Identité de Montréal : XXe siècle
Au début du XXe siècle, sir Wilfrid Laurier affirmait que le nouveau siècle serait celui du Canada. En formulant sa prédiction, il devait avoir en tête ce qui alors se passait à Montréal. La vie urbaine montréalaise, entre 1860 et 1960, est une véritable aventure. Cette passionnante histoire peut être suivie à travers divers champs de l’activité humaine vécue dans son cadre urbain en effervescence.
Au seul chapitre de l’accroissement de la population, les chiffres parlent d’eux-mêmes. En 1860, la population de la ville de Montréal est de 90 000 âmes. En 1900, elle dépasse 200 000, atteint 600 000 en 1920 et le million en 1950. Cette seule croissance contribue à donner à la métropole un élan et un dynamisme quasi irrépressibles. À la fin des années 1950, même si Montréal a perdu son titre de métropole du Canada, la ville a amorcé un virage qui annonce djà la Révolution tranquille. Tout est alors en mutation, l’économie, la société, la politique, l’urbanisme, les communications et les transports, sans oublier la culture. Le paysage urbain en est déjà le principal terrain d’action, un nouveau center-ville en naîtra. La suite fait partie d’une autre histoire.
La croissance du territoire urbain et la place grandissante de Montréal à l’intérieur de l’île sont certes les défis auxquels a été confrontée la nouvelle métropole. En 1860, le territoire de Montréal correspond encore assez précisément au tracé de la vieille ville du Régime français et de ses anciens faubourgs. Ces limites éclatent, d’abord à la fin du XIXe siècle, par l’annexion des jeunes municipalités limitrophes. Puis, à la veille de la Grande Guerre, seize entités municipales correspondant à vingt-six territoires non intégrées à la ville. À la faveur de ces annexions et du développement des transports en commun, les autres bourgs du pourtour de l’île, des établissements souvent fort anciens, mettent définitivement fin à leur isolement, pour le meilleur ou pour le pire.
La poussée économique et urbaine de l’ère victorienne a eu ses effets durables sur le berceau de la ville, le Vieux-Montréal, qui se tourne résolument vers l’avenir en devenant une cité financière et commerciale. Tournant désormais le dos au fleuve, le développement urbain s’étend maintenant dans toutes les autres directions, vers le nor, à l’intérieur des terres, au-delà du plateau du mont Royal, vers l’est comme vers l’ouest. On assiste, sur l’ensemble du territoire, à une nouvelle répartition des différentes fonctions urbaines : affaires, commerce, industrie, une hiérarchie structure les zones d’habitat des classes sociales et des groupes culturels. L’élargissement des limites de la ville vient renforcer des frontières déjà existantes comme celle du boulevard Saint-Laurent et en fait apparaître d’aures. Ces nouvelles zones d’occupation viennt à former autant de « petites patries » avec leurs institutions, leurs spécificités géographiques, sociales et culturelles.
L’identité même de la ville change au tournant de 1900. À la veille de la Première Guerre, 10 % de la population n’est pas d’origine française ou britannique. La moitié de ce nombre est composée par la communauté juive. Par la suite, Montréal la victorienne devient nord-américaine et cosmopolite. Ces cultures nouvelles sont mises en contact avec celles des milieux locaux, celle de la bourgeoisie anglophone, de l’élite francophone, de cercles sociaux savants ou populaires, cléricaux ou ouvriers. Simultanément à cette explosion des réalités urbaines, les Montréalais, anciens et nouveaux arrivants, apprennent à découvrir l’histoire de la ville exprimer leur fierté et commémorer la mémoire des bâtisseurs.
Le citoyen vit au rythme des changements que connaît sa ville. De cette croissance urbaine découlent une intensification des activités et une affirmation des nouveaux modes de vie qui structurent une identité et forgent des traditions. Qui dit progrès urbain dit services à la collectivité et amélioration des conditions de vie : protection, sécurité, salubrité, transports enn commun. Tous les acteurs du développement urbains semblent s’être donné la main afin de faciliter l’émergence de nouveaux secteurs urbains. Qu’ils proviennent des milieux capitalistes, municipaux, sociaux, intellectuels ou religieux, tous profitent de l’avancement de la zone urbaine. Apparaissent des styles architecturaux nouveaux souven exubérants, pour les bâtiments publics, institutionnels et commerciaux de même que pour les nouvaux modèles d’habitations.
Une seconde grande bague de construction déferlera de nouveau sur Montréal après la Seconde guerre mondials. La banlieue sera alors le nouveau territoire d’appropriation. Près de 200 000 logements sont construits dans les seules années 1950. Fière de son million d’habitants, la métropole peut penser à se doter d’un nouveau centre-ville à la mesure de ce que peut offrir le mouvement moderne. On rêve de nouveaux gratte-ciel tout en répondant aux besoins d’une rénovation urbaine. Une nouvelle ère s’annonce.


(Tiré du livre Montréal, une aventure urbaine, les Éditions GID, 2000. Musée d’archéologie et d’histoire de Montréal, Pointe-à-Callière. Paul Trépanier & Richard Dubé).