Chronique judiciaire du 22 août 1940 par Léonard G. Archambault (journal Le Canada, 23 août 1940)
Ces nouvelles, cette chronique témoigne des événements dans le monde du crime et du délit à Montréal en août 1940.
« Montevideo », avec « Bambinella » et un « Cœur en Chômage »
Marchand de musique mis à l’amende pour avoir plagié Ventura, Fox et Scotto
Il y avait de la musique dans l’air, hier, en correctionnelle, devant le juge Rodolphe De Serres, à la comparution de Maurice Jubinville, propriétaire du « Maisonneuve Music Store », 2055 est, rue Ontario, accusé d’avoir plagié dix chansons populaires, lesquelles sont en vente à la seule maison Éd. Archambault, 500 est, rue Sainte-Catherine, propriétaire des droits d’auteur au Canada. Me. Lucien Tremblay, avocat de la défense, enregistra un aveu de culpabilité et déclara que la poursuite était satisfaite d’une amende de $1, du paiement et des frais et de la saisie des copies trouvées au magasin de Jubinville. Le tribunal imposa donc l’amende suggérée.
Plus de 5,000 copies de chansons, de matrices, des clichés et des contreparties ont été saisies par la police, dans une descente effectuée mercredi après-midi. La lecture de l’accusation donna lieu à quelques incidents qui amusèrent les avocats présents à l’audience. Ainsi, juste au moment où deux jolies femmes entraient pour se placer sur les banquettes, Me Ovide Leclerc, greffier, était a dire « Mon Cœur est en Chômage ». Les visiteuses, surprises, n’en croyaient pas leurs oreilles, mais le greffier poursuivit: « Je t’aime », pour ensuite dire, un jeu timide: « Je n’aime que vous au monde ».
Disons, en toute justice pour Me Leclerc, qu’il énumérait les chansons imprimées et vendues illégalement par l’inculpé à la barre. La liste comporte aussi les airs connus qui suivent: « Y’a les Fleurs », « Beer Barrel Polka » (ce qui fit sursauter un avocat de la Régie), « Bambinella », « La Valse du Village », « Souvenir d’un beau jour de Marché » avec un auteur qui a le nom prétesté de Pillard, et enfin « Montevideo » par Feldman (non syndiquée).
M. Camille Duquette, gérant de la maison Archambault, était à l’audience et déclarait aux journalistes que les chanteurs populaires Ray Ventura, Tino Rossi, Vincent Rose, Vincent Scotto et Sam Fox, doivent être protégés. Le code pénal impose une sanction rigoureuse dans les cas de récidive, et l’amende peut aller jusqu’à $50. Les exemplaires saisis ont été brûlés et un agent de police se mit à fredonner, à la lueur du bûcher, « Quand l’amour meurt ».
Cour supérieure du Québec, division pratique, le 22 août 1940
Président : l’honorable Juge Demers. Let jugements suivants furent rendus:
Adrien Jasmin contre Joseph Jasmin et autres et G.-A. Terrault, m.e.c.; jugement ordonnant licitation dudit immeuble.
Lionel Lebel Automobile Inc. Contre Hector Routhier et Odilon E. Gullbeault, m.e.c.; jugement autorisant demanderesses à examiner ledit mis-en-cause, etc.
Roger Robert contre I. Charruck et W. Leskow. m.e.c; jugement ordonnant au tiers-saisi de déposer, etc.
Dame Yvonne Audet contre Alfred Duchesne: jugement autorisant requérante à ester en justice in forma pauperis.
H. Seilgman contre Samuel Mark Newman et Charles Newman, tiers-saisi: jugement ordonnant au tiers-saisi de renouveler sa déclaration, etc.
Dame Gllherte Piché contre Léopold Beauchamp: jugement autorisant requérante à ester en justice.
Dame Jeannine Vermette contre Joseph-Wllfrld-Roméo. Rivet: jugement en séparation de biens, etc.
Dame Emily Wigston, requérante Jugement autorisant requérante à ester en justice, etc.
Dame Rose Anna Paradis contre J.- Alfred Rousseau: iugement accordant requête et relevant le défendeur de la forclusion.
Phllias Giariépy contre W. Quevillon et Wlllie Quevillon, opposant jugement
ordonnant à l’opposant de comparaître, etc.
Lucien Doin contre Hector Meunier: jugement pour $327.50 avec intérêts et dépens.
Dame Poméla allias Emma Landry contre Dame Mathias Lévesque et autres: jugement pour $95 avec intérêts et dépens.
Raoul Senécal contre Rolland Brunet et autres: jugement condamnant chacun des défendeurs à payer au demandeur une pension alimentaire de $2 par semaine, etc.
