Le port de Montréal

Le port de Montréal

par Paul Leclerc

À l’instar des racines de nos ormes et de nos érables, qui, des profondeurs obscures de la glèbe nourricière, leur dispensent vigueur, élégance et beauté, le port de Montréal poursuit son œuvre dans la méconnaissance de la Ville qui lui doit sa qualité métropolitaine tout comme Ville-Marie fut redevable de sa naissance à l’existence virtuelle de ce même port.

Encore qu’on tienne généralement pour acquis la génération du port par la ville, de l’importance de celui-là par celle de cette dernière, la vérité n’en réside pas moins dans l’inverse de ces attributions.

En effet, le débarquement à Ose-ra-ké, imposé par les conditions topographiques locales en 1535, en 1541, et, par la suite, à Champlain, au fondateur de Ville-Marie ainsi qu’à ceux qui vinrent après eux, fut une reconnaissance constitutive de la qualité du port à cet endroit, lieu où, dans l’acception étymologique de ces mots, débarquent et embarquent les voyageurs. Cette reconnaissance originelle fut aussi le principe de la fondation subséquente de Ville-Marie, l’établissement et les développements ultérieurs de ce port maritime, plus proche des centres producteurs et consommateurs continentaux que ne l’étaient Québec, Trois-Rivières et Sorel ; de plus, sa situation au pied de la première unité de rapides, achoppement naturel, jadis estimé insurmontable, à un établissement plus rapproché de ces mêmes centres, fut cause de son évolution en municipalité (deux ans après l’institution de la Commission du Port, ne l’oublions pas), puis de son élévation à la dignité métropolitaine sur un rythme qu’ignoraient et que ne connaîtront jamais les trois villes précitées, ni St-Hyacinthe, St-Jérôme, Sherbrooke et tous les autres centres d’agglomération québécois.

Faire connaître cette œuvre cardinale, au moins dans ses grandes lignes, est le but de cet exposé d’une brièveté imposée par la limitation textuelle prescrite. Eu égard à celle-ci, les événements survenus durant les trois siècles qui précédèrent l’émancipation du port en 1830, d’intérêt civique autant que portuaire du reste, seront ici passés sous silence.

Notons, toutefois, ne serait-ce que dans le but de souligner les progrès étonnants advenus dans le domaine des transports en l’espace d’un siècle et quart, avec lesquels, néanmoins, l’outillage du port ne manque jamais d’aller de pair, l’Accomodation, qui quitta Montréal à quatorze heures le mercredi 3 novembre 1815, ne jeta l’ancre devant Québec qu’à la vingtième heure du samedi suivant. La durée de ce voyage fut presque cinq fois et demie supérieure à celle du vol transatlantique, d’une pratique courante aujourd’hui.

Ne connaissant que l’eau douce qui baigne ses quais, au pied desquels la cote d’étiage est d’une vingtaine de pieds plus élevée que celle moyenne des marées, le port de Montréal est dans une absolue dépendance du fleuve. Comme Aigues-Mortes, il n’aurait pu subsister, partant progresser, sans les améliorations périodiques apportées dans le fleuve pour fins de navigation, lesquelles effectuées dans les avant-ports de notre établissement portuaire pour ainsi dire, empruntent le caractère de développements portuaires proprement dits, leur principe essentiel du reste, que cette chronique se doit de mentionner en quelques lignes.

Quinze ans avant la nomination des Commissaires, le Canal Lachine offrait déjà à la navigation fluviale ses cinq pieds de tirant d’eau, porté depuis à quatorze pieds. Ce n’est, cependant, qu’en 1851 que fut définitivement entrepris le creusage du chenal dont une ébauche avait préalablement été tentée. Une telle diligence fut apportée à cette tâche par les Commissaires que, neuf ans plus tard, lorsqu’en 1860 le gouvernement fédéral prît ce travail à sa charge, la profondeur du fleuve dans les sinuosités du chenal avait été portée à 18 pieds, de 10, 5 pieds qu’elle était à l’état originel. Elle est maintenant de 32,5 pieds bien qu’elle atteigne 35 pieds dans la plus grande partie de son parcours.

Les premiers Commissaires furent Messieurs George Moffat, Jules Quesnel et le capitaine R. S. Piper des Ingénieurs royaux.

