De fruits, plantes, arbres et d’autres richesses du pays du Canada
(extrait du récit du père Gabriel Sagard « Voyage au Pays des Hurons).
Petits fruits champêtres
En beaucoup d’endroits, contrées, îles et pays, le long des rivières, et dans les bois. Il y a si grande quantité de Bleuets (Espèce de Vaccinium, du même genre que la myrtille ou airelle européenne, commune sur tout le trajet parcouru par Sagard), que les Hurons appellent Ohentaqué, 8c autres petits fruits, qu’ils appellent d’un nom général Hahique (Apparemment) une autre sorte de Vaccinium), que les Sauvages en font sécher pour l’hiver, comme nous faisons des prunes séchées au soleil, et cela leur sert de confitures pour les malades, et pour donner goût à leur Sagamité, et aussi pour mettre dans les petits pains qu’ils font cuire sous les cendres.
Nous en mangeâmes en quantité sur les chemins, comme aussi des fraises (LaFragaria virginiana, spontanée au Canada, ne correspond pas aux fraises des bois européennes que Sagard pouvait connaître. Introduite en Europe en 1623, elle est devenue la base des variétés modernes., qu’ils nomment Tichionte, avec de certaines graines rougeatres (Pour les nombreuses baies mentionnées ici, Sagard établit des descriptions suggestives mais inadéquates. George Wrong propose les identifications suivantes: Mountain cranberry ( Vaccinium vitis), Wintergnten ( Gaultheria procumbens) et Prunus fjumila ou Anmia melanocarpa (Long Journey, p. 237), et grosses comme gros pois, que je trouvait très-bonnes ; mais je n’en a point vu au Canada ni en France de pareilles, non plus que plusieurs autres sortes de petits fruits et graines inconnus par deçà, desquelles nous mangions, comme mets délicieux quand nous en pouvions trouver. Il y en a de rouges qui semblent presque du Corail, et qui viennent quasi contre terre par petits bouquets, avec deux ou trois feuilles, ressemblant au Laurier, qui lui donnent bonne grâce, et semblent de très-beaux bouquets et serviraient pour tels s’il y en avait ici.
Il y a de ces autres grains plus gros encore une fois, comme j’ay tantôt dit, de couleur noirâtre, et qui viennent en des tiges, hautes d’une coudée. Il y a aussi des arbres qui semblent de l’épine blanche ( L’aubépine ponctuée ( Crataegus jwnctata), l’espèce la plus courante au Canada, a des fruits plus gros que ceux des aubépines européennes, d’où le nom populaire au Québec, «pommetier»), qui portent de petites pommes dures, et grosses comme avelines, mais non pas guère bonnes. Il y a aussi d’autres graines rouges, nommées Toca (Les canneberges (Vacnnium occycoccos), espèce voisine des airelles, sont encore appelées «atocas» au Québec. Les «Cornioles» européennes, citées pour la comparaison approximative, sont le fruit du cornouiller ou cormier (Cornus mas) ; leur graine est bien enfermée dans une couche charnue) ressemblant à nos Cornioles; mais elles n’ont ni noyaux ni pépins, les Hurons les mangent crues et en mettent aussi dans leurs petits pains.
Noyers
Ils ont aussi des Noyers (Sagard rend compte ici de deux ou trois sortes de noyers, dont l’un qui porte des noix «en triangle», apparemment Juglans cinerea, aux noix longues) en plusieurs endroits, qui portent des noix un peu différentes aux nôtres, j’en ai vu qui sont comme en triangle, et l’écorce verte extérieure sent un goût comme Terebinte, et ne s’arrache que difficilement de la coque dure. Ils ont aussi en quelque contrée des Châtaigniers (Les châtaigniers Castanea dentnta et C. frumiln étaient spontanés dans le sud de l’Ontario.
En Europe, Sagard pouvait connaître une variété cultivée), qui portent de petites Chastaignes; mais pour des Noisettes (des noisetiers spontanés en Amérique, le Qnylus annula est le plus probable) et des Guynes (Le genre botanique Prunus comprend d’importants groupes d’espèces, dont plusieurs pruniers et cerisiers similaires au Canada et en France ; en Europe, ils sont mieux connus dans leurs variétés cultivées depuis l’Antiquité. Les guignes ou griottes sont le fruit du Prunus avium julinna ou guignier; les merises, du Prunus avium, cerisier doux ou merisier vrai), qui ne sont qu’un peu plus grosses que Groseilles de trémies, à faute d’être cultivées: il y en a en beaucoup de lieux, et par les bois et par les champs, desquelles néanmoins on fait assez peu d’état: mais pour les Prunes, nommées Tonestes, qui se trouvent au pays de nos Hurons : elles ressemblent à nos Damas violets ou rouges, sinon qu’elles ne sont pas si bonnes de beaucoup; car la couleur trompe, et sont aspres et rudes au goût, si elles n’ont senti de la gelée: c’est pourquoi les Sauvagesses, après les avoir soigneusement amassées, les enfouissent en terre quelques semaines pour les adoucir, puis les en retirent, les essuient, et les mangent. Mais je crois que si ces Prunes étaient mûres, qu’elles perdraient cette acrimonie et rudesse, qui les rend désagréables au goût, auparavant la gelée.
