
Notre-Dame de Montréal
Louise Desjardins, article paru dans la revue L’Interdit, janvier – février 1979, #267
Ni basilique, ni cathédrale, située dans un quartier ou les Montréalais ne vont plus que pour travailler ou pour s’amuser jusqu’aux petites heures du matin, Notre- Dame est une paroisse presque sans paroissiens et pourtant de deux à trois mille personnes viennent y prier quotidiennement.
Plus qu’un monument, Notre-Dame c’est une foi, une histoire qui se racontent. Tout en admirant ces somptueux vitraux, témoignages de notre patrimoine, laissons-nous emmener plus de trois siècles en arrière, au temps ou les premiers colons sont venus s’installer en Nouvelle-France.
Les débuts
Fondée en 1642 par Paul de Chomedey de Maisonneuve, Notre-Dame ce fut d’abord une petite chapelle logée dans le Fort de la Place Royale (plus tard appelée Pointe-à-Callières) sur les rives du Saint-Laurent. Construite par des colons charpentiers, elle était tout de même munie de beaux ornements et d’un riche tabernacle venu de France. Les besoins se faisant plus pressants, il fallut cependant bientôt agrandir et, en 1657, l’on érigea une église de bois de 50 pieds de long à même l’hôpital (l’Hôtel-Dieu) que dirigeait Mlle Jeanne Mance.
La première église
Mais le nombre de fidèles croissait très rapidement et, en 1669, l’espace commençait encore à manquer. Ainsi, au cours d’une visite pastorale, Mgr de Laval exhorta ses ouailles à se doter d’une église paroissiale indépendante. Après maintes discussions, décisions et revirements, l’emplacement de la nouvelle église est enfin choisi en 1672, Les « Montréalistes » ne pourront toutefois s’y agenouiller qu’en 1683. En effet, malgré de nombreux dons, des problèmes d’argent ont retardé de 10 ans la construction de la première vraie église de Montréal.
« Qu’était-ce alors que Notre-Dame? Une simple nef d’un peu plus de cent pieds de profondeur, coupée aux deux-tiers de sa largeur par deux chapelles formant transept; point de colonnes, point de bas-côtés ou nefs latérales, point de façade, point de clochers. Mais elle était en pierre et susceptible d’embellissements indéfinis…
Au fur et â mesure que les années passaient, Notre-Dame remplissait les promesses de magnificence qu’elle avait inspirées, La décrivant, Edward Allen Talbot dira que l’intérieur suivant l’usage observé dans les autres églises catholiques romaines, est somptueusement décoré de tous les ornements qui conviennent â un lieu consacré à pareille destination, et pénètrent jusqu’au cœur, en affectant vivement les sens extérieurs… »
Le faste de Notre-Dame est tel qu’il scandalise presque les puritains anglosaxons. Pour eux, les belles statues de la Vierge évoqueront davantage une Junon ou une Cèrès tant l’œil est capté par l’esthétique de ces œuvres d’art. Pourtant la vie spirituelle jaillit de toutes parts dans cette enceinte. Elle est si animée que certains étrangers logeant au « Montréal Hôtel » se plaideront d’être dérangés par le son puissant des cloches qui, à toute heure du jour, annoncent un moment de piété ou la célébration de quelque événement dans la communauté.
La deuxième église
L’affluence est bientôt si considérable qu’il faut encore songer à agrandir : les fidèles en sont réduits à écouter la messe dans la rue. En 1823, les marguilliers décident de construire une nouvelle église.
La population de Montréal augmente à une vitesse vertigineuse et Mgr Lartigue. évêque de Telmesse et auxiliaire de Québec pour le district de Montréal, voudrait bien y établir son église épiscopale. La controverse légale qui s’engage entre les Messieurs de Saint-Sulpice et l’évêché n’empêche pas les marguilliers d’entreprendre, le 20 juillet 1823, une campagne de souscription pour l’érection de l’église des Montréalais. Tous sont sollicités, même les anglophones, car, leur dit-on, il s’agit d’embellir la ville!
Aucun effort n’est épargné et on fait venir de New York l’architecte James O’Donnell, une sommité dans le domaine de l’architecture gothique. Cependant, la construction est plus lente que prévue; des problèmes d’argent se font sentir tandis qu’une mésentente entre l’architecte et le maître – maçon retardent les travaux.
En 1827, on laisse même entendre à O’Donnell qu’on n’élèverait pas la façade et les tours. Outré, celui-ci répond: « Messieurs, ayez bien à l’esprit que vous n’élevez pas une construction temporaire, mais plutôt que vous érigez un édifice qui jettera de la gloire sur vous, sur votre assemblée et votre pays. Je vous assure que l’histoire de votre église sera transmise aux générations futures ».
