Montréal, porte d’entrée aux Grands Lacs
Le mois de juin, 1959, marque la réalisation d’un projet historique, formulé d’abord par De Casson en 1860: celui d’un canal qui relierait les Grands Lacs à l’océan. La Reine du Canada et le Président des États-Unis ont présidé le 26 juin à l’inauguration officielle de la Voie Maritime du Saint-Laurent et des Grands Lacs. Cet aménagement a amené la suppression, entre Montréal et Prescott, du goulot d’étranglement où le chenal n’avait que 14 pieds de profondeur, ainsi que le remplacement des 21 écluses démodées par 7 écluses modernes, plus grandes. La voie, longue de 125 milles, se trouve entièrement au Canada, à l’exception d’une partie de la Section Internationale des Rapides, longue de 35 milles, de Cornwall à Iroquois.
La Voie Maritime rendra les lacs accessibles depuis l’océan et ouvrira aux industries et aux économies canadienne et américaine en général, des perspectives d’expansion comparables en importance à celles qui suivirent l’extension des chemins de fer à l’ouest. Elle permettra ainsi de resserrer des liens qui unissent le tiers des habitants du globe.
Le bateau est le courtier de la Voie Maritime.
Les océaniques d’environ 9000 tonnes monteront jusqu’aux Grands Lacs tandis que des cargos spéciaux, appelés « lakers », de 25,000 tonnes, descendront depuis les lacs jusqu’à l’océan. Ces derniers, longs de 700 pieds, étaient jusqu’à maintenant, en raison de leur taille, enfermés dans les lacs ; ils ne pouvaient aller plus loin que Prescott.
Cependant nous sommes convaincus que, grâce à la Voie Maritime, Montréal deviendra de plus en plus un point de transbordement tant pour le trafic de l’océan que pour celui des lacs. Désormais, nous verrons venir dans notre port, un type de bateau autrefois réservé aux Grands Lacs. Ce sont les « lakers », longs de 700 pieds, soit à peu près trois fois la longueur d’un « canaler », et capables de porter de 6 à 7 fois plus de cargaison.
Certains océaniques ayant les dimensions requises remonteront la. Voie Maritime ; ils le font déjà.
Les transatlantiques la remonteront d’une manière économique s’ils ont une cargaison à déposer à un point donné et à condition d’être assurés d’une cargaison maximum à ce point au retour.
Même s’il est certain que la plupart des « lakers » descendront désormais à Montréal, ou aux ports du Saint-Laurent, il ne s’ensuit pas forcément que tous les cargos océaniques remonteront le Saint-Laurent jusqu’aux ports de l’intérieur au-delà de Montréal. Sauf dans les cas mentionnés ci-dessus, il semblerait peu rentable pour un paquebot océanique d’entrer en compétition avec un « laker ». Un cargo océanique ayant les dimensions requises transporte moins de la moitié de la cargaison maximum d’un « laker ».
Ce dernier est bien mieux équipé pour être chargé et déchargé aux lacs. Son équipage est moins nombreux ; il sera moins affecté par la vitesse réduite imposée dans le canal. En un mot, il semble évident que les « lakers » maintiendront leur supériorité dans les lacs tandis que les paquebots océaniques garderont la souveraineté des mers.
Le port de Montréal devrait s’accroître autrement que par une augmentation du genre de cargaison qu’il manipule actuellement.
Aujourd’hui,ce port joue surtout un rôle local et régional, car la région de Montréal produit, absorbe, modifie ou consomme la plus grosse partie des marchandises en provenance ou à destination de son port.
Son plus grand problème sera non pas de conserver sa part du trafic actuel, mais de se procurer une part du trafic accru de demain.
Les diverses études sur la Voie Maritime ont tendance à affirmer que, à certaines conditions et après quelques années de fonctionnement, la Voie Maritime profitera très vraisemblablement au port de Montréal. Une augmentation importante se ferait sentir dans le volume des grains transportés et l’on envisage une petite augmentation dans le tonnage des marchandises diverses.