Poires
On trouve des Poires (Les «poires sauvages» désignaient, depuis les récits de Jacques Cartier, le fruit de l’amélanchier (Amelanchier rsulgaris) ; il n’y avait pas de poiriers au Canada), ainsi appelées Poires, certains petits fruits un peu plus gros que des pois, de couleur noirâtre et mol, très-bon à manger à la cueillir comme Blues, qui viennent sur des petits arbres, qui ont les feuilles semblables aux poiriers sauvages de deçà, mais leur fruit en est du tout différent. Pour des Framboises, Meures champêtres, Grosilles (peut correspondre à plusieurs espèces du genre Ribes, tels le Ribes sanguinem ou le Ribes aureum) et autres semblables fruits que nous conaissons, il s’en trouve assez en des endroits, comme semblablement des Vignes et Raisins, desquels on pourrait faire de fort bon vin au pays des Hurons, s’ils avoient l’invention de les cultiver et façonner ; mais faute de plus grande science, ils se contentent d’en manger le raisin et les fruits canadiennes, ou les racines, que nous appelions Canapommes du Canada(Helianthus tuberosus, introduit en Europe vers la fin du XVIe siècle et erronément appelé «topinambour» par association avec Topinambous) ou pommes de Canada, qu’eux appellent Orasqueinta, sont assez peu communes dans le pays, ils les mangent aussitôt crues que cuites, comme semblablement d’une autre sorte de racine, ressemblant aux Panays, qu’ils appellent Sondhratates, lesquelles sont à la vérité meilleures de beaucoup : mais on nous en donnait peu souvent, et lors seulement que les Sauvages avoient reçu de nous quelque présent, ou que nous les visitions dans leurs Cabanes
Oignons
Ils ont aussi de petits Oignons (Bulbes du genre Allium, peut-être!’ Arisema atnnubens (diversement appelé oignon sauvage, ail sauvage, ail des bois ou petit prêcheur. Sagard ne mentionne pas la curieuse fleur de cet «oignon». Si la feuille ressemble à celle du muguet,) nommés Anonque, qui portent seulement deux feuilles, semblables à celles du Muguet, ils sentent autant l’Ail que l’Oignon ; nous nous en servions à mettre dans nôtre Sagamité pour lui donner goût, comme d’une certaine petite herbe, qui a le goût et la façon approchante de la Marjoleine sauvage, qu’ils appellent Ongnehon: mais lors que nous avions mangé de ces Oignons et Ails crus, comme nous faisions avec un peu de pourpier (. Si, comme le pense Jacques Rousseau, la Portulaca oeracea est introduite de l’Europe («Pierre Boucher, naturaliste», p. 296), la famille des portulacacées est considérée comme très cosmopolite et surtout américaine (Encyclopédie du monde végétal, t. III, p. 1136), sans pain, lors que nous n’avions autre chose: ils ne voulaient nullement nous approcher, ni sentir nôtre haleine, disant que cela sentait trop mauvais, et crachaient contre terre par horreur. Ils en mangent néanmoins de cuits sous la cendre, lors qu’ils sont en leur vraie maturité et grosseur, et non jamais dans leur Menestre, non plus que toute autre sorte d’herbes, desquelles ils font très-peu d’état, bien que le pourpier ou porcelaine leur soit fort commun, et que naturellement il croisse dans leurs champs de bled et de citrouilles.
Cèdres, chênes et autres arbres
Dans les forêts, il se voit quantité de Cèdres, nommez Asquatci, de très-beaux et gros Chênes, des Fouteaux, Érables, Merisiers (Le merisier peut désigner une variété de cerisier, ou bien le bouleau jaune, selon l’usage encore courant au Québec. Sagard semble l’assimiler au guignier, mais il le place dans le contexte de l’érable, voisin naturel du bouleau; peut-être l’erreur s’est-elle glissée au moment de la rédaction finale) ou Guyniers, et un grand nombre d’autres bois de même espèce des nôtres, et d’autres qui nous sont inconnus : entre lesquels ils ont un certain arbre nommé Atti (Le tilleul (Tiliaglabm) servait à faire des liens, comme d’autres membres de la famille des tiliacées servent en Asie et en Europe à faire le jute), duquel ils reçoivent et tirent des commodités non pareilles.
