La ville de Montréal est exploitée, crie Me J.-J. Penverne
Volumineux rapport sur le Bureau des Réclamations – Incompétence et corruption – Il faudrait une réorganisation complète
Me J. – J. Penverne, chef du Bureau des Réclamations de la Cité de Montréal, vient de présenter un volumineux rapport sur l’administration du Bureau. Le rapport établit qu’il y a eu d’énormes gaspillages faits dans le paiement des réclamations de toutes sortes adressées à la Ville. On pourrait économiser $100,000 par année au Bureau des Réclamations, affirme le rapport.
Me Penverne déclare que le Bureau est administré avec une négligence telle que même la plus petite succursale d’une clé d’assurance lui est supérieure sous tout rapport. Le rapport attaque à plusieurs reprises le contentieux de l’hôtel de ville de Montréal, et surtout Me Saint-Pierre, chefs immédiat de Me Penverne. Il recommande que le Bureau des Réclamations soit complétement détaché du contentieux, et ais son autonomie propre. Il faudrait remplacer la plus grande partie du personnel par des inspecteurs compétents. Me Penverne cite dans son rapport un nombre considérable de cas où la Ville paya pour des réclamations sans fondement des sommes exorbitantes ou dut acquitter des frais élevés sur des réclamations dont il aurait fallu admettre le bien-fondé à première vue.
Quelques suggestions
La suggestion la plus pressante de Me Penverne, c’est que la Législature adopte une loi qui permettrait à a Ville de faire enquête immédiate dans tous les cas susceptibles de réclamation. Il est impossible d’évaluer correctement des dommages donnés lorsqu’il s’est écoulé une trop grande période de temps entre ces dommages et l’enquête.
Il faudrait aussi que la Charte municipale soit rajeunie, en plusieurs cas modifiée, et surtout simplifiée.
Il faudrait remplacer les fonctionnaires sans expérience du Bureau des Réclamations par des experts enquêteurs, capables d’évaluer à leur juste prix les dommages et en fixer les causes. Ceci est élémentaire, déclare Me Penverne, et la moindre compagnie d’assurance l’a compris.
Tout le Bureau des Réclamations devrait être modernisé, mis sur une base d’affaires, adapté aux bureaux semblables des compagnies d’assurance.
Des mesures spéciales devraient être prises pour prévenir les réclamations, surtout en ce qui concerne l’entretien des rues et trottoirs pendant l’hiver.
Les voitures de la police devraient être forcées d’obéir aux lois de la circulation, sauf dans les circonstances d’urgence.
Toutes les réclamations payées devraient être soumises à l’approbation des comptables municipaux. Et chaque réclamation fraudaleuse devrait être suivie d’une poursuite devant les tribunaux criminels.
Où il est question de Médéric Martin
Maître Penverne cita plusieurs exemples de sommes exorbitantes payées sans raison par la ville sur des réclamations sans fondement ou fortement exagérées.
Ainsi, dit-il, la Ville de Montréal paya a Mé Médéric Martin une somme de $500 pour les dommages causés par les égouts à une maison, lui appartenant, rue Champlain. Et cela, avec un minimum d’enquête et une rapidité absolument étonnante à l’hôtel de ville. Les dommages auraient été causés par des racines d’arbres qui auraient endommagé l’égout collecteur de la maison de M. Martin. La ville n’aurait pas dû payer, d’abord parce qu’elle n’est pas responsable de cette sorte de dommages, et ensuite parce que M. Martin avait négligé de donner l’avis réglementaire.
La ville a payé, et rondement…
Voici quelques exemples de la façon, dont, selon Me Penverne, sont réglées les réclamations à l’hôtel de ville.
On paya récemment $7,000 sur une réclamation de $14,000 faite à la ville sous le prétexte d’inondation. Or, une enquête approfondie révéla à Me Penverne que les dommages ne s’élevaient qu’à $200.
Autre cas : un propriétaire de 5-10-15 sous eut un jour la cave d’un de ses magasins inondée sous un pouce d’eau. Les dommages s’élevaient à peine à $100. Mais l’homme profita de l’occasion pour se débarrasser d’un fort stock de marchandises de rebut. Il le fit transporter dans la cave par ses employés et inonder à l’aide d’un boyau d’arrosage. Il réussit ainsi à obtenir $1,300 de la ville. La supercherie fut découverte plus tard et l’homme fut condamné à un an de prison. Me Penverne ignore si la ville a pu se rembourser.
