Plantes médicinales et toxiques

Les plantes médicinales et toxiques du Québec

par Jacques Rousseau

Jusqu’aux temps modernes, botanique et médecine se confondaient. La botanique, c’était surtout l’étude des plantes pouvant avoir une action médicinale. Vers le XVIIe siècle seulement ces deux disciplines commencèrent à s’affranchir.

Pour le primitif, nécessairement homocentriste, toute plante devait être utile ou néfaste. On connaissait des plantes textiles, des plantes servant à la fabrication de nattes et de paniers, des plantes tinctoriales.

Les arbres entraient dans la construction des demeures, des instruments et des meubles et servaient de combustible. Il y a aussi les plantes alimentaires: céréales, légumes et condiments et les fruits consommés frais ou dont le jus, fermenté, donnait le vin.

Dans la recherche des plantes comestibles, l’homme apprenait à ses dépens la toxicité de certaines espèces. La connaissance des plantes vénéneuses, en effet, a découlé de l’expérience.

À côté des plantes évidemment utiles ou toxiques, se trouvait néanmoins un très grand nombre d’espèces sans propriétés apparentes. Comme selon la croyance toute plante devait être utile à l’homme, on a aussitôt prêté à ces dernières des propriétés médicinales ou magiques.

Mais comment découvrir ces propriétés? Deux méthodes s’offraient. La plus sûre, c’était l’expérience: l’homme primitif, en effet, constate rapidement que des espèces possèdent des propriétés stimulantes, que des tisanes sont tonifiantes ou fébrifuges, que des cataplasmes sont antiseptiques.

Bien que fantaisiste, une autre méthode vient se substituer à l’expérience et obtint un énorme succès, au XVe siècle. C’est la doctrine des signatures par laquelle la plante elle-même indiquerait ses propriétés.

Ainsi, une plante à feuilles en cœur semblait tout indiquée contre les affections cardiaques. L’hépatique, dont les lobes ressemblent à ceux du foie, s’employait contre les maladies du foie. L’usnée, lichen filamenteux, qui croît suspendu à certains arbres de nos forêts, servait de remède contre la calvitie.

L’amande de la noix a la forme des hémisphères cérébraux: on l’utilisait donc pour prévenir des désordres mentaux.

Les plantes à feuilles réniformes entraient dans les médicaments contre les troubles rénaux. La sanguinaire, au latex rouge sang, servait au Canada de remède contre l’hémoptisie. On utilisait le Sticta pulmnaria, lichen dont le dessin rappelle les alvéoles du poumon, contre les affections pulmonaires.

Il existe un nombre presque incalculable d’exemples. La médecine populaire en est encore là aujourd’hui.

Les herboristes, même certains de ceux qui pour fins publicitaires exhibent des soutanes, offrent pour la plupart des médicaments imposés en vertu de la doctrine des signatures.

Les remèdes d’origine végétale, en partie, disparaissent aujourd’hui des pharmacopées et des matières médicales. Tous ne sont pas éliminés et il semble peu probable que la médecine s’affranchisse entièrement du monde végétal. Cependant, on n’emploie presque plus de plantes entières, mais plutôt des extraits, notamment des alcaloïdes, des glucosides, des résines, des huiles, etc.

Ainsi, la cocaïne, la quinine, la caféine, la strychnine, la digitaline, l’huile d’eucalyptus, l’éphédrine, l’huile de menthe, la morphine sont tous des produits d’origine végétale.

D’autre part, s’il est vrai que la médecine emploie moins de plantes, le problème des espèces toxiques subsiste. Les bactéries, – qui constituent la plus grande partie des êtres connus sous le nom de microbes. – sont des végétaux microscopiques.

Il y a aussi les champignons toxiques et ceux qui causent des mycoses, affections cutanées du type des dartres. Il y a enfin les nombreuses phanérogames toxiques.

Très peu de plantes médicinales sont cultivées. Parmi les plus importantes en culture se trouvent le pavot, qui fournit l’opium et la morphine, et le quinquina, dont on extrait la quinine. Pour la récolte des autres, on fait généralement la cueillette des plantes sauvages. C’est un travail peu rémunérateur, fait surtout par les femmes, les enfants et les vieillards et dans les régions à culture primitive.

Il semble donc illusoire pour les amateurs d’entreprendre cette culture. Ceci ne signifie pas cependant qu’il faille y renoncer dans la province ; mais cela ne pourra se faire sans recherches préalables.

Une institution comme le Jardin botanique de Montréal, est tout indiquée pour remplir cette mission. Aussi son programme comprend-il des travaux de recherches sur les plantes médicinales et toxiques. Une fois l’aménagement plus avancé, on s’attaquera à ces problèmes ; mais cela ne sera possible qu’avec le concours de techniciens de premier ordre. On s’imagine trop dans certains milieux que n’importe qui est apte à faire n’importe quoi. Pour nous organiser, ne nous contentons pas de demi-mesures. Évitons l’amateurisme. Nous en avons trop souffert. La bonne volonté ne remplace jamais l’expérience. Quand nous n’avons pas les techniciens voulus, il faut les choisir ailleurs pour organiser chez-nous les services dont nous avons besoin et pour former des Canadiens français susceptibles de leur succéder. N’oublions pas qu’il faut une dizaine d’années à un homme de science pour être en état de produire. Pour édifier chez-nous des œuvres, faudra-t-il attendre que les nôtres aient pu faire à l’étranger un stage aussi long?

