Montréal : Une économie en pleine croissance
La croissance économique montréalaise du début du siècle est étroitement liée à celle de l’ensemble du Canada. Certains phénomènes sont particulièrement importants pendant cette période : le peuplement rapide des prairies de l’Ouest canadien la nouvelle industrialisation qui s’appuie sur l’exploitation des richesses naturelles, la forte croissance du commerce international. Ils provoquent une utilisation plus poussée des services financiers et des capacités de transport de la métropole, tout en ouvrant de nouveaux marchés à sa production industrielle.
Montréal profite en particulier du développement de l’Ouest, où les nouveaux colons se spécialisent dans la production du blé qui doit être expédié vers l’Europe. Grâce à sa situation sur le Saint-Laurent et à la concentration des moyens de transport qui s’y dirigent, Montréal devient le grand centre d’exportation des céréales. Par ailleurs, en se spécialisant ainsi, les agriculteurs de l’Ouest deviennent étroitement dépendants des grands centres industriels de l’Est, dont Montréal, pour leur approvisionnement en biens manufacturés et en services de toute nature.
La métropole voit donc se confirmer son rôle de centre nerveux du transport au pays. Des deux réseaux ferroviaires établis à Montréal, c’est celui du Canadien Pacifique qui profite le plus du développement de la Prairie, où il construit de nombreux embranchements. En 1914, la compagnie exploite 18050 milles de voies ferrées, soit quatre fois plus qu’en 1886. Le Grand Tronc, jusque-là concentré au Québec et en Ontario, tente aussi de prendre pied dans l’Ouest en construisant, par l’intermédiaire de sa filiale Grand Tronc Pacifique, une voie ferrée de Winnipeg à Vancouver qui sera le prolongement du National Transcontinental, créée par le gouvernement fédéral. Les ateliers montréalais des deux entreprises, ceux la Pointe-Saint-Charles pour le Grand Tronc et les usines Angus pour le Canadien Pacifique, bourdonnent d’activité afin de répondre à la pression d’un trafic en forte croissance.
Un troisième grand réseau, le Canadien Nord, arrive à Montréal pendant cette période. Contrôlé par des financiers de Toronto, il n’a pas, comme les deux autres, son siège social dans la métropole. Constitué par l’acquisition de petites entreprises déjà existantes ainsi que par la construction de voies nouvelles, ce chemin de fer installe d’abord son terminus montréalais dans l’est de la ville. L’entreprise voudrait avoir, comme ses deux rivales, un accès au centre-ville pour y établir sa gare principale. Afin d’éviter de coûteuses expropriations dans un tissu déjà fortement urbanisé, ses dirigeants trouvent une solution audacieuse : faire arriver la ligne par le nord, plutôt que dans l’axe du fleuve, puis creuser sous le mont Royal un tunnel aboutissant au cœur de la ville.
Le projet de tunnel donne d’ailleurs lieu à une ambitieuse opération de spéculation foncière. Les dirigeants du Canadien Nord ont l’idée de réaliser, à la sortie nord du tunnel, un développement immobilier : les résidences qu’on y construirait auraient un accès rapide au centre-ville, grâce à la voie ferrée. L’historien Robert Rumilly décrit ainsi l’opération : « Dès le printemps de 1911, un agent d’immeubles, un agent du Canadian Northern, le notaire Décary et trois autres notaires, partis en automobile avec 120 000 dollars dans leurs poches, font la tournée des fermes sur le territoire convoité, et les achètent toutes en une journée. » Ils ont l’intention d’en faire une ville planifiée, centrée sur la gare, qu’ils nomme Model City et qui deviendra Ville de Mont-Royal.
(Tiré du livre Histoire de Montréal depuis la Confédération de Paul-André Linteau, 1992, Les Éditions du Boréal).
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