Pour le minerai de fer, le pétrole, le charbon et la pâte de bois, il n’y aurait pas de changement, tandis que pour le minerai non-ferreux, il y aurait une légère perte de tonnage.
Somme toute, les changements de trafic qui nous paraissent être les plus probables, favoriseront l’activité du port de Montréal.
Les possibilités actuelles du port sont certainement adéquates pour le trafic d’aujourd’hui, mais l’avènement de la Voie Maritime rend nécessaires de nombreuses transformations. Le coût du programme d’aménagement s’élève à plusieurs millions de dollars. Les améliorations sont conçues non seulement en fonction de l’augmentation du trafic de transbordement dans le port, mais aussi pour répondre aux exigences de la vie économique de la région de Montréal et de son expansion rapide. La plus grosse somme comprise dans le budget est destinée à l’amélioration du fonctionnement des élévateurs du port. D’autres sommes importantes sont consacrées à la construction de nouveaux quais et jetées, de nouveaux entrepôts, ainsi qu’au dragage des chenaux.
Aujourd’hui le projet de reconstruction du port de Montréal est en voie de réalisation et comprend déjà :
- un allongement des quais existants de 11,000 pieds, soit une augmentation de 21% ;
- une addition de 3,300,000 pieds carrés à l’espace actuellement disponible ;
- un agrandissement des entrepôts de 547,000 pieds carrés, soit une augmentation de 20% ;
- 3 quais de déchargement devant les élévateurs à grain pour les gros bateaux des lacs ;
- une augmentation de 1,600,000 boisseaux de la capacité d’entreposage des grains, soit une augmentation de 10% ;
Le projet de reconstruction complet prévoit en outre :
- la construction de nouveaux entrepôts, augmentant la surface disponible de 260,000 pieds carrés ;
- la construction d’un élévateur à grain ayant une capacité d’entreposage de 5,000,000 de boisseaux ;
- la construction d’un quai de déchargement pour les grands « lakers ».
- la construction de deux autres quais de chargement.
Le programme complet de reconstruction répondra aux exigences de la Voie Maritime et à celles de l’expansion locale. En tout et pour tout, Montréal envisage avec confiance la Voie Maritime.
L’on pense et l’on espère que la voie navigable canadienne du Saint-Laurent, vieille d’un siècle, deviendra à son tour, avec les années, l’une des principales voies d’eau de nos voisins américains.
À l’extrémité ouest de la Voie Maritime se trouve une région qui, d’une économie agricole élémentaire, est devenue la plus grande concentration d’industrie lourde du monde. Son essor industriel s’est fait au prix de l’épuisement de la plupart des ressources naturelles sur lesquelles son industrie est basée.

À l’extrémité est, tout près de la Voie Maritime, il existe dans le Québec relativement peu exploité et dans l’est du Canada, un trésor de ressources naturelles dont l’exploitation sera facilitée par la création de la Voie Maritime du Saint-Laurent, ce qui permettra de pallier l’insuffisance du centre du continent. Dans le nord du Québec s’étend ce qui est peut-être le plus grand gisement de minerai de fer du monde entier.
Quelques 18 sociétés y extraient actuellement du minerai de fer sur une zone de 200 milles carrés qui s’étend du lac Mistassini jusqu’à l’Auge de l’Ungava. On a découvert des gisements de métaux basiques (cuivre, zinc et une certaine quantité de plomb) au Nouveau-Brunswick, et au centre du Québec, ainsi que du manganèse au Nouveau-Brunswick. Des terres rares et des oxydes de titane se trouvent sur la rive nord du Saint-Laurent. Les pyrites du Nouveau-Brunswick ouvrent d’importantes possibilités pour la fabrication de l’acide sulfurique, ce qui amènera probablement une implantation d’industries chimiques sur la rive sud de Montréal; en outre, grâce à l’amiante canadien et aux dépôts de gypse de la Nouvelle-Écosse, une ère nouvelle s’ouvre pour l’est du Canada.