Finalement, en 1828, la façade est complétée et l’intérieur est convenable pour l’exercice du culte. L’inauguration de Notre-Dame a lieu en 1829. Lors de la première grand’messe qui y était chantée, « on remarquait dans l’assistance Sir James Kempt, administrateur du Bas-Canada, son état-major et les diverses corporations de la ville ». Remplie de promesses elle aussi, la nouvelle église décevait cependant les voyageurs qui, séduits par la majesté de l’extérieur, trouvaient que l’intérieur était plutôt de mauvais goût II eût été surprenant que Notre-Dame se contente d’un décor médiocre.
En 1856, on parle déjà de restaurer et d’agrandir l’église. Particulièrement porté vers l’art et l’esthétique, le curé Rousselot donne le coup d’envoi.
En 1872, il part pour Rome et revient avec une statue de la Madone. Avec l’aide de l’architecte Bourgeau et de M. Desmazures, musicien et amateur d’art, le curé Rousselot met au point le plan définitif de la décoration de Notre-Dame.
Alors que ses fidèles tergiversent encore, il décide d’ouvrir la voûte, de polychromer toutes les surfaces et de faire disparaître la grande verrière. Inspiré par la décoration de la Sainte-Chapelle de Paris qu’il avait d’ailleurs visitée souvent, le curé Rousselot gagne son point: en effet, « on essayait parfois de lui résister, mais il finissait toujours par l’emporter grâce à sa ténacité, â sa bonhommie, à son humilité, à son désintéressement et à sa générosité personnelles ».
Non seulement la décoration de Notre-Dame va bon train mais encore, les tours ont été construites. Suivant les plans prévus par O’Donnell, l’architecte John Ostell en dirige les travaux et c’est ainsi qu’en 1841 et en 1843 s’élèvent respectivement la Tour de la Persévérance (côté ouest) et la Tour de la Tempérance (côté est). « Notre-Dame, à cette époque reculée (1843), surgit au milieu des constructions basses qui l’avoisinent a la manière des cathédrales altières du vieux monde.
Vue du fleuve, elle offre un très haut chevet plat, percé d’une grande fenêtre gothique â cinq compartiments, et s’apparente ainsi aux abbayes anglaises. De la montagne, on pouvait jouir de sa masse énorme et de son hardi portique ».
Les travaux d’embellissement de l’église se terminent vers 1880. Notre-Dame prend peu à peu l’allure que nous lui connaissons aujourd’hui; le maître-autel (dessiné par Bourgeau et sculpté par Bouriché en 1878) et la chaire (dessinée par Bourgeau et sculptée par Hébert de 1883 â 1885) sont complétés. Le Baptistère est construit en 1882 et décore par la suite par Ozias Leduc en 1926. Le nouvel orgue, dont la construction a été décidée en 1885, est inauguré en 1891.
Plusieurs fois remanié depuis, il compte peu de rivaux comme orgue d’église proprement dit. Que dire encore des vitraux qui retracent sous nos yeux toute l’histoire de la Nouvelle-France? « Quand le soleil y joue, c’est un ruissellement de pierres précieuses », de s’exclamer Mgr Olivier Maurault.
Tant de majesté et tant de splendeur, tant de paix et tant de spiritualité font de Notre-Dame une des plus belles églises de la chrétienté. Voici pourquoi a chaque année des milliers de Montréalais aiment s’y retrouver pour prier ou tout simplement pour admirer ce joyau d’architecture.
La chapelle du Sacré-Cœur
Plus petite et située à l’arriéré de l’église, la chapelle du Sacré-Cœur fut conçue par les architectes Perrault et Mesnard Comme le curé Sentenne désirait encourager les arts, « l’idée lui vint d’envoyer quelques peintres (canadiens) se perfectionner en Europe et de leur demander, en retour, les tableaux dont il avait besoin ». La chapelle offre, aux yeux du spectateur, un contraste frappant avec la grande église. Destinée à recevoir les associations florissantes a cette époque (1888), elle était moins majestueuse mais combien plus chaleureuse!
Elle a accueilli en son sein des communautés hollandaises, portugaises et lettones. Des petits groupes venaient y célébrer l’Eucharistie à l’occasion d’anniversaires ou d’événements spéciaux; des clubs d’hommes d’affaires s’y sont réunis pendant quatorze ans pour assister à une messe suivie d’un déjeuner communautaire où près de 3,000 personnes se succédaient à chaque vendredi. De plus, comme plusieurs couples venaient y faire bénir leur union, on surnomma aussi cette chapelle la chapelle des mariages. Témoin de tant de serments, celle-ci fut malheureusement la proie des flammes le 8 décembre dernier (1978).
