu’il fait entièrement refaire et surélever. On s’attaque d’abord au vieux port, en y érigeant successivement les quais Jacques-Cartier (1898-1899), Alexandra (1899-1901) et King Edward (1901-1902), puis en reconstruisant le quai Victoria en 1910. Mais pour répondre à la demande, il faut étendre de plus en plus loin vers l’est le réseau de quais. Le courant Sainte-Marie entre l’île Ronde et la rive du quartier Sainte-Marie, pose toutefois une limite physique au type d’installations pouvant être érigées à cet endroit. Plus à l’est, cependant, les conditions s’améliorent et on dispose, jusqu’au bout de l’île, d’un rivage d’une longueur considérable qui n’est guère encore aménagé au début du XXe siècle.
L’utilisation de ce potentiel se heurte toutefois au désavantage de l’éloignement du centre-ville et de l’établissement des opérations sur de grandes distances. La construction des quais dans cette partie de la ville est finalement liée à l’industrialisation graduelle de l’est de Montréal : d’abord à Hochelaga, puis à Maisonneuve et à Longue-Pointe et, plus tard, à Montréal-Est et à Pointe-aux-Trembles.
Au début, cette question de l’expansion vers l’est soulève de vives controverses dans les milieux d’affaires montréalais. Depuis des années 1880, les hommes d’affaires canadiens-français réclament qu’une partie des aménagements du port soit réalisée à la hauteur d’Hochelaga. Ils y ont in intérêt immédiat, puisque leurs propriétés et leurs entreprises ne peuvent que profiter d’un développement dans ce secteur. Les anglophones, quant à eux, n’y sont guère intéressés; ils ont leurs assises économiques dans le centre et l’ouest de la ville et militent plutôt en faveur d’une amélioration des installations de la partie centrale du port.
Le débat est relancé à partir de 1896, quand le nouveau ministre fédéral des Travaux publics, Israël Tarte, insiste pour qu’une part des sommes accordées par le gouvernement fédéral à la commission du havre soit consacrée aux travaux dans la partie est. Il y voit une mesure de justice pour les francophones. Il a l’appui de la Chambre de commerce mais non celui du Board of Trade, qui estime que le développement de l’est n’est pas urgent et qui s’oppose à ce que le ministre se substitue aux commissaires pour le choix des travaux à accomplir. Pour parvenir à ses fins, Tarte choisit de faire construire par son ministère, au pied de la rue Pie IX, un important quai qui portera son nom. Cette querelle s’estompera rapidement au début du XXe siècle, car l’industrialisation de l’est et l’augmentation appréciable du trafic dans le port, qu’on ne pouvait pas encore prévoir quelques années plus tôt, exigeront l’extension des installations et mettront fin à l’opposition des milieux d’affaires anglophones.
La réfection et l’Élévation des quais permettent d’entrevoir une solution permanente aux problèmes d’entreposage des marchandises et de manutention des grains. Au début du siècle, le port est encore très mal équipé à cet égard. Les armateurs doivent installer sur les quais, chaque printemps, des hangars temporaires en bois qu’il faut démonter l’automne venu. Avec les quais à haut niveau, la Commission peut faire construire des hangars permanents en acier et en béton : elle en fait ériger 21 entre 1904 et 1914.
En 1903-1904, elle fait en outre construire un premier élévateur à grains, d’une capacité d’un million de boisseaux. Pour en faciliter l’utilisation par les navires, on ajoute un système de transbordeurs, formé de galeries suspendues reliant l’élévateur à différents points d’amarrage sur les quais, et à l’intérieur desquelles circulent des courroies sans fin. Mais la croissance du trafic céréalier est telle qu’il faut, dès 1910, mettre en chantier un deuxième élévateur, terminé en 1912; d’abord conçus pour un million de boisseaux, ses plans doivent être révisés à deux reprises en cours de construction pour en porter la capacité à 2,5 millions de boisseaux. En 1913, on agrandit l’élévateur #1 afin d’augmenter, là aussi, sa capacité à 2,5 millions de boisseaux et, dès l’année suivante, les commissaires doivent faire préparer les plans d’un nouvel agrandissement. S’ajoute à cela un élévateur construit par le Grand Tronc, en 1906.
Ainsi, en quelques années, le port de Montréal se dote d’importantes installations pour la manutention des grains, qui doivent être construites à un rythme trépidant, à cause de la forte pression créée par l’augmentation de la production dans l’Ouest.
Pour compléter la modernisation du port, on réaménage les voies ferrées qui le sillonnent et dont la longueur totale atteint 64 kilomètres en 1914. En outre, une société privée à capitaux britanniques, Canadian Vickers, met en chantier, en bordure de Maisonneuve, des installations de construction et de réparation de navires, inaugurées en 1912, et qui comprennent une cale sèche flottante.
L’expansion portuaire s’accompagne d’une augmentation substantielle du trafic. Entre 1896 et 1914, le nombre de navires accostant dans le port passe de 5 541 à 13 141 et le tonnage global fait un bond de 2 220 585 à 9 044 457 tonnes. La valeur des exportations est en hausse marquée, de 49 à 119 millions de dollars. Les céréales de l’Ouest y prennent une part accrue et, à la fin de la période, représentant environ le cinquième de tout le fret manipulé dans le port. Les importations s’accroissent également, passant de 46 à 141 millions de dollars.
À la veille de la Première Guerre mondiale, le port de Montréal a donc atteint une stature nouvelle. Sa position à la tête des grands ports canadiens s’est consolidée, ses installations et son trafic se comparent avec ceux des principaux ports nord-américains de la côte atlantique.
(Histoire de Montréal depuis la Confédération de Paul-André Linteau, 1992, Les Éditions du Boréal).
Voir aussi :
- Histoire du Vieux Port de Montréal
- Ligne du temps, le Québec en 1891
- Le premier siècle du port de Montréal
- Société québécoise, ligne du temps