Les Etats-Unis ont bien résolu ce problème et la science américaine est aujourd’hui l’une des premières de l’univers. On a eu recours d’abord à quelques étrangers, mais la génération actuelle d’hommes de sciences, contrairement à ce que l’on croit parfois, est formée presque complètement d’américains. La France non plus n’a pas hésité à accueillir des étrangers, comme Metchnikof et Marie Sklodovkska, madame Curie.

Profitons de l’expérience d’autrui : en moins d’une génération la science canadienne française aura droit de cité. Dans ces conditions, nous pouvons songer à faire chez nous des recherches horticoles sur les plantes médicinales et les autres plantes utiles. Nous pourrons songer à acclimater des espèces étrangères. Tout cela figure au programme du Jardin botanique de Montréal.

Dans les classifications populaires, on distingue généralement les plantes médicinales des plantes vénéneuses. Ce système est erroné. Tout d’abord, plusieurs plantes médicinales sont toxiques ; d’autre part, plusieurs plantes toxiques ont des propriétés médicinales. Dans les classifications modernes, on considère les plantes toxiques et les plantes médicinales comme des catégories indépendantes l’une de l’autre. Bon nombre d’espèces prennent place dans les deux groupes.

Dans cet aperçu je ne puis songer à vous les énumérer toutes. Permettez-moi néanmoins de citer quelques plantes phanérogames vénéneuses. J’omets les champignons qui demanderaient à eux seuls un article élaboré.

La plus dangereuse de nos plantes est probablement l’herbe-à-la-puce, une cousine de l’arbre à laque de la Chine et du Japon. Comme cette dernière espèce, elle cause une affection cutanée.

L’herbe-à-la-puce n’a pas de particularités assez nettes pour qu’une personne non initiée à la botanique la reconnaisse facilement au moyen d’une simple description verbale. Qu’il me suffise néanmoins de vous dire qu’il s’agit généralement d’un petit arbuste, parfois grimpant, ce qui est rare cependant. Les folioles, ovales, sont toujours par trois, et irrégulièrement dentées. Les fleurs, très petites, insignifiantes, sont cachées en dessous du feuillage. Le fruit, gros comme un pois et jaune, ressemble quelque peu aux secteurs des fruits de capucine. Pour souffrir de la dermatite de l’herbe-à-la-puce, il faut être en contact avec le suc de la plante ou avec des personnes qui viennent de se contaminer. Les émanations de la plante ne causent pas l’affection. La question de la récurrence de la maladie pendant sept ans est une pure légende qui doit son origine au fait que très souvent, chaque année, à la même saison, des personnes retournent pour leurs vacances au même endroit ou dans des habitats analogues et s infectent de nouveau.

Après contact avec l’herbe-à-la-puce, la meilleure façon d’éviter la dermatite consiste à laver immédiatement avec un savon ordinaire les parties contaminées.

La plante qui cause le plus de mortalités chez nous est la carotte-à-moreau. La racine, charnue, ressemble à une carotte sauvage, ou à un panet, d’où méprise assez fréquente, surtout chez les enfants. Un fragment de la racine suffit pour causer la mort. La carotte-à-moreau est une ombellifère ; les personnes non initiées ne peuvent la distinguer facilement d’autres ombellifères : le carvi, l’anis, le panet et la carotte. Une espèce voisine, la ciguë d’Europe, naturalisée dans la Province, a des fruits fortement toxiques.

Ce sont eux qu’employaient les anciens Grecs pour préparer la ciguë, ce liquide fatal offert aux condamnés à mort et qui mit fin aux jours de Socrate.

Qui le croirait? Les feuilles de tous nos cerisiers, surtout fanées, sont très vénéneuses. De même les amandes des cerises et des pêches. Elles renferment de l’acide prussique en quantité plus ou moins considérable. On a rapporté des accidents mortels.

Règle générale, nous sommes peu exposés aux plantes toxiques, à cause de la protection qu’offre leur saveur acre et repoussante. Ainsi le bouton d’or. Les animaux eux-mêmes le dédaignent et, à la fin de l’été, c’est généralement la seule plante à persister dans les pâturages.

L’ortie, en contact avec la peau, produit une démangeaison qui dure parfois quelques heures ; mais elle n’offre aucun danger. La prêle des champs est très toxique pour les cheveux quand elle est séchée : elle cause cette maladie que l’on nomme chez nous chambranle. L’eupatoire à feuille d’ortie cause chez les vaches un tremblement particulier. Le lait à son tour cause chez l’homme une paralysie intestinale assez grave: c’est ce que nos voisins du sud ont appelé le «milk disease». Plusieurs entérites sérieuses tirent probablement de là leur origine. C’est l’une des plantes à éliminer entièrement des pâturages.

Mentionnons enfin les nombreuses espèces qui causent les fièvres des foins. En premier lieu se trouvent l’herbe-à-poux et beaucoup de graminées, notamment plusieurs gazons.

Dans le Jardin botanique de Montréal, est réservée une section aux principales plantes vénéneuses. Cette section s’ouvrira peut-être dans un an. Là, nos enfants, de même que leurs parents, pourront s’initier à cette connaissance élémentaire.

Cet exhibit vivant contribuera, j’en suis sûr, à enrayer beaucoup d’accidents qui se répètent chaque été dans la province.

Jacques Rousseau.
La revue l`Action Universitaire, novembre 1940.

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Plantes du Québec. Image : © GrandQuebec.com.

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