Une lettre du maire concernant l’épidémie de la grippe espagnole
Le maire Martin a adressé, hier, la lettre suivante au président, et aux membres du Bureau de Santé municipal :
22 octobre 1918. À M. le président et à MM. Les membres du Bureau de Santé municipal, Montréal.
Messieurs, permettez-moi de vous transmettre sous ce pli un certificat d’analyse du chef des laboratoires municipaux, le Dr. H. St-Georges établissant que le désinfectant « Migol », en recommander fortement l’usage et en donner même aux familles trop pauvres pour s’en procurer ? » Et, au sujet de la fourniture gratuite de drogues aux familles dont l’état de fortune ne permet pas de s’en procurer, surtout dans un temps où les pharmaciens spéculent sur l’épidémie pour exiger des prix exorbitants, ce serait il ne semble faire œuvre d’humanité que d’acheter certains médicaments et de les distinguer aux familles pauvres, soit en les plaçant dans les divers hôpitaux, soit en chargeant les médecins de les remettre aux malades, soit en les déposant dans les postes de police où le public pourrait se les procurer.
Je prends aussi la liberté d’attirer l’attention de votre Bureau sur le vaccin Léderlé contre l’influenza. Je me rends compte des efforts que fait votre Bureau pour se procurer un vaccin efficace, mais on me dit tant de bien du vaccin Léderlé (laboratoire d’Antitoxiné Léderlé, New York, succursale 80, rue Elgin, Ottawa), que je me demande s’il ne devrait pas être employé J’annexe à la présente le catalogue de de ces laboratoires ainsi que la carte de M. Désilets, de Montréal, qui représente la succursale d’Ottawa.
Une autre suggestion que je crois bonne, dans les circonstances, serait de permettre à un certain nombre de cultivateurs de débiter leurs produits sur le champ de Mars, dans le but de remédier dans une certaine mesure à l’encombrement du Marché Bonsecours. Je prierais votre Bureau de bien vouloir étudier l’opportunité de cette mesure.
Dans ce temps d’épidémie il est très important de mettre tout en œuvre pour empêcher la contagion, et je crois qu’il serait nécessaire de donner à la police les instructions nécessaires pour que les dispositions du règlement #638 soit observées plus fidèlement que jamais. Ce règlement dont je vous transmets copie, défend comme vous le savez, à toute personne qui vend du pain, après qu’il a été livré de même qu’à toute personne qui a acheté du pain de remettre ou d’échanger ce pain. Votre Bureau comprendra, j’en suis certain, toute l’importance qu’il y a à ce qu’aucune infraction ne soit commise à ce règlement.
Enfin, vu que la situation ne semble pas s’améliorer, malgré tous les efforts qui sont faits pour enrayer le mal, peut-être serait-il sage d’ordonner sans délai la mise en quarantaine de toutes les maisons où se trouvent des cas de grippe espagnole. Cette question recevra, j’en suis certain, toute l’attention qu’elle mérite.
En terminant, je regrette de ne pouvoir assister aux séances du Bureau de Santé, mes occupations Men empêchent. Je vous transmets en conséquence quelques suggestions que je soumets à votre considération.
Votre bien dévoué, le maire de Montréal, Médéric Martin.
Commentant cette lettre, le maire a dit qu’à sa villa de Laval-des-Rapides, il était le seul, dans toute la paroisse, à avoir un téléphone qui communique directement avec la ville. Il y a à Laval-des-Rapides, dit-il, 154 familles et il existe 84 cas de maladie. Or, tous ceux qui ont de la maladie chez eux viennent téléphoner à sa demeure, soit pour avoir l’ambulance, soit pour avoir un médecin de la ville.
On comprend, dit le maire, à quel point nous sommes exposés, madame la mairesse et moi. Il se pourrait fort bien que tout ce monde venant téléphoner chez moi nous apporte de la maladie. Et pourtant, nous sommes tous bien chez nous. Le secret de ceci, c’est précisément que je me sers du désinfectant dont je parle dans ma lettre.
Monsieur Martin parle ensuite du vaccin mentionné dans sa lettre, et en atteste la haute valeur, en affirmant que comme préventif, il a réussi dans 100 pour cent des cas graves. Il cite des noms de gens qui ont été guéris avec ce vaccin.
Le maire considère qu’on devrait se servir de ce vaccin plutôt que d’envoyer des médecins étudier un autre vaccin qui vient d’être découvert aux États-Unis dont personne ne peut attester la valeur, et qu’on prendrait quelque temps à Montréal à fabriquer.
À propos de l’envoie de médecins aux États-Unis, M. Martin s’étonne qu’on n’y ait pas envoyé le docteur Saint-Georges, chef des laboratoires municipaux. Il dit que le docteur St-Georges est l’un de nos médecins les plus éminents, et l’un des rares Canadiens-français qui aient obtenu leurs diplômes au McGill. Cet homme, dit-il, aurait pu prendre charge d’un hôpital, pendant l’épidémie. Il devrait faire partie du Bureau de Santé, et moi-même j’aimerais mieux le voir là que moi. Tous les cas qui lui ont été soumis, il les a rechapés. Le malheur veut qu’il ait fait des jaloux, et, comme c’est un homme humble, on l’ignore. Dans toutes les sphères de la vie, c’est toujours le moins capable qui fait le plus de tapage.
