Milliers de personnes à l’arrivée de M. Houde
À la gare, cohue indescriptible; au domicile, une rue noire de monde
Ponctuée d’ovations, l’arrivée hier soir (le 18 août 1944), à la gare centrale de l’ancien maire de Montréal, fut une « apothéose » pour employer le mot même de M. Ligouri Lacombe, député de Laval-Deux-Montagnes aux Communes, qui a salué le voyageur à la gare.
Même aux temps relativement anciens de ses succès populaires alors qu’il occupait les fonctions de maire de la métropole, M. Houde n’avait pas été l’objet d’une semblable manifestation. Environ 12 mille personnes s’étaient pressées depuis 6 heures jusqu’à l’arrivée de Portland à 7 heures, dans la cour de la gare et en un quadruple rang aux parapets qui encadrent la cour sur trois côtés.
Autour de la voiture qui devait porter M. Houde à son domicile, la foule atteignait à l’étouffoir. Plusieurs femmes (elles composaient la moitié des curieux) faillirent se trouver mal. Les quelques agents du Canadien National n’en pouvaient plus à vouloir contenir la poussée indescriptible. Le reporter, auteur de ces lignes, écrasé contre le pare-boue de l’auto de M. Houde, n’évita l’étouffement qu’en sautant sur le pare-choc et dû s’installer au petit-bonheur dans les glaïeuls posées sur la capote repliée, et emprunter le dos d’un voisin pour faire office du pupitre.
À plusieurs reprises, le chauffeur tenta de déplacer la voiture de quelques pieds, afin d’être plus près de la sortie de la gare, mais il ne put entamer la résistance du rempart humain.
Soulevé de terre
Tout à coup une voix crie: Voilà Camillien ! C’est Camillien ! Une ruée secoue la foule, on hurle les bravos. Mais ce n’est qu’une fausse alerte. Elle devait se répéter deux ou trois fois avant que l’ancien maire de Montréal débouchât à ciel ouvert, pour de bon, vingt minutes après l’heure annoncée. Des cris et des mots inintelligibles fusèrent de partout. M. Houde fut littéralement levé de terre et porté vers la voiture plutôt qu’il ne marcha vers elle.
Quand il se retourna vers ses admirateurs, tout rouge d’émotion, de fatigue et du tiraillement de la foule, il fut près de dix minutes sans pouvoir émettre un son devant le micro qu’on lui tendait…
C’est durant cette ovation qui marquait le premier contact de l’ancien maire avec la population montréalaise, que M. et Mme Ligouri Lacombe parvinrent à se hisser dans la voiture. Les deux hommes se serrèrent la main, et le député de Laval-Deux-Montagnes tapota l’épaule de celui-ce qu’il avait défendu en Chambre.
Enfin, les gosiers fatigués firent le silence, et pour la première fois depuis quatre ans M. Houde parla à la foule. Sa voix s’éleva nette et ferme…
Discours à la foule
« Mes chers amis, commença l’ancien maire de Montréal… Je vous remercie du fond du cœur de la cordiale réception que vous m’avez réservée ce soir. Je n’attendais pas moins de « ma » population de Montréal et d’une partie de la province, car au cours de mes quatre années d’internement, je n’ai jamais cessé de sentir que votre cœur battait à l’unisson du mien.
Cette réception ne fait pas que me prouver votre estime; elle constitue en outre un avertissement salutaire aux autorités actuelles pour qu’elles sentent l’opinion publique telle qu’elle est…
Ce que l’avenir nous réserve, je l’ignore. Mais il est une chose sur laquelle vous pouvez compter, c’est que comme dans le passé, je me tiendrai debout. Chaque fois que le moindre de vos droits ou de vos privilèges sera exposé, je serai au premier rang avec d’autres hommes résolus de la trempe de M. Lacombe…
Après cette réception, M. Houde prit le chemin de son domicile, sis rue Saint-Hubert, et encore là il fut accueilli par une foule en délire et si compacte qu’elle bloqua complètement la circulation sur la rue Saint-Hubert, de la rue Jeanne-Mance à la rue Mont-Royal.
(La Presse, le 18 août 1944)

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