Aperçus topographiques et économiques de Montréal

Aperçus topographiques et économiques de la ville de Montréal vers la fin du XVIIe siècle

Montréal avait grandi surtout durant la décade de 1665 à 1675. La ville proprement dite formait un quadrilatère, compris entre le fleuve et la rue Saint-Jacques, et s’étendait à peu près de la rue Saint-Pierre à la rue Saint-Gabriel. C’était là du moins son territoire délimité pour le centre strictement urbain. En dehors de ces limites, la ville se continuait sur les terres défrichées, formant prolongement dans les directions sud-est et nord-ouest, jusqu’à la ferme Saint-Gabriel et la contrée Saint-Joseph d’un côté, et les terres de Sainte-Marie et le coteau Saint-Louis de l’autre.

Cette population urbaine et rurale ne formait qu’un seul gouvernement municipal, qu’une seule organisation paroissiale. Tous étaient appelés habitants de Montréal, mélange de citadins et d’agriculteurs.

En 1672, M. Dollier de Casson, pour donner à la ville son caractère particulier, en fit dresser un plan, indiquant les rues et terrains concédés.

Pour corriger les défectuosités d’enlignement des premières concessions, faites un peu au hasard des besoins immédiats, il fit homologuer, dans la mesure du possible, et verbaliser les voies publiques existantes, de ce qu’on appelait alors la haute ville, entre les rues Saint-Pierre et Saint-Gabriel.

La Place d’Armes était alors et est restée depuis le centre le plus important de la ville.

Les noms de Pierre, Paul, Jacques, Vincent, Gabriel, Lambert, etc., que l’on voit sur la carte avaient été donnés en souvenir des personnages importants de ces premiers temps: Pierre de Fancamp, Paul de Chomedey, Jacques Le Ber, Vincent de Hautmesnil, Gabriel de Queylus, Lambert Closse.

Mais la substitution de leurs homonymes canonisés ne rappelle plus le souvenir de ces temps héroïques.

Le progrès rapide de l’établissement montréalais avait été suivi de la rareté de l’argent monnayé — on ne parlait pas encore de papier-monnaie. La plupart des nouveaux venus n’étaient pas riches et n’avaient même pas toujours les moyens financiers pour subvenir à tous leurs besoins. Les espèces courantes prirent, de là, une plus-value de 25 à 30 pour cent, et les échanges commerciaux en furent d’autant paralysés.

Pour obvier aux inconvénients de la crise du numéraire, on imagina le moyen des échanges de marchandises. Une ordonnance du Conseil Supérieur généralisa ce mode de payement des créances, même des impôts; légalisa, et, dans certains cas, rendit obligatoire l’acquittement des dettes par des livraisons de blés ou d’autres graminées. Le blé, denrée de première nécessité, était devenu une monnaie courante.

Il est intéressant de constater que nos ancêtres avaient trouvé un moyen efficace de corriger un inconvénient d’un élément commode, mais factice et conventionnel de l’économie générale. L’argent ne voulait plus servir, on décida de s’en passer. On demanda à la terre et la terre produisit ce qu’elle ne refuse jamais de donner au travail: la monnaie de blé qui fait vivre celui qui s’en sert et ne peut s’entasser éternellement dans les coffres de l’avare.

Le blé et les fourrures étaient les deux principaux articles avec lesquels on pouvait, dans ce temps-là, se procurer toutes sortes de nécessités. Après trois siècles de civilisation, nous, les descendants de ces habitants simples, naïfs, mais francs comme l’épée du roi, n’avons-nous pas singulièrement compliqué la vie, souvent au détriment du grand nombre, pour le seul bénéfice de quelques-uns? . . .

Mais l’histoire n’aura jamais de leçons que pour ceux qui veulent les recevoir.

Quoi qu’il en soit de tout cela, il paraîtra intéressant de connaître les prix moyens d’alors de certains articles de première nécessité, et la valeur que représentait la journée de travail dans les divers métiers. Le blé, que l’on avait réussi à acclimater dès le début au sol canadien, se vendait de trois à quatre livres le boisseau.  Le Conseil Supérieur obligeait les créanciers à le recevoir à ce taux en payement de leur dû; les pois se vendaient de cinq à six livres; le beurre valait, selon la saison, de douze à quinze sols; un bœuf, bon pour la boucherie, était payé environ deux cents livres; un porc, de quarante à soixante livres. La planche, préparée à la main, se vendait de quarante à cinquante livres le mille pieds.

La journée de travail, de dix à douze heures, d’un maçon, d’un charpentier, d’un menuisier, était payée quarante ou cinquante sous; celle du manœuvre, ou journalier, vingt à vingt-cinq sous. Les domestiques, généralement engagés par contrat de longue durée, recevaient annuellement trente à quarante-cinq écus; les employés des fermes donnaient tout leur temps pour un salaire quotidien de trente à quarante sous et leur nourriture.

La justice intervenait souvent dans ces questions de salaires. Ainsi le 17 octobre 1667, le juge de Montréal déclara, sur l’attestation de plusieurs particuliers notables, que les journées de manœuvres valaient dans cette île quarante sous, et celles des artisans trois livres. (Archives du Séminaire de Montréal. Inventaire des papiers du Séminaire de Paris, le 17 octobre 1667).

Une forêt vierge comme celle de l'époque de la Nouvelle-France. Photo de natahin_s.
Une forêt vierge comme celle de l’époque de la Nouvelle-France. Photo de natahin_s.

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