Montréal au début du XXe siècle : le centre financier du Canada
Le début du XXe siècle est aussi l’époque où Montréal s’affirme comme centre important et diversifié. La ville abrite le siège social de deux des trois plus grandes banques du pays et de plusieurs autres d’envergure moyenne. Ces institutions montréalaises détiennent, à la veille de la Première guerre mondiale, 44% de l’actif de toutes les banques à charte canadiennes.
En en contrôlant à elle seule 17%, la Banque de Montréal reste encore la plus importante banque du Canada, bien que sa rivale torontoise, la Banque Canadienne de Commerce, la talonne. La période est témoin de l’ascension rapide de la Banque Royale du Canada, le nouveau nom que prend une vieille institution de la Nouvelle-Écosse dont le siège social est déplacé de Halifax à Montréal en 1907; à la fin de la période, elle occupe le deuxième rang à Montréal et le troisième au pays, avec 11,5% de l’actif des banques à charte canadiennes. Parmi les institutions montréalaises d’envergure moyenne figurent la Bank of British North America, la Banque des marchands et la Banque Molson.
Les institutions francophones sont bien modestes, leur actif total ne représentant pas même un cinquième de celui de la Banque de Montréal. Elles jouent néanmoins un rôle extrêmement important dans la cueillette de l’épargne des francophones et dans le financement des activités des hommes d’affaires canadiens-français.
L’une d’entre elles, la Banque Ville-Marie, fait faillite en 1899, à la suite des malversations de ses dirigeants. Ceux-ci ne sont d’ailleurs plus, depuis quelques années, des Canadiens français, mais plutôt un groupe d’associés anglophones; leur clientèle reste toutefois massivement canadienne-française. La déconfiture de cette banque provoque une panique chez les déposants francophones, qui se précipitent à la Banque Jacques-Cartier pour retirer leurs fonds; celle-ci doit fermer temporairement ses portes avant d’être réorganisée l’année suivante sous le nom de Banque Provinciale du Canada.
La plus considérable des institutions financières francophones, la Banque d’Hochelaga, est en meilleure posture et se tire facilement de la crise; elle connaît une croissance régulière et affiche 33 millions de dollars d’actif en 1913.
Outre ses nombreuses banques à charte, la ville de Montréal compte encore sur la Banque d’épargne de la cité et du district de Montréal, qui poursuit sa mission de recueillir les modestes épargnes de la population ouvrière.
De nombreuses autres institutions financières sont installées dans la métropole. L’assurance-vie est toujours dominée par Sun Life, qui devient la plus importante compagnie canadienne dans ce secteur et qui étend ses activités à l’échelle internationale. Dans ce domaine, la présence francophone est négligeable, ce qui incite G.-N. Ducharme à mettre sur pied La Sauvegarde, en 1901. Le secteur fiduciaire se développe également. Les deux plus grandes sociétés y sont Royal Trust, liée au groupe de la Banque de Montréal, et Montréal Trust, associée à celui de la Banque Royale. Là aussi les francophones ne sont que des intervenants mineurs, avec la Société d’administration générale, mise sur pied en 1902 par le Crédit foncier franco-canadien, et Trust général du Canada, créée en 1909 par le financier F. – L. Béique.
Mais le phénomène le plus significatif de la période est certainement l’essor des sociétés de placements qui agissent comme courtiers en bourse, tout en prenant la tête de mouvements de concentration financière. L’une des plus en vue est celle qu’a mise sur pied le sénateur Louis-Joseph Forget et à laquelle participe son neveu, Rodolphe Forget. Parmi celles qui s’y ajoutent au début du siècle, il faut mentionner Royal Securities, déménagée de Halifax à Montréal en 1908; son nouveau propriétaire, Max Aitken, est un brillant jeune financier qui décide, en 1910, de poursuivre sa carrière en Angleterre, où il deviendra plus tard lord Beaverbrook. Mentionnons également la société Nesbitt Thomson, créée en 1912.
