Un Jardin botanique à nous
(Dans son édition du 13 janvier 1940, le quotidien La Presse consacre un long article illustré à ce qui était devenu l’objet de fierté par excellence (et Dieu sait si on en avait besoin, au sortir de la grande crise économique) du Montréalais, « son » Jardin Botanique. Nous en reproduisons de larges extraits).
Montréal a depuis quelques années un Jardin Botanique qui est à peu près le plus moderne au monde. Vous en doutiez-pas?
Notre Jardin Botanique fait parler de lui aux quatre coins du globe. Il entretient des relations suivies et fait des échanges avec les savants de toutes les parties de l’univers. Toronto l’envie de grand cœur. Le seul endroit où on le connaisse encore moins et peu, c’est Montréal.
C’est pourtant de toutes les entreprises nées du rêve de quelques-uns des nôtres l’une des plus gigantesques et l’une des mieux réussies. Un grand palais d’Aladin d’allure très vingtième-siècle a surgi sur l’immense tapis magique qui a remplacé un parc Maisonneuve laissé si longtemps en friche. Il n’a fallu que trois ans pour réaliser tout à coup un rêve nourri depuis tant d’années par un savant de chez nous.
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Tout a poussé soudain, avec l’éclosion rapide des plantes tropicales. Cela tient du miracle dans un climat tempéré comme le nôtre, qui laisse tant de projets s’étoiler et mourir. Mais la crise est venue, et le chômage. Et c’est à la crise que Montréal doit, en somme, son Jardin Botanique. Ce sont les travaux de chômage qui ont réalisé le projet.
Le Jardin Botanique de Montréal est le seul au Canada. Il est né d’une pensée canadienne-française. L’indispensable technicien qu’il a fallu à l’organisation adéquate du projet, ce rare homme qui se trouve être le botaniste doublé d’un horticulteur, M. Teuscher prépare et forme soigneusement sur place des assistants et un corps d’experts parmi les nôtres.
L’animateur de l’œuvre
J’ai trouvé le R. Frère Marie-Victorin, directeur du Jardin Botanique, D. Sc., M.S.R.C., assis dans son clair bureau, comme un homme heureux installé en plein cœur du grand rêve qui a été sa vie.
Il est né à Kingsey-Falls, province de Québec, en cette année 1985 où l’on dût abandonner le projet d’un jardin botanique sur le Mont-Royal.
L’œuvre attendait son homme! Professeur, il commença dès 1908 la publication de travaux botaniques aussi bien que d’œuvres littéraires, qui se mirent à lui valoir les prix David ou les prix d’Action intellectuelle dans deux ou trois sections à la fois. Appelé à la chaire de Botanique de l’Université de Montréal en 1922, invité à donner des cours à Harvard en 1929 et 1930, prix Gandoger 1932 et de Coincy 1935 de France, décoré par le roi d’Angleterre en 1935, le Frère Marie-Victorin est une personnalité qui rayonne l’enthousiasme. On a l’impression avec lui que le vrai botaniste est un poète avant tout.
Il n’a pas voulu parler de lui mais, avec une cordialité pleine de soleil, il a rendu témoignage à ses collaborateurs et esquissé en deux paragraphes le triple but de « son » Jardin Botanique :
Un tout petit mot d’histoire
« Je n’ai pas inventé le projet d’un Jardin Botanique à Montréal; j’ai simplement repris, dit-il, une entreprise qui avait reçu un commencement d’exécution sur le flanc du Mont-Royal en 19885, et qui fut écrasée dans l’œuf.
« C’est le 14 décembre 1929 que je lançai officiellement le projet, dans un discours présidentiel à la Société canadienne d’Histoire naturelle. La campagne dura sept ans. Enfin, la Cité de Montréal créa le jardin Botanique par une résolution de l’Exécutif datée du 4 mars 1932.
Mais les travaux ne commencèrent, sur une grande échelle, qu’en 1936. En trois ans, grâce à la collaboration de la Cité, du gouvernement fédéral et du gouvernement provincial, un travail énorme a été accompli, qui place déjà le Jardin Botanique de Montréal non seulement sur le plan national, mais sur le plan international ainsi que l’indique le projet d’y tenir le prochain Congrès international de Botanique.
Hommage aux collaborateurs
« Ce résultat, cette réussite, est due à la valeur des hommes qui compose le personnel technique essentiel du Jardin. Je dois mentionner particulièrement M. Jacques Rousseau, M. Henry Teuscher et M. Lucien Keroack, architecte.
« M. Jacques Rousseau est l’un des meilleurs botanistes du pays. À M. Henry Teuscher revient le très grand mérite de la conception du plan du Jardin Botanique.
« M. Teuscher, qui fut l’assistant d’un des plus grands botanistes du XIXe siècle, Adolf Engler, fut amené en Amérique par M. Charles Sprague Sargent, le créateur de l’Arnold Arboratum de Boston.
« M. Teuscher a créé le Morton Arboretum de Boston. Mais le couronnement de sa carrière sera certainement la réalisation technique du Jardin Botanique de Montréal.
Triple but général
« Le Jardin Botanique de Montréal a un triple but que ses promoteurs ne perdent pas de vue :
a) C’est une institution scientifique d’envergure nationale et internationale, destinée à faire avancer la science pure, mais aussi à aider l’horticulture scientifique;
b) C’est un oasis de beauté; un refuge pour les petits gens qui ne peuvent fuir la grande ville; une attraction pour les touristes américains et plus encore pour les voyageurs européens;
c) C’est une institution d’enseignement populaire, l’une de celles qui nous manquaient totalement. Pour réaliser ce programme, le Jardin Botanique a des services coordonnés et recevant une impulsion commune.
Pour atteindre le but, voici les points essentiels :
- Coopération avec la Commission des Écoles Catholiques pour visites d’écoliers et causeries sur le terrain et dans les écoles;
- Jardinets d’écoliers;
- École d’apprentissage horticole;
- École de l’Éveil;
- Cours d’Horticulture aux adultes.
(Texte publié le 13 janvier 1940)