
Vision Montréal – 1905
Prédictions du mage
En 1905, le mage Papou Gaba-Abidos, savant indien, parcourait le monde « dans le but de porter partout la consolation et la conciliation ».
En mai 1905, de visite à Montréal, le vénérable mage a prédit la transformation de l’île Sainte-Hélène en une sorte de Coney Island new-yorkais, exposant dans les plus minutieux détails les futures séductions de cette île changée en Éden Populaire.
En octobre 1905, après avoir été remplir en Extrême Orient une mission prophétique, le mage Papou Gaba-Abidos est revenu à Montréal. Au cours d’une conversation avec des journalistes, le prophète a fait part de la satisfaction qu’il avait éprouvée en apprenant les efforts tentés par la ville de Montréal pour englober dans une cité unique toutes les municipalités suburbaines.
- C’est un mouvement de progrès qui fera de Montréal une des plus grandes villes du monde.
- Je vois nettement ce que sera Montréal dans cent ans. Cela dépasse en grandeur tout ce que vous pouvez imaginer.
Nous transcrivons ici, avec la plus rigoureuse exactitude, les paroles de Papou Gaba-Abidos, enregistrés par des sténographes de la Presse, le 21 octobre 1905:
- Dans cent ans, dit le mage d’une vois grave avec une parfaite assurance, dans cent ans, la ville de Montréal occupera en totalité l’île qui porte aujourd’hui son nom. Son importance sera telle qu’elle jouira d’une autonomie complète, à l’instar des provinces de la confédération canadienne. Elle n’aura plus un conseil municipal, elle aura un parlement. De sorte que les conseillers municipaux de la ville, après avoir aboli, par absorption, les conseils municipaux des localités voisines, seront abolis à leur tour.
- Dans cent ans, les progrès de l’industrie auront tout transformé et il y aura une plus grande différence entre les conditions de la vie actuelle et celles qui existeront alors, qu’entre les conditions existence présente et celles de l’homme primitif, avant l’âge de pierre.
- Toutes les tribulations qui nous assiègent, toutes les détresses qui nous accablent, tous les maux qui nous affligent seront à jamais disparus.
- Il n’aura plus ni riches ni pauvres; ni grands, ni petits; ni maîtres, ni esclaves. Ce sera le règne de la fraternité qui s’épanouira dans une Salenté égalitaire.
- Toutes les maisons seront luxurieuses et confortables, et l’électricité remplacera les services publics.
- Plus de demoiselles de téléphone : les communications s’établiront d’elles mêmes, automatiquement.
- Plus de pompiers : une pression sur un bouton et un extincteur chimique aura raison du fléau naissant, ne laissant d’autre trace de son action qu’un parfum suave.
- Plus de policemen: la pureté des mœurs les aura relégués parmi les souvenirs des temps barbares.
- Plus de juges, plus d’huissiers, plus de prison ; le degré de perfection et de probité sociale aura rendu ses fonctionnaires inutiles et ses édifices sans destination.
- Plus de cochers de fiacres; l’urbanité des citoyens en aura provoqué l’anéantissement.
- Plus de tramways, plus d’automobiles ; la lenteur de ces véhicules d’un autre âge les aura fait rejeter. Ils seront remplacés par des aéronefs dont la vitesse dépassera le vol de l’hirondelle.
- Plus de journaux : les nouvelles seront enregistrés sur des cylindres phonographiques et transmises à toute heure du jour et de la nuit, au domicile des abonnés, qui n’auront que la peine de tourner une petite clef pour en ouïr le récit.
- Plus de facteurs : les lettres et matières postales seront délivrées à domicile à l’aide d’un tube pneumatique, qui desservira également les citoyens, leur épargnant la peine de se rendre au bureau de poste.
- Plus de neige ni de glace dans les rues et sur les toitures : un système de chauffage électrique souterrain élèvera la température, l’hiver au degré constant convenable pour les chambres de malades. Le produit liquide de la fonte de la neige s’écoulera instantanément par de vastes égouts creusés sous toutes les voies de la ville.
- Plus d’interruption dans la navigation : à l’aide de petites masses de radium, judicieusement reparties dans des stations sous – fluviales, le Saint-Laurent demeurera libre de glaces pendant toute l’année. Les froids les plus rigoureux ne pourront rien contre le précieux agent calorifique.
- La ville occupera toute l’étendue de l’île de Montréal. De vastes avenues, plantées de décoratifs et odorants paulownias, la traverseront en tous sens. Les distances seront nulles grâce aux flottilles d’aéronefs dont les véhicules aériens se succéderont, le jour de seconde en seconde, et la nuit, de minute en minute.
- Les maisons seront construites selon une formule nouvelle qui classera nos palais actuels parmi les taudis. Le chauffage, l’éclairage, l’heure, la réfrigération seront produits par une source unique, l’électricité, qui distribuera ces bienfaits à domicile.
- Les impôts de toute nature seront abolis; ils seront remplacés par des contributions volontaires, qui excéderont toujours tous les besoins de la grande ville idéale.
- Il n’y aura plus de rivalités politiques, attendu qu’il n’aura plus qu’un seul parti : celui de la fraternité. Les députés seront pris parmi les citoyens volontaires qui verseront au fonds public une somme de 15000$ par année, juste prix de l’honneur qui leur sera accordé. En égard à la population et au grand nombre de citoyens dévoués aux intérêts généraux, le nombre des députés sera porté à 1000, ce qui produira un revenu de 15,000 000 de dollars. Cette somme, ajoutée aux revenus du milliard donné à la ville par un richissime Américain, émule de Carnegie, à la condition que l’avenue principale qui coupe la ville dans sa longueur, porte son nom à la postérité, formera un budget total de 65,000 000 dollars qui, ajoutée aux contributions volontaires, constituera une somme suffisante pour entretenir les dynamos chargés de faire le bonheur des heureux mortels qui peupleront Montréal – Paradis.
- Pour tout dire en peu de mots, tout ce qui existe aujourd’hui disparaîtra pour faire place à des créations nouvelles et perfectionnées.
- Il ne subsistera que l’ordre des avocats. Ils seront recrutés parmi les descendants de ceux qui pratiquaient leur noble profession en 1910, date du commencement de l’évolution dont je vous annonce l’épanouissement. Mais le rôle des avocats sera d’ordre purement académique : ils seront chargés de perpétuer l’éloquence de leurs aïeux et de conserver intacte, dans les masses, la belle langue française, dont seuls ils avaient le secret.
Voila l’avenir brillant réservé à votre belle cité, qui, je le dis en toute sincérité, est bien digne de ces accablants bonheurs.
Les journalistes étaient haletants et plongés dans la volupté d’un rêve féerique.
Mais, dit l’un d’entre eux, Mage, êtes-vous sûr que dans cent ans Montréal aura atteint ce degré idéal de perfection?
Papou Gaba-Abidos fixa sur eux un regard sévère. Il semblait indigné de cette manifestation du doute. Il allait pulvériser les journalistes d’une apostrophe indignée, mais il eut pitié de ces hommes en songeant de la fragilité de leur esprit et à la faiblesse de leurs facultés concept ives. Il sourit avec indulgence, et se borna à répondre en se levant :
– Vous le verrez bien.
Puis il se retira majestueusement.
Et pendant toute la journée, une vague odeur de soufre ou d’ozone chatouilla le nerf olfactif des Montréalais, comme si le diable ou le tonnerre avait traversé la ville…

C’est le magicien Papou Gaba-Abidos, peut-être ? Illustration : © Megan Jorgensen.
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