Si ces nouvelles institutions se développent, c’est que le Canada connaît, dans la décennies qui précède la guerre, la première grande phase de concentration industrielle et financière de son histoire. D’habiles financiers, tels Forget et Aitken, échafaudent le regroupement d’entreprises et la création de monopoles géants à l’échelle canadienne. On voit se multiplier à Montréal les grands capitalistes qui, à la tête d’une immense fortune, ne s’identifient plus comme autrefois à une entreprise principale, mais siègent au conseil d’administration de dizaines de compagnies. Leur fief, c’est la rue Saint-Jacques, bordée d’édifices sociaux des grandes entreprises. Cette rue devient alors non seulement le lieu, mais aussi le symbole de la puissance financière au Canada.
Avec ses sièges sociaux, la rue Saint-Jacques annonce également une autre tendance importante, celle du regroupement au centre-ville de toutes les fonctions de gestion et d’administration des entreprises, qui sont maintenant séparées de leurs activités de production, de manutention ou d’entreposage. Le centre-ville se couvre d’édifices à bureau où s’activent des milliers de cols blancs.
Un autre secteur de l’économie en pleine effervescence au début du 20e siècle, c’est celui de l’immobilier. Il s’agit d’ailleurs d’un phénomène qui touche toute l’Amérique du Nord et auquel Montréal n’échappe pas. L’afflux de population rendant insuffisant le stock de logements, il faut construire en toute hâte des milliers de nouvelles maisons. Le recensement de 1911 dénombre près de 25 000 personnes employées aux activités de construction, soit 13% de la population active.
Le champ d’action de l’immobilier est cependant beaucoup plus vaste. Il touche l’achat et la vente de propriétés déjà aménagées, dont s’occupent activement un grand nombre d’agents immobiliers. Il englobe également la mise en valeur et le lotissement, par des promoteurs fonciers, des grandes terres agricoles qui entourent la ville. Ces promoteurs jouent, comme nous le verrons plus loin, un rôle fondamental dans le développement de la banlieue. La vente des terrains vacants est d’ailleurs l’objet d’une véritable frénésie spéculative qui atteint son point culminant en 1912. Elle attire en grand nombre les aventuriers de toute sorte, qui se montrent plus intéressés par la spéculation que par la mise en valeur du territoire. Le plus coloré de tous est U. – H. Dandurand, un agent d’immeubles dont les excentricités défraient la chronique; en 1899, il est le premier Montréalais à posséder une automobile, et il se présente même à la mairie en 1904. Il lance la technique de la vente à tempérament, pour les terrains de banlieue, et il est fort actif à Rosemont et à Verdun.
Les agents d’immeubles utilisent de nombreux arguments pour vendre leurs lots, promettant aux investisseurs un profit rapide et affirmant que « la clef du succès et de la prospérité c’est l’immeuble ». De nombreux Montréalais s’y laissent prendre. Le fourreur Joseph-Edmond McComber raconte dans ses mémoires comment, attiré lui aussi par la promesse d’un gain rapide et substantiel et par le montant peu élevé du premier versement, il a ainsi acquis des terrains à Notre-Dame-de-Grâce, Outremont, Ahuntsic et Saint-Lambert. Mais le marché immobilier s’effondre en 1913; l’investisseur se retrouve avec sur les bras des lots pour lesquels in n’y a plus d’acheteurs et qu’il faut finir de payer tout en acquittant les taxes municipales.
La fièvre spéculative qui affect le marché foncier au début du siècle représente un phénomène exceptionnel. L’effondrement des prix, en 1913, marque le début d’une longue période de stagnation dans ce secteur, qui ne prendra fin qu’après la Deuxième Guerre mondiale. La spéculation foncière reste néanmoins une caractéristique majeure de l’époque, témoignant avec force du climat d’euphorie qui règne alors.
Voir aussi :
- Banques canadiennes
- Conseil municipal de Montréal en 1940
- Faits divers de la vie à Montréal en 1913
- Que fait le promoteur
- Impôt foncier au Canada
- Institutions financières non bancaires