Sur un plan de l’époque, établi d’après un relevé effectué en 1825 par un certain John Adams, on peut constater l’état quasi embryonnaire dans lequel ces messieurs trouvèrent le port lors de leur entrée en fonctions. À l’exception, à l’entrée du canal Lachine, d’un quai de quelques centaines de pieds au bas de la rue du Port, d’un second, d’une centaine de pieds également, au pied de la rue Victor et le mur de soutènement en bordure de la rue de la Commune et dans lequel étaient aménagées quelques rampes jumelées donnant accès aux rives du fleuve, celles-ci étaient encore à l’état naturel. Quand on compare ce plan de 1825 au plan actuel on est frappé du développement des quais, jetées ou quais de rive, exécutés dans la partie supérieure du port par les différentes commissions qui se succédèrent pendant un siècle jusqu’à la centralisation en 1936 des régies portuaires.

Tous ces quais sont munis d’un outillage très varié : grands hangars de fer et de béton dont l’accès aux étages supérieurs est assuré aux camions par des ascenseurs de grand modèle ; colossaux élévateurs à grains outillés pour le déchargement mécanique des bateaux, où les céréales sont entreposées pour être livrées à grandes distances dans les cales océaniques; voies ferroviaires sur lesquelles circulent des locomotives et des grues automotrices, propriétés du port ; chaussées, aqueducs, égouts et éclairage à l’électricité.

Le port est, en outre, nanti d’un outillage marin, comportant remorqueurs, dragues, puissants appareils de levage, chalands, et le reste. Mais, nonobstant l’admiration que peuvent susciter les imposantes masses des élévateurs, les structures les plus étonnantes sont, sans contredit, les murs de quais, d’une hauteur de plus de 60 pieds et d’un développement de plusieurs milles de longueur.

La construction de ces quais, commencée en 1865 dans le bassin du Moulin-à-Vent, en 1899 en ce qui concerne les quatre jetées ainsi que les quais de rive qui les relient entre eux et à l’entrée du Canal Lachine, fut terminée en 1903. La profondeur des accostages variait entre 25 et 30 pieds cependant que leurs crêtes étaient portées à 14 pieds environ au-dessus de la cote d’étiage, rehaussées, depuis, à 24 pieds.

Les quais originels, à l’exception de ceux du bassin de la Pointe du Moulin-à-Vent, ont été depuis métamorphosés, allongés, élargis et, récemment le quai de la pointe du Moulin-à-Vent, les jetées Edouard et Alexandra dotés d’un revêtement de béton fer permettant l’approfondissement des accostages à 30 pieds au premier et à 35 pieds aux deux autres. John Young, surnommé « père du port » et dont un bronze sur la place Royale a pour mission de commémorer l’infatigable civisme, occupa le fauteuil présidentiel de la commission pendant un quart de siècle, de 1853 à 1878. C’est sous son règne, en 1853, que fut établi un service postal régulier entre Montréal et Liverpool ; puis, en 1856, un service semi-mensuel de voyageurs entre ces deux mêmes villes, service devenu hebdomadaire en 1858. La raison sociale chargée de ce service – Edmonston, Allan & Co. – fut convertie en 1860 en la H. & A. Allan & Co. et celle-ci amalgamée en 1916 à la Canadian Pacific Océan Service). En 1855, durant la guerre de Crimée, le premier navire de guerre français à visiter le Canada depuis la reddition, mouilla dans le port ; en 1859, fut inauguré le pont tubulaire Victoria par le prince de Galles, Edouard; en 1871 débuta le service ferroviaire du port ; l’année suivante, la rue St-Pierre fut ouverte jusqu’à ce dernier ; enfin, un plan d’ensemble de développements et d’améliorations portuaires fut établi, auquel contribua l’ingénieur John Kennedy entré au service technique en 1875 ; ce plan comportait, entre autres projets importants, le môle de protection contre les inondations, jadis connu sous le sobriquet de « l’île aux Millions », appelé maintenant jetée MacKay, mis en exécution en 1892 et terminé en 1899.

John Young ne fut pas témoin de la singulière tentative d’un service ferroviaire entre Montréal et St-Lambert établi sur la face congelée du fleuve durant les hivers de 1880 à 1882, ni du début de l’éclairage à l’électricité du port, en cette dernière année.

L’inondation, la plus considérable que le port ait jamais subie, au printemps de 1886 alerta les citoyens au point qu’ils exigèrent l’établissement d’une estacade en bois en bordure des rues de la Commune et des Commissaires, remplacée en 1901 par le mur de revêtement en pierre qui existe de nos jours.

