Dilemme chez les consommateurs au rayon des fruits et légumes
Quand on achète des produits frais au supermarché, on ne veut pas y voir de trace de la guerre contre les insectes. Mais est-ce toujours possible quand on n’utilise que des moyens biologiques?
Par Charles Allain, L’entomologie au Québec, mai 1999.
Dans les cultures maraîchères en serre, on produit de plus en plus de légumes sans l’aide d’insecticides chimiques. La santé des travailleurs et les demandes des consommateurs l’exigeaient. Par contre, malgré leurs défauts, les insecticides avaient l’avantage de ne laisser que peu de traces apparentes de leur action. Les producteurs peuvent-ils s’en tirer aussi bien avec des agents de lutte biologiques ? Oui, la plupart du temps. Mais il arrive parfois que certaines traces persistent.
L’environnement des serres est particulièrement propice à l’infestation des ravageurs : le milieu clos, un climat chaud et très humide et les monocultures favorisent de petites explosions démographiques d’insectes sur les plants de tomates et de laitue. Pour les combattre, les champignons entomopathogènes offrent des possibilités intéressantes. Par exemple, le Vertidllium lecanii permet de contrôler efficacement plusieurs espèces de pucerons.
Valérie Fournier, étudiante en maîtrise au département de phytologie de l’Université Laval, a effectué (en 1999) des essais avec le Vertalec, une souche de Vertidllium commercialisée en Europe. « Nous l’avons testé dans des conditions extrêmes, sur des laitues où se trouvaient des densités très élevées de pucerons, dit-elle. Le champignon est efficace, mais, si l’infestation est sévère, on retrouve de petites boules blanches sur les feuilles de laitue. Ce sont des pucerons morts recouverts de mycélium, des filaments de champignon. » Cette trace de lutte biologique risque d’incommoder plus d’un consommateur, tout comme le ferait la présence d’insectes prédateurs ou de « momies » de pucerons, ces carapaces vides laissées par les parasitoïdes.
La laitue a toutefois ceci de particulier que les ravageurs s’attaquent à la partie de la plante qui constitue le produit acheté par les consommateurs. Dans le cas des tomates, par exemple, les ravageurs s’attaquent plus souvent au plant qu’au fruit lui-même. La lutte biologique est donc moins perceptible dans les présentoirs. N’empêche que les consommateurs, qui ont développé une aversion marquée pour les insecticides chimiques, devront peut-être apprendre à accepter la présence occasionnelle d’ennemis naturels sur leur laitue. Après tout, ces petites boules blanches, il suffit de les laver.
Le Bacillus thuringiensus : Une arme de choc contre l’insatiable tordeuse
Les pressions populaires et l’utilisation du Bt à titre expérimental dès 1971, avant même que son coût devienne concurrentiel et que son efficacité soit prouvée, ont largement contribué à son adoption pour la protection des forêts.
Vers la fin des années 1960, l’Outaouais québécois est frappé par une grave infestation de tondeuses des bourgeons d’épinette (TBE), Chohstoneura fumiferana, le défoliateur le plus vorace des résineux du nord-est de l’Amérique du Nord.
Cette épidémie s’est étendue d’ouest en est jusqu’en 1992 et a causé des pertes de matière ligneuse évaluées à 235 millions de mètres cubes, soit l’équivalent de 10 ans de récolte.
Ce fléau a donné lieu à un formidable effort de recherche pour remplacer les pesticides chimiques, critiqués pour leur forte toxicité et leur faible spécificité, par des biopesticides, moins nocifs pour l’environnement. Le candidat le plus populaire : le Bacillus thuringiensis, mieux connu sous le nom de Bt.
Comment une simple bactérie peut-elle vaincre une armée de tordeuses ? Toutes les bactéries du genre Bacillus produisent une spore qui lui permet de survivre en conditions adverses, mais l’espèce thuringiensis synthétise aussi un cristal protéique externe. Lorsque les larves ingèrent l’insecticide à base de Bt, les cristaux sont dissous par les sucs digestifs et libèrent des protéines toxiques. Ces dernières détruisent les cellules qui tapissent le tube digestif, entraînant la mort de l’insecte.
Le Bt ne tue pas tous les insectes. En fait, il comprend une trentaine de sous-espèces, qui ont chacun un spectre d’action bien précis : par exemple, le kurstaki s’attaque aux lépidoptères, le tenebrionis et le san diego aux coléoptères, et le israelensis aux diptères.
Un essor spectaculaire
Le Bacillus thuringiensis a été découvert en 1901 par le bactériologiste japonais Ishiwata. Mais ce n’est que dans les années 60 qu’on envisage l’utiliser comme arme biologique contre la tordeuse des bourgeons d’épinette. À cet égard, la découverte par Howard Dulmage de la souche kurstaki HD-I — de 20 à 200 fois plus active que les souches isolées jusqu’alors — est déterminante.
Cette souche est rapidement adoptée en Amérique du Nord. Dès le début des années 70, le ministère québécois des Terres et Forêts met en branle un programme expérimental de pulvérisations aériennes destiné à minimiser les dommages appréhendés de TBE. Puis, de 1971 à la fin des années 80, on se penche plutôt sur les techniques d’arrosage : couvrir le feuillage d’arbres pouvant atteindre de 15 à 20 mètres de haut sur des milliers de kilomètres carrés est un défi de mes de lutte à la Société de protection des forêts contre les insectes et maladies (SOPFIM). Un beau casse-tête puisque les superficies à traiter sont morcelées et dispersées dans tout le Québec. De plus, comme les températures diffèrent d’un endroit à l’autre, la tordeuse se développe à un rythme différent dans chaque région, ce qui complique la synchronisation des traitements.
Il n’est donc pas étonnant que certains chercheurs explorent des avenues autres que l’arrosage. La création de plantes trans géniques, dans lesquelles on a intégré le gène du Bt, en est une. Mais cette stratégie a ses limites : exposés continuellement aux toxines de Bt, les ravageurs finiront inévitablement à développer une résistance.
Exactement le même scénario qui a été observé avec les insecticides chimiques…
Les traces occasionnelles de la lutte biologique contre les pucerons : larve de coccinelle, momie vide, puceron mycosé. Plus visibles que des résidus chimiques, mais moins toxiques !
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