Le péril vert
Notre forêt feuillue dépérit à la grandeur du Québec. La cause ? Une combinaison de facteurs naturels et de pollution.
Par Réal Portier, les Diplômés, N° 363, automne 1988
Un grand nombre d’espèces d’arbres sont affectées par le dépérissement, tant en Amérique du Nord qu’en Europe. Au Québec, dès les années 1930, plusieurs cas de dépérissement avaient déjà été observés chez le bouleau à papier, le bouleau jaune (merisier), le frêne noir et l’érable à sucre. Ce n’est toutefois qu’au début des années 1980 que la mortalité des arbres a pris de l’ampleur, principalement dans les érablières.
On a noté que le phénomène était particulièrement important dans les comtés de Beauce, Mégantic, Frontenac et Arthabaska. Mais il se manifeste maintenant sur tout le territoire s’étendant de Rivière-du-Loup jusque dans l’Outaouais, tant sur la rive nord que sur la rive sud du Saint-Laurent. De plus, si le dépérissement affecte la plupart des essences feuillues du Québec, on observe aussi certaines altérations du feuillage chez quelques espèces résineuses.
Toutefois, en raison du nombre insuffisant de données, il est encore trop tôt pour associer ce phénomène au dépérissement.
Dégâts importants
On peut dire sans hésitation qu’à court terme, le dépérissement menace l’ensemble de la forêt feuillue du Québec. En effet, depuis quelques années, on observe que l’accroissement en diamètre des arbres a diminué dans les érablières atteintes. Des arbres de tout âge sont affectés, et cela même si les peuplements ne sont pas exploités pour le sirop d’érable Les jeunes pousses sont également en mauvaise santé. Les peuplements les plus touchés sont généralement situés sur des types de stations qui leur conviennent moins, comme des sols trop minces ou trop humides.
Le dépérissement des arbres a souvent été associé aux facteurs les plus divers. Ainsi, dans le sud du Québec, on a attribué la progression marquée du dépérissement à la combinaison de facteurs accidentels, comme les écarts de température exceptionnels et le manque de neige au sol qui ont caractérisé les hivers 1980 et 1981. On a également mis en cause la sécheresse qui a sévi au début de l’été 1982 et les épidémies de la livrée des forêts qui ont marqué les étés 1980 et 1981.
Toutefois, dans certaines régions, la maladie a continué â progresser sans ces stress accidentels et sans qu’il n’y ait d’autres facteurs permanents impliqués dans le processus de dépérissement.
Ce sont toutefois les recherches menées au cours des dernières années qui ont permis de cerner les causes du dépérissement dont, croit-on, la pollution atmosphérique.
Polluants et stress naturels
En effet, les précipitations acides qui découlent de la pollution atmosphérique contribuent au dépérissement en lessivant une partie des éléments nutritifs au niveau des feuilles et en modifiant les propriétés chimiques du sol. Les arbres affaiblis par la pollution sont plus vulnérables aux stress naturels comme ceux que le sud du Québec a connus au début des années 1980. S’ils ne peuvent à eux seuls expliquer le dépérissement, ces stress naturels accentuent le phénomène.
En effet, lorsque le dépérissement atteint le niveau élevé d’un peuplement, les arbres se dégarnissent créant ainsi des ouvertures.
C’est alors que des insectes du type perceur de l’érable et des champignons comme le pourridié-agaric les envahissent et entraînent souvent leur mort.
Par ailleurs, les chercheurs croient que les photo-oxydants, et plus particulièrement l’ozone, peuvent avoir également des effets sur le dépérissement. Ce gaz, qui est toxique pour les plantes, est produit par l’action de la lumière sur les polluants atmosphériques qui proviennent de la circulation automobile et des centrales thermiques. Par un mécanisme très complexe, toutes les fonctions vitales de l’arbre sont alors affectées. Ce polluant altère tout le cycle nutritionnel de l’arbre, tant en ce qui concerne l’absorption de CO2 par les feuilles que l’absorption des éléments nutritifs par les racines. Entait, tout le fonctionnement de l’écosystème forestier est alors modifié.
Les symptômes
Lorsque les symptômes deviennent apparents, le dépérissement de l’arbre est déjà avancé. Mais l’observateur attentif pourra néanmoins remarquer certains signes avant-coureurs de ce phénomène. Chez l’érable à sucre, par exemple, les feuilles de la partie supérieure de la cime auront souvent un port anormalement dressé et elles pourront se colorer d’un vert sombre inhabituel. La petite taille des feuilles, leur aspect cireux et leur coloration hâtive d’un rouge vif sont d’autres symptômes qui pourront se manifester un peu plus tard dans le processus. Par la suite, durant l’été, on observera l’absence de feuillage dans le pourtour de la cime.
La formation de feuillage en touffes est aussi un symptôme caractéristique du phénomène. Les feuilles de l’érable à sucre Gouvernement du Québec peuvent également se colorer de pourpre et, vu du sol, le feuillage prendra alors une teinte bronzée.
Quant au dessèchement, il progresse graduellement de l’extrémité des branches vers l’intérieur de la cime, et l’arbre finit par mourir. L’écorce se décolle alors anormalement sur les grosses branches, puis sur le tronc. Dans les érablières affectées, les producteurs de sirop d’érable noteront souvent une diminution progressive de la vitesse de cicatrisation des entailles.
(Au moment de rédiger cet article, Réal Portier était l’agent d’information du ministère de l’Énergie et des Ressources du Québec).

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