L’année suivante disparut, englobée dans les jetées Alexandra et Edouard, alors en mal aigu de croissance dans les trois dimensions, la petite île « Normand », laquelle reliée par un môle en 1833 à la rue de la Commune (maintenant des Commissaires) fut, de ce chef, le quai le plus important du port durant de longues années.

Les derniers rivets de la série des quatorze premiers hangars métalliques furent étêtés en 1908 tandis que se terminait à Hochelaga un quai de rive d’une longueur de 575 pieds, aujourd’hui utilisé par la Dominion Coal Company.

En 1909, centenaire du début de la navigation à vapeur au Canada, la longueur du territoire portuaire fut portée à 16 milles, depuis une ligne menée parallèlement au pont Victoria à 3,760 pieds en amont de ce dernier, jusqu’au confluent de la rivière des Prairies et du fleuve, cependant que les délimitations riveraines originelles furent maintenues dans le prolongement. Elles consistent en l’intersection avec les cotes du plan de surface des eaux hautes à une date statutairement déterminée.

Il s’ensuit donc, et cela a une importance considérable dans le jugement de l’œuvre accomplie par les Commissaires, que le territoire portuaire est entièrement artificiel, et résulte d’un empiétement sur le fleuve, réalisé par des remplissages derrière les murs de quais provenant de travaux de dragage, d’excavations urbaines et d’autres sources.

Cette même année 1909 vit l’établissement du gros œuvre de l’élévateur à grains dont le bétonnage dresse, depuis 1912, sa masse imposante en face du Marché Bonsecours, et le terme de l’approfondissement du chenal à 30 pieds, d’ores et déjà reconnu insuffisant puisque celui à 35 pieds fut aussitôt entrepris.

Les années 1912 et 1913 marquèrent l’une, l’inauguration du Dock Vickers, l’autre, la création d’un corps de police portuaire. C’est vers cette époque que les développements en aval du quai Victoria s’intensifièrent depuis cette jetée inclusivement jusqu’à la limite inférieure de la Municipalité de Montréal-Est, où se trouvent plusieurs huileries importantes. La jonction récemment réalisée de ces dernières avec les quais de Portland par un pipe-line met en disponibilité certains des nombreux quais érigés dans ce district en 1916 et les années suivantes, à la demande des raffineries d’huiles.

La période 1914-1923 se distingue par une recrudescence d’entreprises de grande envergure; la contenance de l’élévateur en face de la Place Royale fut portée de 1,000,000 à 4,000,000 de Boisseaux ; celle de l’élévateur au quai du Moulin-à-Vent, acheté au Canadian National Railways, fut portée de 1,000,000 à 3,500,000 boisseaux ; on construisit un quatrième élévateur à Maisonneuve, d’une contenance de 5,000,000 de boisseaux, un entrepôt frigorifique à la rue Beaudry, trois grands hangars à la jetée Victoria et, à l’extrémité de cette dernière, qu’elle masque, une tour monumentale érigée dans le but de commémorer le sacrifice des marins de la Marine Marchande, morts pour la patrie durant la guerre de 1914.

Coïncidence bizarre, cette tour fut terminée en 1919, année qui vit naître l’éphémère « Canadian Government Merchant Marine ». Le premier navire d’une jauge atteignant 20,000 tonneaux qui remonta le St-Laurent, s’amarra à Montréal en 1928, et en 1933 on vit amerrir la flottille italienne de 24 hydroplanes, commandée par le général Balbo.

Le pont Jacques-Cartier, entreprise semi portuaire, jetée en travers du fleuve, fut officiellement ouvert à la circulation en 1930. Au centenaire de la Commission du Havre de Montréal en 1934, il fut baptisé du nom sous lequel il est aujourd’hui connu.

En 1936, quatre siècles après la première venue de Cartier au port, celui-ci perdit la maîtrise de son destin et entra dans l’anonymat du « Conseil des Ports Nationaux ».

Paul Leclerc.
Ingénieur-en-chef du Port de Montréal
Mai 1942.

À compléter la lecture :

vieux nouveau port
Vue sur le nouveau port de Montréal. Photo : © GrandQuebec.com.

 

vieux port
Vue sur le vieux port. Photo : © GrandQuebec.com.

 

goelettes dans le port de montréal
Goélettes dans le vieux port de Montréal. Image : © Megan Jorgensen.

Voir aussi :

Niveau de l’eau du bassin du port par rapport au niveau de l’eau de la mer : hauteur 51,1 mètres (167,6 pieds) au-dessus du niveau de la mer. Image : © Megan Jorgensen.

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