Champignons

Champignons au Québec

par Jules Brunel, l’Université de Montréal

(texte paru dans la revue L`Action Universitaire en octobre 1939)

Les pluies fréquentes de l’automne ont commencé à faire surgir de l’humus les Champignons multicolores que connaissent bien de vue les familiers de la forêt. Tout bosquet humide héberge, depuis août – septembre jusqu’aux neiges, une flore fongique plus ou moins abondante, plus ou moins variée; nulle campagne n’est entièrement dépourvue de ces végétaux étranges, dont l’aspect et les mœurs ont donné naissance à tant de légendes et de croyances populaires.

D’où viennent-ils? Comment vivent-ils? Certaines gens vous diront, sans sourciller, que les Champignons naissent de rien, ou de l’humidité de l’air, qu’ils apparaissent et disparaissent, tout bonnement, par un simple caprice de la nature. Il va sans dire que de telles erreurs, restes de la croyance moyenâgeuse à la génération spontanée, n’ont plus droit de cité au 20e siècle.

Tout d’abord, qu’on sache bien que ce terme de Champignon s’applique à une foule de formes végétales très hétéroclites, dont plusieurs portent un nom particulier, et que peu de gens songeraient à appeler Champignons, telles les Moisissures blanches, noires, vertes ou roses, qui se développent si rapidement parfois, aussi bien sur des milieux savoureux comme le pain, les fruits, les confitures, que sur des milieux moins savoureux: vieux cuir, vieilles bottes humides, bois pourri, etc.

Dans la conception populaire, le terme de Champignon ne s’applique qu’aux Champignons à chapeau, et à quelques formes frappantes présentant une autre architecture: Clavaires, Lycoperdons, etc. Pour esquisser la vie brève d’un Champignon typique, nous choisirons un exemple, celui de l’Amanite, parmi la cohorte de ces élégants végétaux qui se déploient comme des ombrelles japonaises sur le plancher de la forêt sauvage.

Notons tout de suite, – c’est un fait important, – que le Champignon que l’on cueille ne représente pas tout le corps de la plante. Ce n’en est que la fructification, tout comme la pomme n’est que la fructification du Pommier. Seulement, chez le Champignon, la partie végétative, – correspondant aux racines, au tronc, aux branches et aux feuilles du Pommier, est entièrement souterraine, formée de fins filaments blancs, parfois à peine visibles, mais souvent très longs, ramifiés en tous sens, et dont l’ensemble constitue le mycélium ou le « blanc » du Champignon. De place en place, de petites boules blanches apparaissent, d’abord presque microscopiques, qui grossissent rapidement, et viennent poindre à la surface du sol.

Ces boules atteignent en moyenne les dimensions d’un œuf de poule, puis elles se déchirent à l’équateur ; la partie du haut s’allonge alors en quelques heures jusqu’à une hauteur variable selon les espèces, mais n’excédant guère huit ou dix pouces, en même temps qu’elle s’ouvre comme un parasol.

Penchons-nous maintenant, et examinons de plus près ce végétal curieux, auquel ne peut s’appliquer aucune des définitions classiques de la plante.

Tout au bas, parfois enfoui dans le sol, se trouve un petit sac membraneux (volve) d’où émerge une « tige » droite et rigide (stipe) portant au sommet le chapeau ou « parasol », et immédiatement au-dessous une « bague » membraneuse, l’anneau. Si le Champignon est à maturité et que l’air est calme, nous verrons peut-être un léger nuage blanc sourdre de dessous le chapeau pour se disperser aussitôt.

Qu’est-ce que cette impalpable poussière? Ce sont les « germes » de l’espèce, les spores, si petites que l’œil humain ne peut les voir sans l’aide du microscope, mais si nombreuses que leurs milliards trahissent parfois leur présence.

Cueillons avec précaution, – car cet objet de beauté est fragile, – la fructification de notre Amanite. Sous le chapeau rayonnant, du centre à la périphérie, un grand nombre de lames blanches, minces, strictement perpendiculaires au sol. Voilà où prennent naissance les myriades de spores. Pour en faire la preuve, séparons le chapeau de la « tige », plaçons-le, lames en bas, sur un papier foncé, et recouvrons le tout d’un bol quelconque, pour éviter l’action troublante du moindre courant d’air.