Mae Doyle contre Frank A. Copas : jugement accordant requête pour autorisation à ester en justice, etc.
De L. Devenlsh et vir et autres contre Corona Hotel et autres: jugement accordant motion pour cautionnement pour frais et procuration, etc
Dame Rhoda Marjorie Gore contre George Steele: jugement ordonnant à l’intimé de produire déclaration assermentée, etc.
Taft Oil Burner Co. contre V. Trudeau: jugement ordonnant au défendeur de déclarer, etc.
Dame Emilienne Bouchard contre G. J Maguire: jugement autorisant requérante à ester en justice, etc.
Marie Guillere contre Jean Caudal: jugement condamnant le défendeur à payer pension alimentaire de $10 par semaine, etc.
Courez, mais ne glissez pas
La police judiciaire provinciale, sur l’ordre de son directeur. Me Marcel Gaboury, et de son adjoint, M. Louis Jargaille. vidait deux tripots, mercredi après-midi, dans la série des descentes chez les preneurs au livre. Hier, devant le juge Rodolphe De Serres, Me Rosario Richer, avocat de la défense, fit des aveux pour 16 amateurs de turf « invisible » et deux tenanciers de maison de paris. Les amendes habituelles ont été imposées et un « clic » de $300 réveilla le tiroir-caisse du griffe de la Paix.
Le Danois Hansen incarcéré pour tout un semestre
Pseudo-capitaine de navire qui avait lancé de fausses rumeurs dans un cercle de vétérans
Harold Robert Hanson dit Patterson, 56 ans, arrête par le capotai Clovis Desaulniers, de la police fédérale, lorsqu’il annonça à des vétérans, dans un club select de l’ouest do la ville, que le roi George VI allait abdiquer, revenait hier devant le juge F. T. Enright, entendre le prononcé de sa sentence, après avoir été déclaré coupable d’avoir enfreint la loi de la défense du Canada, la semaine dernière, à la fin d’une audience mouvementée et où Me Orner Legrand, C.R., avocat du ministère public, fit témoigner quatre anciens soldats de l’armée canadienne et deux de l’armée impériale, pour prouver le délit reproché à Patterson.
Le prévenu, qui arriva dans le club vêtu de l’uniforme de la marine marchande royale, fut tout d’abord porté en triomphe lorsqu’il annonça avoir coulé un sous-marin italien dans la Méditerranée. Mais le « pôvre » mathurin se fit presque déshabiller et lyncher par les dames présentes, lorsqu’il fit cette sensationnelle déclaration qu’il venait de recevoir à son bord un câblogramme lui annonçant l’abdication du souverain. Et la police prouva que le coulage du sous-marin était pure invention attribuable a l’absorption de vingt bouteilles de bière.
Hier, le juge Enright condamna Patterson « alias » Hansen à une peine de prison de six mois, non sans déclarer : —C’est la méthode de propagande allemande de se servir de gens stupides pour répandre les fausses rumeurs qui ont causé les désastres que l’on sait en Europe. Vous êtes un homme dangereux. Je ne sais pas si les nazis ont « considéré’ votre acte, mais je vais le considérer en vous envoyant en prison pour six mois.
Après le prononcé de la sentence, Me Paul Hardy, avocat de la défense, s’est approché du juge Enright et lui a demandé :
—Puis-je remettre ces chèques au prisonnier?
Le tribunal sursauta, mais voyant Me Hardy qui déployait trois chèques, il demanda :
—Mais pourquoi remettre ces chèques ?
—Ce sont mes honoraires, de dire l’avocat, très sérieux et d’un air résigné.
—Je comprends, la banque vous les a retournes ? demande le juge.
—Oui, mais pas S.O.S., plutôt N. S.F., souligne Me Hardy.
Billets de banque qui se multiplient
Deux détectives arrivent à temps pour sauver $2,200 à un trop naïf Montréalais
Benjamin Hamer, 41 ans, de Windsor. Ontario, et Max Dotman, 45 ans, 4145, rue Saint-Urbain, ont comparu hier, devant le juge Rodolphe De Serres, sous une accusation de conspiration dans le but de voler la jolie somme de $2,200 à un citoyen de Montréal, qui ne vend pourtant pas de poires, au moyen d’une invention merveilleuse qui pouvait fabriquer les billets de banque, peu importe la dénomination en criant « Bean ».
II s’agirait d’un appareil à rayons ultra-argent… qui triplerait et même quituplerait le billet de banque photographie dans la plus stricte noirceur, mais toujours en l’absence de celui qui fournit les originaux. Le plaignant a admis aux sergents-détectives Black et Brisson, qui en ont vu bien d’autres dans c monde des « rackets », qu’à leur arrivée il était sur le point de courir a la banque retirer ses $2,200 et les faire se multiplier par la photographie nouvelle. Le tribunal a fixé l’enquête judiciaire au 29 août.
