Montréal en crise

Montréal en crise

Par Diane Sylvestre, L’Interdit, mars-avril 1977, #256)

Depuis vingt ans Montréal a changé à un rythme alarmant. Les plus belles artères de la ville ont disparu sous le pic des démolisseurs: bon nombre de maisons résidentielles ont fait place à des édifices hideux. Des quartiers entiers ont été charcutés par des autoroutes.

Le centre-ville, envahi par l’automobile, se vide peu à peu et meurt doucement. Montréal s’émancipe et se déshumanise.

Vous souvenez-vous vers les années 1955 de l’élargissement du boulevard Dorchester? Puis du projet de la Place Ville-Marie qui mit en branle tout ce mouvement de développement du centre-ville? Au nom du progrès et de l’expansion économique on vit surgir durant les années qui suivirent des agglomérations de gratte-ciels aux quatre coins de la ville. La rue Sherbrooke, considérée comme la plus belle artère résidentielle au Québec et au Canada, devint un vaste chantier.

Les avenues McGregor et des Pins furent amputées de leurs plus somptueuses demeures. Même les petites rues transversales perdirent peu à peu leur caractère propre. La maison Van Horne fut rasée, les résidences Du Tremblay, Ogilvy, etc. déjà oubliées, l’église St-Jacques ridiculisée.

Comment mettre fin à cette dilapidation de notre patrimoine culturel? Pour Jean-Claude Marsan, directeur de la faculté d’Architecture de l’Université de Montréal et auteur du livre « Montréal en évolution », un plan d’aménagement stopperait ce saccage sans nécessairement mettre un terme aux activités des promoteurs qu’on inviterait à garnir les 11 à 13 millions de pieds carrés de terrains vacants qu’il y a à l’heure actuelle dans le centre de Montréal.

Ainsi il existe entre le boulevard Dorchester et le fleuve une quantité incroyable de terrains inoccupés que l’on pourrait utiliser à des fins commerciales sans pour cela avoir à démolir des habitations encore décentes.

La crise du logement

Mais l’application de cette solution n’est pas pour demain. Les démolitions se poursuivent encore de façon anarchique et la crise du logement va s’accroissant. Ainsi pour tous ces grands projets qu’on a mis sur pied à Montréal, on a démoli prés de 20% des logements du centre-ville.

Une étude des services d’urbanisme de la ville montre que 16,885 logements (dont 41.6% se trouvent au centre de la ville) ont été rasés entre 1960 et 1969.

Depuis 1970 on a démoli annuellement 2,200 à 2,300 logements. En 1974 plus de 2,400 logements ont été rasés; près de la moitié de ces logements étaient situés au centre-ville. Le stock des logements à prix modique a donc considérablement diminué, créant cette crise du logement que nous connaissons présentement.

Une des principales causes de ces démolitions peut être attribuée à des projets publics de réaménagement urbain. On impute à de vastes projets routiers la destruction de plus de 40% des logements jugés encore tout à fait convenables et habitables par des familles nombreuses. Les autoroutes Décarie, Bonaventure et Ville-Marie (est-ouest) ont, à elles seules, engendré la disparition de 1,800 logements. Le projet est-ouest notamment a été le plus coûteux dans ce domaine, fauchant sur son passage les quartiers St-Henri, Westmount et le sud-ouest de la métropole et dispersant des milliers de foyers.

L’automobile a donc envahi ces quartiers, engendrant la pollution de l’air et la pollution sonore. Il est, en effet, important de savoir que 60% de la pollution totale de l’air est constitué par les gaz d’échappement et qu’une autoroute comme la voie est-ouest, située en plein cœur d’une ville, devient un élément polluant extrêmement dangereux pour ses habitants.
« Mais si Montréal avait eu une politique favorisant le transport en commun, dit Jean- Claude Marsan, l’autoroute est-ouest n’aurait jamais été construite. »

Où sont les responsables?

Qui sont donc les responsables d’une telle situation? Les gouvernements provinciaux qui bénissent d’une main les spéculateurs et offrent de l’autre des autoroutes ou des cataplasmes? Les autorités municipales qui ne proposent aucun plan d’aménagement et de réglementation de zonage? Les Montréalais qui réagissent peu ou tardivement devant cette détérioration de leur ville?

« Surtout il ne faut pas entretenir d’illusions. Pour la première fois de son histoire, Montréal se trouve à un tournant critique », conclut Marsan. « Nous avons hérité d’une des villes les plus remarquable de L’Amérique du Nord, mais ce qui en faisait son unité, sa qualité de vie, son environnement, est désormais menacé. Dorénavant Montréal est sur une pente mortelle. Au bas de cette pente se trouve inexorablement la dégradation physique et morale, la décrépitude, la laideur de la cité, le dégoût et l’intolérance de ses citoyens. La menace est d’autant plus réelle que d’autres métropoles mondiales ont déjà atteint ce stade de déchéance.»

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Montréal en crise. Photo : GrandQuebec.com.

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