Après une heure ou deux, le papier portera un abondant dépôt de spores (sporée), reproduisant exactement, comme une plaque photographique, l’image des lames! Une seule de ces spores suffirait, à la rigueur, à reproduire l’espèce. Mais la nature est prévoyante: elle sait toutes les difficultés que pourrait rencontrer cette spore, et combien sa germination est aléatoire. Aussi, a-t-elle multiplié à l’infini ces semences de vie, pour que quelques-unes au moins puissent remplir leur rôle. Et c’est fort heureux que toutes ces spores ne soient pas fertiles, car un simple calcul démontre qu’en très peu de temps la terre entière serait couverte de la progéniture d’un seul Champignon !

On serait tenté de croire que les Champignons sont les moins exigeants des êtres au point de vue de leur nourriture ; mais rien n’est plus faux, car ce sont au contraire les plus difficiles. On peut faire germer, croître, fleurir et fructifier des plantes supérieures dans du sable aride, pourvu qu’on leur donne, outre l’eau indispensable à toute croissance, quelques grains de sels minéraux appropriés.

Mais n’essayez pas de cultiver des Champignons dans ces conditions. Car il faudrait, pour les voir se développer, arroser le sable de nourritures de choix: substances azotées présentes dans le bouillon et le jus de viande (peptones) sucres divers, etc.

Ce comportement du Champignon est dû au fait qu’il est dépourvu du pigment vert, la chlorophylle, caractéristique de toutes les plantes supérieures, et qui permet à celles-ci, avec l’aide de la lumière solaire, de se nourrir du gaz carbonique de l’air.

Cette importante lacune oblige le Champignon à vivre aux dépens des substances organiques provenant de la décomposition des êtres vivants, – mode de vie qu’on appelle le saprophytisme, – ou, dans bien des cas, à s’attaquer aux êtres vivants eux-mêmes, pour leur soutirer leur propre substance, leur propre chair, c’est le parasitisme, avec tout ce que ce régime comporte d’odieux.

Chacun sait qu’il existe des Champignons comestibles, en grand nombre, et des Champignons vénéneux, en nombre beaucoup plus restreint. Le genre Amanite, que nous avons choisi comme exemple, illustre mieux qu’aucun autre la complexité du chimisme de ces végétaux. Deux espèces du même genre, présentant par conséquent beaucoup de caractères communs quant à la forme, peuvent être diamétralement opposés dans leur vie interne, dans leurs sécrétions: ce sont deux laboratoires dont l’un travaille pour la paix et la vie, l’autre pour la guerre et la mort. C’est le cas de l’Amanite des Césars, – à chapeau rouge uni et « tige » jaune pâle, délice des gourmets au moins depuis l’époque des grands empereurs romains, – et de l’Amanite phalloïde, a chapeau et tige olivâtres ou parfois blancs, l’ennemi le plus redouté des amateurs de Champignons parce que responsable de 9 0% des accidents mortels.

Dans les vieux pays d’Europe, la récolte et la consommation des Champignons se pratiquent depuis très longtemps sur une grande échelle. Chez nous, dans nos campagnes, l’utilisation des Champignons comestibles n’est pas encore entrée dans les mœurs, sans doute à cause d’un sentiment de défiance, bien légitime quand on ne connaît pas. Mais cette indifférence est regrettable et il faut espérer qu’un jour nos campagnards, surtout autour des grandes villes, s’intéresseront à la cueillette des Champignons sauvages comestibles, et viendront, comme cela se pratique partout en Europe, vendre leurs récoltes dans les marchés urbains, après contrôle par un inspecteur expert chargé de vérifier les arrivages et d’éliminer les formes suspectes.

Il faudra évidemment faire du même coup l’éducation des citadins, qui ne connaissent guère que le Champignon de couche vendu dans toutes les épiceries, mais qui s’habitueront vite sans doute à être infidèles à ce civilisé, à ce domestiqué qu’est l’Agaric champêtre.

Ne vous semble-t-il pas qu’il y a là une source possible de revenus nouveaux pour les gens de la campagne ? Un léger effort d’éducation d’une part, une routine à vaincre d’autre part, et le mouvement sera lancé.

Jules Brunel
L`Action Universitaire, Volume 6, numéro 2, octobre 1939

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1. – Chapeau d’Amanie, vu d’en dessous. 2 – Spores, très grossies. 3 – Développement d’une Amanite, et dissémination des spores par le vent. Image libre de droit.

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