Le premier fondateur de Montréal

Jérôme Le Royer, sieur De La Dauversière : Le premier fondateur de Montréal

Comment M. de La Dauversière, ce pieux et bon laïque de la ville de La Flèche, fut-il amené à concevoir le projet d’une fondation aussi lointaine, à une époque où l’opinion publique et la classe officielle en France se préoccupaient si peu du Canada? Des écrits de ce temps-là — lettres et mémoires — parlent de visions prophétiques, d’inspirations d’en Haut, même d’apparitions de l’Au-delà. Tout cela est raconté dans les Annales de l’Hôtel-Dieu.

Il est un fait aussi étrange que certain: c’est que M. de La Dauversière, père de famille peu connu, modeste receveur d’impôt dans une petite ville de province, et apparemment sans influence marquante, s’est fait donner l’île de Montréal; qu’il a formé une société de personnes de grande distinction, qui versèrent des fonds considérables dans une entreprise de colonisation, dont les risques de pertes étaient infiniment plus grands que les espérances de bénéfices à réaliser; qu’il a su choisir, pour le seconder dans la difficile réalisation de son œuvre, des personnes de haute valeur morale et du plus parfait désintéressement. Durant dix-huit ans, il dirigea sa fondation à 3 000 milles de distance sans l’avoir jamais vue.

M. de la Dauversière a créé le plus beau centre français en Amérique, sans en avoir jamais lui-même retiré autre chose que le mérite d’une grande et magnifique action. Le fait est certain, évident, les causes réelles en sont beaucoup moins apparentes.

Les pères Jésuites, qui avaient alors la direction spirituelle de l’Ordre des Hospitalières de La Flèche, fondé par le même M. de la Dauversière, ne furent sans doute pas étrangers au projet de 1640. Ne serait-ce pas dans les « Relations des Jésuites », sur les missions du Canada, que le fondateur de Ville-Marie aurait trouvé de puissants motifs d’exécuter son beau dessein?

Il est certain que le père Charles Lalemant, déjà venu au Canada et qui avait alors de puissantes relations en France, servit d’intermédiaire influent entre le promoteur de l’entreprise et plusieurs des personnages qui prirent une part active à l’établissement nouveau.

De toutes les fondations de la Nouvelle-France, celle de Montréal est assurément la plus belle et la plus féconde en résultats de toutes sortes Aussi bien, l’homme qui conçut cette noble idée et en exécuta les commencements de merveilleuse façon mérite-t-il d’être franchement connu.

M. Jérôme Le Royer, sieur de La Dauversière, naquit le 2 mai 1597. Il était de la petite noblesse de province; il fut conseiller du roi et percepteur des tailles en Anjou. Son emploi civil ne l’empêcha point d’exercer, avec une étonnante activité, une sorte de sacerdoce séculier, dont les effets durent encore.

En 1632, il fonda à La Flèche, dans la province de l’Anjou, l’Ordre religieux des Hospitalières de Saint-Joseph, pour le soin des malades. Cette institution de charité compta bientôt plusieurs maisons en France et prit charge de l’Hôtel-Dieu de Ville-Marie en 1659.

Il est peu d’exemples, croyons-nous, d’un laïque, père de famille, fondateur d’un ordre monastique de religieuses cloîtrées. Cette étrange entreprise fut pourtant sagement conduite. L’œuvre conserve encore toute sa force primitive, sa ferveur des débuts, l’élan des premières impulsions reçues. L’antique bâtiment de l’Hôtel-Dieu abrite un groupe de ces admirables religieuses, qui accomplissent, dans le silence du cloître le plus rigide et parfois au milieu de pénibles privations pour elles-mêmes, tous les sacrifices de la charité envers les malades.

L’Institut du vénérable fondateur a traversé trois siècles d’existence, renouvelant chaque jour l’héroïque et patiente charité de son œuvre si féconde et si peu connue.

L’établissement de Ville-Marie n’est pas moins surprenant de la part de cet homme étrange, qui ne vint jamais lui-même au Canada. L’on est frappé du nombre et de la qualité des personnes que le gentilhomme angevin sut intéresser à son entreprise hardie et du caractère essentiellement religieux qu’il a donné et conservé au grand œuvre de sa vie.

Il faut bien admettre que M. de La Dauversière avait pour ces deux étonnantes entreprises une vocation particulière et privilégiée.

Fondateur d’un Ordre religieux si méritant, fondateur d’une Ville si pleine de promesses pour la civilisation en Amérique, ce saint homme, semble-t-il, aurait dû éprouver toutes les joies d’un bel idéal pleinement réalisé.

Il en fut autrement. Toute sa vie fut traversée par de dures et pénibles épreuves, causées par ses deux créations elles-mêmes. Il y perdit tout son bien et dut répondre de celui des sociétaires qu’il avait engagé. Ses dernières années furent affreusement tourmentées et comme empoisonnées par des difficultés financières et des troubles de conscience aigus et persistants. Il endura les plus cruelles souffrances durant la dernière maladie qui le conduisit au tombeau, le 6 novembre 1659.(«Annales de l’Hôtel-Dieu,» p. 137. Douzième livraison des Mémoires de la Société Historique de Montréal.) Sa vie fut une énigme, ses fondations semblent d’étranges entreprises, sa mémoire se dérobe cruellement à l’histoire, à la suite de l’incendie de l’Hôtel-Dieu, où toutes ses lettres ont été anéanties (1695).

Notre bonne ville de Montréal a élevé des monuments à bien des personnages, même étrangers à son histoire. Elle n’a rien trouvé de mieux pour rappeler chez elle le souvenir de l’auteur de ses jours que de donner le nom de Le Royer à un petit bout de rue fermée en cul-de-sac.

(Tiré de l’Histoire de Montréal par Camille Bertrand, archiviste, paléographe aux Archives nationales, tome premier (1535-1760).

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Portrait de Jérôme Le Royer de La Dauversière, peint  par Émile Vézina. Image libre de droits.
Portrait de Jérôme Le Royer de La Dauversière, peint par Émile Vézina. Image libre de droit.

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