L’auto d’un major et deux jeunesses
Édouard Laviolette, 3420 rue Des Érables, et Charles Lussier, 3520, rue Messier, accusés de vol et de recel d’automobile, allaient avouer un délit qui les rend passibles d’une peine de prison minimum de 12 mois, à la prison commune, hier, devant le juge Rodolphe DeSerres. lorsque Me Paul Désy, avocat de la défense, déclara nu tribunal:
– Je suggère humblement un amendement à la plainte. Les prisonniers ne sont pas des voleurs. Ils ont probablement trop bu avec des amis, dans un mess local. À leur sortie d’une caserne, ils se sont payés une tournée joyeuse avec l’auto du major Roger Danust, 1621 ouest, rue Bernard. Le tribunal peut se montrer clément.
Après avoir consulté l’officier de liaison pour la police municipale, le juge De Serres décrète:
Que le greffier amende l’accusation en un chef de tentative de vol. Encore deux jeunes gens qui ont manqué de jugement.
Nous nous déclarons coupables, dit Me Désy. Temps en prison, conclut le tribunal.
Accusé d’avoir battu sa mère
Trois-Rivières. 22 août (Du correspondant du Canada). – Wilfrid Dupaul, jeune homme de 20 ans, de St-Grégoire de Nicolet, a comparu hier devant le juge Léon Lajoie, sur l’accusation d’avoir battu sa mère, Mme Veuve Joseph Dupaul, et de lui avoir fait «des blessures corporelles». Le jeune homme n’a pas voulu avouer ce crime et sa cause a été remise au 29 août prochain. L’arrestation a été opérée sur un mandat signé par l’assistant-inspecteur de la Sûreté provinciale, M. Louis-Philippe Laroche.
Bébé « enregistré » pour annoncer le Baby’s Own
Cas typique d’escroquerie. Les suspects commençaient par demander des offrandes de messes
Paul Gagnon et son comparse Aurèle Fougère, deux escrocs de la photographie « enregistrée », ont été déclares coupables, hier, par le juge [ J.-C. Langlois, après un savoureux procès au cours duquel Me Antoine Senécal, C.R., avocat du ministère public, révéla au tribunal des faits simplement renversants.
Ainsi, avant de tenter le truc de la photo, nos deux larrons ont visité une trentaine de braves ménagères et obtenu de l’une trois sous, de l’autre dix, toujours avec leur signature et en « offrande à la bonne sainte Anne pour des messes ». Puis, comme une victime l’a expliqué au tribunal, Mme Édouard Poirier, les deux inculpés revinrent quelques jours plus tard afin d’obtenir « le plus beau portrait » de la maison. Mais laissons parler le témoin, femme brune, jeune et jolie, qui n’a pas encore 25 ans:
–J’ai donné un dollar à ces messieurs (?) pour faire « enregistrer » le portrait de mon bébé.
Me Senécal produit la photo d’un amour de bébé et demande a la mère:
–On voulait « enregistrer» cette photo?
–C’est ce qu’il» m’ont dit. Je payai Gagnon, qui dans le temps signait Bégin, et j’attendis mon « enregistrement ». Ils sont revenus le 14 mai dernier pour avoir $1.50, cette fois afin de payer un boîtier. Moi je ne connais pas ça, un boîtier, et je refusai. L’un des deux me dit: « Mais, madame, avec un boitiez vous pouvez gagner $250, et je dois vous apprendre que la photo de votre bébé a été choisie par la maison « Baby’s Own » afin d’annoncer son savon. Us disaient représenter le studio des Arts Canadiens. Bien plus, Votre Honneur, le nommé Gagnon, qui signait Bégin, m’a conseille de payer le boitiier à cachette de mon mari, me disant que plusieurs jeunes femmes avaient acheté de cette façon. Entendu que j’ai refusé, hein!
À ce stage. Me Senécal, qui croit en avoir suffisamment, mais ne veut pas manquer ses « photographes », demande à madame Poirier:
–Votre mari a-t-il un bon salaire?
–Il gagne dix-huit piastres par semaine.
–Auriez-vous donné un dollar à Gagnon, qui signait Bégin, si vous aviez su qu’il utilisait un faux nom? –Jamais, au grand jamais !
Le juge Langlois n’hésite pas à déclarer les inculpés coupables et ajourne le prononcé de la sentence au 27 août.
(C’est arrivé à Montréal en août 1940).
Voir aussi :