Premièrement, ils en tirent de grandes lanières d’écorces, qu’ils appellent Ouhara: ils les font bouillir, et les rendent enfin comme chanvre, de laquelle ils font leurs cordes et leurs sacs, et sans être bouillie ni accommodée, elle leur sert encore à coudre leurs robes, et toute autre chose, à faute de nerfs d’Élan: puis leurs plats et écuelles d’écorce de bouleau, et aussi pour lier et attacher les bois et perches de leurs Cabanes, et à envelopper leurs plaies et blessures, et cette ligature est tellement bonne et forte qu’on n’en saurait désirer une meilleure et de moindre coût.
Chanvre du pays
Aux lieux marécageux et humides, il y croit une plante nommée Ononhasquara, qui porte un très bon chanvre19; les Sauvagesses la cueillent et arrachent en saison, et l’accommodent comme nous faisons le nôtre, sans que j’aie pu savoir qui leur en a donné l’invention, autre que la nécessité, mère des inventions, après qu’il est accommodé, elles le filent sur leur cuisse, comme j’ai dit, puis les hommes en font des lassis et filets à pécher. Ils s’en servent aussi en diverses autres choses, et non à faire de la toile : car ils n’en ont l’usage ni la connaissance.
Muguet
Le Muguet (C’est la feuille du narcisse qui ressemble à celle du muguet, ce qui laisse beaucoup de choix en l’absence d’autres détails. S’agit-il encore de la plante dont le bulbe servait d’oignon culinaire. La grande fleur en étoile qui ressemble à un petit narcisse a fait penser à Y Aster macrtyhyllus (G. Wrong, Longjmirney, p. 241) qu’ils ont en leur pays, a bien la feuille du tout semblable au nôtre, mais la fleur en est toute autre : car outre qu’elle est de couleur tirant sur le violet, elle est faite en façon d’étoile grande et large, comme le petit narcisse que j’ai vu aux Hurons (à mon avis) est celle qu’ils appellent Angyahouiche Orichya, c’est à dire, Chausse de Tortue (De l’avis unanime, la description renvoie à la Sarracenia frurfrurea, fréquente dans les tourbières de l’Ontario, et appelée au Québec «petits cochons» (d’après sa ressemblance avec l’oreille de cet animal). Le frère Marie-Victorin ajoute que les Montagnais appellent cette plante insectivore Alicotache, ou herbe crapaud (Flore laurmtienne, p. 243), car la feuille est comme le gros de la cuisse d’un Homard, ou Ecrévice de mer, et est ferme et creuse au dedans comme un à gobelet, duquel on se pourrait servir à un besoin pour en boire la rosée qu’on y trouve tous les matins en été, sa fleur en est aussi assez belle.
Lys incarnat
j’ ay vu en quelque endroit sur le chemin des Hurons de beaux Lys incarnats (Description qui ne permet pas de préciser de quelles plantes il s’agit), qui ne portent sur la tige qu’une ou deux fleurs, et comme je n’ai point vu en tout le pays Huron aucuns Martagons ou Lys orangez comme ceux de Canada, ni de Cardinales, aussi n’ay je point vu en tout le Canada aucuns Lys incarnats, ni Chausses de Tortues, ni plusieurs autres espèces de plantes que j’ay vues aux Hurons (il y en pourrait néanmoins bien avoir sans que je le sache.) Pour les Rosés (De très nombreuses espèces spontanées du genre Rosa se sont répandues dans l’hémisphère boréal; c’est depuis le XVIIIe siècle que les variétés cultivées remontent à des greffes chinoises), qu’ils appellent Eindauhatayon: nos Hurons en ont de simples, mais ils n’en font aucun état, non
plus que d’aucunes autres fleurs qu’ils aient dans le pays : car tout leur devoir est d’avoir des parures et affiquets qui soient de durée.
De passer outre à décrire des autres plantes qui nous ont été montrées et enseignées par les Sauvages: ce serait chose superflue, et non nécessaire ; comme de parler de la richesse et profit qui provenait des cendres qui se faisaient dans le pays et se menaient en France, puis qu’elles ont été délaissées, comme de peu de rapport, en comparaison des frais qu’il y convenait faire, bien qu’elles fussent meilleures et plus fortes de beaucoup, que celles qui se font en nos foyers.
La misère de l’homme est telle, et particulièrement de ceux qui n’ont pas la gloire de Dieu pour but et règle de leurs actions, qu’ils n’aspirent toujours qu’aux choses de la terre qui peuvent seulement donner quelque assouvissement au corps et non en l’esprit, que Dieu seul peut contenter.
Voir aussi :