Corruption municipale en 1909 : La Commission royale d’enquête sur les services municipaux. Le juge Cannon blâme huit échevins ainsi que de nombreux fonctionnaires et ex-fonctionnaires
L’honorable juge L. A. Cannon déposait auprès du premier ministre sir Lomer Gouin, au matin du 13 décembre 1909, son rapport tant attendu sur la corruption municipale après des mois d’enquête dans les différents services municipaux.
Au cours de son enquête, le juge Cannon avait réussi à mettre en lumière toute une série de tractations impliquant des échevins et/ou des fonctionnaires municipaux, à étaler aux yeux du public de nombreux exemples de l’indifférence qui s’était installée à l’hôtel de ville, en plus de démontrer à quel point les contribuables avaient été lésés par le gaspillage d’argent et le versement de pots-de-vin dont ils devraient faire les frais, en bout de ligne, sous la forme de coûts plus élevés ou de travaux à reprendre à des coûts additionnels, soit parce qu’ils avaient été mal faits, soit parce qu’on n’avait utilisé des matériaux de la qualité prévue. Selon le juge Cannon, ce gaspillage pouvait représenter jusqu’à 25% du budget de dépenses de la ville de Montréal.
Et le juge en venait à la conclusion que des poursuites civiles et criminelles pouvaient être entreprises contre les personnes incriminées, qui étaient en même temps condamnées à payer une partie des frais de l’enquête.
On avait entrepris cette enquête à la suite des nombreuses interventions de M. E. W. Villeneuve, l’âme dirigeante du Comité des citoyens, appuyé par deux avocats réputés, Mes. N. M. Laflamme, c.r., et J. L. Perron, c.r. également.
Des exemples
Le texte du rapport du juge Cannon est trop long, de sorte qu’il faudra forcement se contenter de quelques exemples, qui éclaireront néanmoins le lecteur sur le genre de pots-de-vin et de patronage en vigueur:
- Abandon des poursuites par la police sans raison valable et à l’encontre du Code pénal, entreprises contre des tenanciers de maisons de prostitution, de maisons de jeux et d’endroits où on vendait illégalement des boissons alcoolisés le dimanche.
- Substitution de colonnes de bois recouvertes de béton aux colonnes d’acier prévues au devis lors de la construction du poste de police #18.
- Toujours au même poste de police, on devait découvrir que le bâtiment comportait 10 pieds de moins que prévu aux plans sur la longueur, et trois pieds de moins sur la largueur.
- Favoritisme et patronage dans l’attribution du contrat de construction du poste de police #13. Notons que la commission de la police était sous la responsabilité de l’échevin W.J. Proulx, que l’on blâme sévèrement dans le rapport.
- Patronage dans l’enlèvement de la neige, qui se traduit par une augmentation inutile de 50% des coûts.
- Fraude qui aurait coûté des centaines de milliers de dollars à la Ville. Qui aurait été dirigée par deux entrepreneurs. Ils auraient utilisé leur influence pour obtenir des contrats, pour ensuite soumettre des comptés à des coûts gonflés.
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- Attribution de contrats à une entreprise détenue en copropriété par le frère d’un conseiller municipal, et formée seulement après le début de l’enquête. Dans le même ordre d’idée, un entrepreneur obtient de nombreux contrats municipaux après qu’il eut prit comme partenaire dans son entreprise la femme d’un échevin.
- Utilisation de vieilles briques dans la construction d’un égout.
- Toujours au chapitre des égouts. Le juge a découvert que quelqu’un avait gonflé une facture de 50% sans aucune raison valable. En guise de défense, les fonctionnaires avaient affirmé que la différence s’expliquait facilement. C’était le fait que la ville avait déroulé la construction en hiver, explication non retenue par le juge.
- Pots-de-vin à des échevins pour l’obtention d’un emploi ou d’une promotion dans le service de la police. Ainsi que dans celui des pompiers.
- De nombreux exemples de paiement de pots-de-vin pour l’obtention d’un contrat. Cela grâce à l’intervention d’un échevin qui fait éliminer mystérieusement le plus bas soumissionnaire.
- Adjudication d’un contrat à une entreprise à la condition qu’elle consente un sous-contrat à une entreprise, propriété d’un échevin (Comme par hasard par l’ensemble des travaux).
- Abus et irrégularités dans la facturation de la Montreal Light, Heat and Power Company. À partir du 1er janvier 1909, elle chargeait le prix qu’elle voulait bien.
Il ne s’agit là, évidemment, que d’un échantillonnage des nombreux cas relevés par le juge Cannon dans son rapport.
(Note de GrandQuébec.com: si la corruption municipale n’est pas un phénomène récent, elle n’a pas disparue non plus).