Cette analyse rapide des territoires limitrophes à l’est et à l’ouest de la Voie Maritime nous mène à examiner cette question pertinente: Que fera la Voie Maritime pour Montréal? Sur ce point, diverses réponses, les unes optimistes, les autres pessimistes, sont données par différents groupes.
La vraie réponse vient des groupes du centre. Ils disent que la Voie Maritime ne fera rien pour personne ; qu’elle renferme simplement des possibilités dont la réalisation dépend des décisions prises et des réactions. La question devrait plutôt se lire : Que fera Montréal de la Voie Maritime ?
Abandonnons ces visions de bénéfices spontanés ou d’échec total et rendons-nous compte que nous devons faire face à la réalité, et nous préparer aux nombreuses tâches que la Voie Maritime exigera de nous.
Les nombreux facteurs qui favorisent une région doivent être mis en valeur. Le commerce et l’industrie sont favorisés par la situation géographique de Montréal à la tête du chenal de 35 pieds sur le Saint-Laurent, et au cœur d’un réseau de transport, tant sur terre que sur eau, qui s’étend à travers tout le Canada et les États-Unis.
Les ressources naturelles de la région de Montréal, bien qu’elles ne fussent pas inconnues, n’avaient pas été pleinement exploitées jusqu’ici. Les forêts abondent et ne sont certainement pas exploitées au maximum. L’on pense que la Voie Maritime jouera un rôle important dans le développement de l’industrie forestière, car elle fournira des possibilités d’écoulement au cœur du Canada et des États-Unis. Il en va de même pour les gisements.
À vrai dire, la présence du minerai de fer a été un facteur important en faveur de la création de la Voie Maritime.
Pour lui permettre de prendre part à l’expansion prévue, la région de Montréal a à sa disposition une très grande quantité d’énergie hydroélectrique.
En fait, 40% du potentiel canadien d’énergie hydro-électrique se trouve dans la Province de Québec et est disponible dans la région de Montréal.
Une situation géographique de choix, sa qualité de grand port, une abondance de ressources naturelles et de main-d’œuvre font de Montréal un important centre industriel à venir, qui, d’ores et déjà, attire nombre d’industries nouvelles.
Il semble que sous peu l’on verra dans la région une concentration de l’industrie lourde. Ceci paraît évident quand on songe aux raffineries de Montréal-Est, aux usines de Saint-Laurent, de Lachine et de Ville-Lasalle et aux projets de la rive sud, où un véritable royaume de l’industrie chimique est en train de s’édifier, et à d’autres usines encore à venir.
La région de Montréal connaît une expansion dans tous les sens, expansion qui devait forcément s’effectuer tôt ou tard mais sur laquelle le projet de la Voie Maritime a agi comme un catalyseur.
Compte tenu de tout ce que l’on vient de dire, il s’ensuit que les Montréalais doivent éviter de se montrer trop optimistes ou trop pessimistes au sujet de l’avenir de leur ville. Il faut être réalistes, voir les nombreux éléments qui nous favorisent et reconnaître que, en plus de ceux-là, notre bien-être sera conditionné par de nombreux autres facteurs. Parmi eux se trouvent la nécessité d’un programme de recherches et de développement pour analyser les effets, sur la ville, des différents aspects de sa croissance, et pour développer les nombreux avantages qu’offre la ville pour le commerce et l’industrie. L’Office d’initiative économique (section du port) de la cité de Montréal s’occupe d’élaborer un programme de ce genre en étroite collaboration avec les autorités gouvernementales et avec différents corps publics.
L’avenir de Montréal nous paraît brillant mais nous nous rendons compte qu’il faut s’y préparer. L’apport de la Voie Maritime à tous ceux, Canadiens ou Américains, qui se trouvent sur ses bords, sera en relation étroite avec l’aptitude des villes ou des régions à comprendre les nombreux problèmes et défis qu’elle est certaine de leur présenter,
Par Raymond Vaillancourt, B.Sc., texte publié dans l’Action Universitaire, en août 1959.

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