Une autre histoire d’inondation : les enquêteurs avaient déclaré qu’une certaine réclamation pour inondation était absolument sans fondement. Peu importe, la ville paya $2,000.
Une petite réclamation de $25 fut une fois portée à $1,000 de dommages et frais par la ville, exemple typique de mauvaise administration ou de corruption.
Un employé municipal blessé à son travail subit pour $785 de dommages. Et on lui versa $3,761.
Et plusieurs autres exemples semblables…
À l’hôtel de ville, la publication du rapport Penverne a jeté partout la crainte et la consternation
Protestations de commissaires et d’échevins – Le comité exécutif, apprenons-nous, n’avait pas étudié le fameux rapport et n’avait pas autorisé sa publication
(d’après le correspondant du Petit Journal).
Après la bombe de samedi matin (le rapport Penverne dénonçant des scandales au département des réclamations) tout est paisible à l’hôtel de ville.
Il n’y avait que de rares échevins dans la salle des caucus. Le rapport Penverne aura un écho formidable s’il faut en croire des personnes bien au fait des questions municipales.
Deux commissaires de la cité qui se trouvaient à l’hôtel de ville samedi ont été interrogés par notre représentant sur le fameux rapport.
M. Alfred Pilion, échevin de Saint-Édouard et commissaire de la ville a déclaré ce qui suit: « Il n’est pas de bonne politique de salir la réputation de tout le monde. C’est pourquoi le comité exécutif a retardé l’étude du rapport Penverne et ne voulait pas recommander la publication de ce rapport. Il eut été plus facile de punir les coupables, de réprimer les abus, de faire des réformes utiles sans jeter tant de discrédit sur l’administration municipale.
« Ce genre de publicité, encore une fous, nuit aux intérêts de la métropole, affecte son crédit considérablement.
“Je n’approuve pas de telles tactiques, je les condamne plutôt”.
Monsieur Trefflé Lacombe, commissaire de la ville et échevin du quartier Bourget, parlant de la publication du rapport Penverne dit que le comite exécutif n’a pas eu le temps d’étudier ledit rapport et que par conséquent il eut été préférable d’attendre que les commissaires et les échevins en prissent connaissance avant de le lancer de la sorte dans le grand public.
« Le comité exécutif, dit M. Lacombe, est chargé d’administrer et à ce titre il à le pouvoir d’ordonner ou d’empêcher la publication de tout rapport qui ordinairement lui est soumis en tout premier lieu. Les échevins avaient aussi le droit de consulter ce rapport avant qu’il soit publié dans les journaux. Je ne crois pas que la tactique suivie en l’occurrence soit des plus recommandables.
Monsieur J.-M. Savignac, échevin de Saint-Denis et ancien président de l’exécutif déclare de son côté que M. Penverne doit avoir la conscience bien nette pour se permettre de salir la réputation de tant de gens dans un seul rapport.
“M. Penverne, dit M. Savignac, accomplit une œuvre néfaste et il nuit au crédit de la métropole. Il veut tout conduire à sa guise. Il se permet de fouiller dans tous les dossiers, de les interpréter, de salir les réputations. Je dis que cette conduite est condamnable et j’ajoute que Me Penverne est en train de se bâtir une réputation d’homme – terreur et que personne ne voudra l’approcher ».
Monsieur Léo-J McKenna, échevin de Mont-Royal qualifie de stupide la conduite de Me J.-J Penverne.
« Il permet aux journaux de publier un tel rapport avant que le comité exécutif (dont il dépend en définitive), ne l’ait étudié.
“Pourquoi ne pas s’en remettre au comité exécutif d’abord. Pourquoi ne pas soumettre ce rapport aux commissaires et aux échevins, afin qu’ils l’adoptent, le rejettent, l’a mandent, etc.? “La conduite de M. Penverne est inqualifiable.”
M. Jos. Monette, échevin de Crémazie blâme aussi M. Penverne d’a voir permis la publication du rapport avant que les Commissaires aient pu l’étudier.
Bref la publication de ce rapport a jeté partout la consternation tant chez ceux qui sont atteints directement que chez ceux qui ont charge d’administrer la ville.
Il y aura de lointaines répercussions au conseil municipal d’abord puis sur les tréteaux lors des élections de décembre.
(Ces textes datent du 3 juillet 1938, publiés dans Le Petit Journal de Montréal).
