1832 : Les Fils de la liberté et l’émeute de Montréal
La lutte pour le pouvoir que, depuis vingt-cinq ans, menait la chambre base, élue par le peuple, contre le gouvernement nommé par Londres, ne pouvait aboutir qu’à la révolution.
Le parti de la réforme — les Canadiens dirigés par Papineau — donna naissance à une association populaire, connue sous le nom de « Fils de la Liberté ». Fondée en 1832 par André Ouimet, de Montréal, à la suite des troubles de mai, la société se composait de jeunes gens, ardents patriotes, choisis dans tous les milieux, pour appuyer par la parole, les écrits et, au besoin, par l’action, la campagne de redressement politique et social entreprise au parlement.
Les « Fils de la Liberté était une association politique des jeunes, guidés par les anciens, et leur action comme leur influence furent plus grandes qu’on ne le croit généralement. Établi d’abord comme centre d’étude et de préparation aux luttes politiques, le groupement orienta vite les jeunes vers l’action démonstrative et populaire.
Ils trouvèrent là l’occasion de manifester leur patriotisme exubérant et d’exercer leur besoin d’activité. Pour quelque temps, on se contenta d’étudier, de se préparer, de parader. Jusqu’en 1836, les Fils de la Liberté formèrent une sorte de club social-politique, s’endoctrinant de la mystique nationaliste intégrale, que les vieux parlementaires cultivaient alors en chambre et répandaient dans le public.
De leur côté, Ludger Duvernay, dans la Minerve, l’Irlandais Tracey, dans le Vindicator menaient déjà campagne de presse pour appuyer dans l’opinion publique les revendications politiques de la députation.
C’est en 1832 que la bataille politique, commencée au parlement, se continua dans la rue. Au cours d’une élection dans le quartier ouest de Montréal, où le Dr Tracey se fit élire par 2 ou 3 de majorité sur son adversaire Stanley Bagg, le parti anglais, fort de l’appui pour le moins officieux du gouvernement, se montra particulièrement violent et provocateur. Les Canadiens ne sont pas moins résolus à ne pas s’en laisser imposer et les bagarres terminent les discussions politiques. Tout de suite on veut croire à une émeute et on fait appel à la force armée sous prétexte de rétablir l’ordre.
Un détachement du 15e Régiment de la garnison est aussitôt envoyé sur les lieux pour disperser la foule. De malencontreux coups de feu par les soldats firent deux victimes et achevèrent d’exaspérer les gens. Le lieutenant-colonel McIntosh et le capitaine Temple, que l’on prétendait avoir commandé le feu, furent accusés de meurtre et mis aux arrêts. (Le mandat contre les officiers en cause avait été émis par le magistrat de police, Roy, que le gouverneur Aylmer voulut rayer de la magistrature pour cela. Évidemment bien des gens perdirent la tête en cette malheureuse affaire).
Cette procédure envers deux officiers paraissait pour le moins extraordinaire et les magistrats, guidés en cette affaire par le juge en chef Reid, ordonnèrent la levée d’écrou des officiers incriminés. On s’en prit alors aux magistrats eux-mêmes, les sieurs Robertson et Lukin, auxquels on imputa la responsabilité des accusés remis en liberté, et on les accusa eux-mêmes de meurtre.
Cette fois la procédure était ridicule et le grand jury rejeta l’accusation. Le public, tenu au courant des événements par la Minerve et « l’Ami du peuple », continua de s’agiter.
L’effervescence populaire obligea le parlement à faire enquête sur ce qu’on appelait l’émeute de Montréal, pour en connaître les causes, le caractère et en prévoir les conséquences. On fit beaucoup de bruit, sans résultat.
Le lieutenant-colonel McIntosh reçut cependant son congé et repassa en Angleterre.
Au cours d’une visite à Montréal, lord Aylmer constata que le public était toujours en agitation. Le parti anglais, dit-il, a des craintes au sujet des mesures que pourra prendre le parti de Papineau. » Le gouverneur souhaitait la formation d’un troisième parti, « combinant, comme il disait, tout ce qu’il y a d’hommes de talents et respectables parmi les Canadiens et les Anglais. » Aylmer oubliait que les tiers partis ne sont possibles que lorsque ceux du pouvoir et de l’opposition ne s’opposent que par une politique d’opportunisme et de nuance. Mais le caractère tranché des deux groupes, qui se faisaient alors une lutte à mort, ne devait pas permettre à un troisième de s’affirmer avec succès. En temps de crise politique, les modérés prennent figure de défaitistes et sont voués à un échec. L’utopie du gouverneur ne se réalisa donc point.
(Camille Bertrand, Histoire de Montréal).