Face à ce désastre, le curé Fernand Lecavalier espère pouvoir restaurer tout ce qui est en mesure de l’être. Il a confié le déblaiement des décombres à un représentant du Musée des Beaux-Arts qui tente de préserver de l’action corrosive du froid toutes les œuvres d’art qui sont encore récupérables. Dernièrement, les marguilliers de la Fabrique de Notre-Dame ont résolu de reconstruire la chapelle du Sacré-Cœur. Aucun plan définitif n’est encore arrêté et le soin de décider de la reconstruction intégrale ou partielle de la chapelle a été confié à la maison Jodoin (Bernard Jodoin, architecture 1953), Lamarre (Denis Lamarre, architecture 1956), Pratte (Gérard Pratte, architecture 1954) et Associés.
Le curé Lecavalier a, par ailleurs, déjà reçu de nombreuses offres de la part d’artistes et d’artisans qui désirent mettre leur talent au service de Notre-Dame.
Quel que soit le destin de cette chapelle si attachante, monsieur le curé souhaite vivement que les enfants de tous ceux qui s’y sont mariés puissent un jour avoir le bonheur de célébrer leurs noces dans la même enceinte que leurs parents.
La Paroisse
Chère au cœur des Montréalais, Notre-Dame ne l’est pas seulement à cause de son architecture. En effet, pendant plus de deux siècles, elle fut la seule paroisse de Montréal. La lecture de ses registres nous fournit une source inestimable d’informations sur la vie et la mort de nos ancêtres. S’il est trop long d’énumérer toute la liste des manifestations qui s’y sont produites depuis sa fondation, rappelons quand même que tous les grands événements, tristes ou joyeux, ont trouvé écho à Notre-Dame. Qu’il s’agisse de grandes fêtes liturgiques, de fêtes nationales, de funérailles d’hommes célèbres, de jubilés épiscopaux, d’anniversaires ou d’une foule d’autres moments particulièrement intenses, Notre-Dame était et est toujours là.
Dans le quotidien de la vie spirituelle et religieuse. Notre-Dame s’exprime avec des accents tout aussi nobles. Chaque dimanche, à la messe de onze heures, les orgues nous livrent les beautés de la musique grégorienne. Ce faisant, elles perpétuent une tradition musicale et religieuse qu’il serait infiniment triste de voir mourir. D’ailleurs, dans un tel décor, tout ce qui est sublime prend une telle amplitude, une telle ardeur que l’âme s’élève d’elle-même vers tout ce qui est beau. Cela est tellement vrai que nombreux sont ceux qui voudraient bien avoir le privilège d’y donner un récital! Mais, de dire M. Lecavalier, seuls les concerts sacrés auront droit de cité à Notre-Dame.
La somptuosité de l’église ne doit pas nous faire oublier qu’elle est d’abord un lieu de culte et de méditation.
Vitraux historiques de Notre-Dame de Montréal. Photo : © V. Petrovskiy.
La nef de la Basilique. Photo : © V. Petrovskiy.

La façade de l’église au milieu du XIXe siècle. Gravure de l’époque.
Voir aussi :
vous avez malencontreusement omis, surement un oubli, de parler de l`œuvre de Jordi Bonnet dans les travaux de reconstruction de la chapelle du Sacré-Coeur.
De plus, pour votre gouverne le gros bourdon a un nom bien
québécois: Jean-Baptiste
merci à l`infini pour ce site hallucinant. si c`était un resto ca serait sans doute un 5 étoiles dans le guide Michelin
Hum… avez-vous lu le texte avec attention ?
Le sous-titre dit notamment : « Louise Desjardins, article paru dans la revue L’Interdit, janvier-février 1979, #267 ». La revue L’Interdit (disparue depuis une trentaine d’années) autorisait la reproduction de ses textes sous deux conditions bien logiques : citer la source et l’auteur, mais n’en changer rien dans le texte.
À notre avis, ce texte a une valeur historique. Quant aux erreurs et omissions possibles… il y existe de nombreuses manières de signaler ces lapsus aux lecteurs. Mais avant de procéder à la critique, il est fortement recommandable d’essayer de comprendre qui est l’auteur du texte à critiquer et la date de la parution de l’article reproduit sur notre site. Une approche gentil est d’ailleurs toujours à saluer.