Causapscal vit dans la crainte d’une autre explosion
Le 28 mars 1977, une déflagration d’une violence inouïe pulvérisait un entrepôt de Causapscal, secouait une bonne partie du village en déplaçant des maisons de leur solage et se faisait entendre à six ou sept milles à la ronde, dans la vallée de la Matapédia.
L’explosion
Il était 22 heures 10, le 28 mars, quand une déflagration a semé la panique en plein centre de la magnifique municipalité de Causapscal.
« On écoutait la télévision. Par chance qu’on n’était pas dehors. Ca fait «boum ». Assez fort pour se plier », ont raconté M. et Mme Yvon D’Anjou, du 225 rue Desbiens.
Le hangar de son voisin d’en face, M. René Fiset, venait d’être pulvérisé. Une pluie de débris de toutes sortes s’est abattue dans le secteur pendant de longues secondes. La maison de M. Fiset venait de se faire éventrer. Elle était rendue inhabitable, comme celle de sa voisine, Mme William Lajoie. Une autre habitation celle de M. Idola Tremblay, s’est détachée de son solage en ciment e a été déplacée de trois à quatre pouces. Le fils de M. Tremblay, qui dormait à l’étage supérieur de la maison, a été projeté en bas de son lit.
Des murs se sont gonflés pour ensuite se replacer, coinçant le linge des garde-robes. Des centaines de vitres ont volé en éclats. « Seulement chez nous, il y en a 13 qui ont cassé, explique M. D’Anjou. Les panneaux d’armoire ont ouvert. En tout, il y a eu 65 réclamations différentes aux compagnies d’assurance. »
La déflagration a été entendue jusqu’à Lac-au-Saumon (environ six ou sept milles), entre Amqui et Causapscal, selon des témoins de la place.
Situation en mai 1977
Aujourd’hui, 44 jours plus tard (le 10 mai 1977), aucun spécialiste (chimiste, technicien, enquêteur) ne peut encore expliquer le phénomène. Personne ne peut donner la véritable cause de l’explosion. Les chimistes en sont rendus à vouloir creuser dans te sous-sol pour en savoir peut-être plus long. Pendant ce temps, les citoyens de Causapscal se posent des questions, plusieurs questions. Ils ont frais à la mémoire les nombreux forages que des compagnies pétrolières effectuent dans la région depuis les années 1950. Ils vont encore plus loin et craignent une autre explosion.
« C’est quelque chose de puissant, de très puissant », soutient le maire de la place, M. Yvon Desrosiers.
« C’est autrement plus que une ou deux caisses de bâtons de dynamite. Il y a un ingénieur qui m’a dit qu’il est presque certain que ce sont des vapeurs de gaz sous terre. Quand le hangar a explosé, je travaillais à mon garage, à 1,500 pieds de là. J’avais l’impression que mon toit était fait de toile.
« Ca a fait un champignon de feu, de flammes et d’étincelles de 300 à 400 pieds de hauteur. Si ça se reproduit, je ne sais pas ce qui va arriver. Là on a été chanceux, il n’y a pas eu de morts, même pas de blessés », a soupire. M. Desrosiers, dans une entrevue avec Le Soleil.
Le maire a expliqué qu’il pourrait y avoir un « vide » sous le village. « Il y a une drôle de vibration quand les camions passent sur la route. Une vibration beaucoup plus forte qu’ailleurs. II y a comme un vide en dessous de nous autres. »
« Est-ce que ça va arriver encore, oui ou non? Est-ce que ça va se reproduire. Les gens demandent ce que le conseil municipal va faire… Qu’est-ce que vous voulez qu’on fasse? », a lancé le maire Desrosiers.
Enquête
Dans les minutes qui ont suivi l’explosion, les policiers du poste de la Sûreté du Québec d’Amqui ont commencé à « occuper » les lieux, 24 heures sur 24, pendant deux jours, n n’y avait aucune senteur de dynamite, d’essence ou d’huile.
Le sergent Jean-Claude Giguére, responsable du Bureau des enquêtes criminelles dans le district de Rimouski, a fait appel à l’escouade technique de la SQ et à des chimistes de l’Institut de police scientifique de la rue Parthenais, à Montréal.
Des spécialistes du ministère québécois des Richesses naturelles se sont également rendus sur les lieux avec les détecteurs d’émanations de gaz, mais n’ont rien décelé.
Bien sûr que c’est mystérieux, affirme le sergent Giguére. On se pose des questions, on aimerait savoir quoi. Ca ne s’était jamais produit dans cette région, de mémoire d homme. »
L’enquêteur précise que les chimistes doivent retourner sur les lieux de la déflagration, aujourd’hui ou demain, pour creuser des trous et aller voir ce qui se passe. « Ils doivent faire d’autres expertises de nouvelles expériences », a-t-il ajouté, précisant qu’il n y a rien de criminel dans cette affaire d’explosion.
Les expertises de cette semaine doivent déterminer si le hangar de 25 pieds par 50 pieds qui a été pulvérisé a été construit sur un ancien dépotoir. On sait que, avec la biodégradation. un dépotoir, même à ciel ouvert, peut laisser échapper des vapeurs de gaz naturel. Ces vapeurs auraient été « emprisonnées » dans le hangar en question, avant l’explosion.
Quelques jours auparavant, le propriétaire, M. René Fiset. a senti une forte odeur « d’ammoniaque ». Ce qui l’a incité à « couper » le contact de la fournaise de l’entrepôt. M. Fiset. entrepreneur général, a gare sa « Mercury Marquis » dans le hangar, environ cinq minutes avant 1’explosion. Le réservoir à l’huile, la fournaise et le réservoir à essence de l’automobile n’ont pas explosé. Ils ne sont donc pas en cause. Mais la déflagration a été tellement violente que la « Marquis » a été aplatie à deux ou trois pieds de hauteur
Forages
Les forages par des compagnies pétrolières multinationales ont été fort nombreux dans cette région, au cours des dernières années.
Vers 19.55. la compagnie Imperial Oil a creusé un puits de 4.800 pieds de profondeur sur le terrain de M. Adrien Dufour, à environ un demi-mille au sud de Causapscal. M Dufour a précise au Soleil qu’il n’a jamais obtenu les résultats de ce forage. «Tout ce qu’il reste, présentement, c’est un petit bout de tuyau qui sort de terre ». Avant de quitter les lieux. les foreurs ont rempli le trou avec 200 sacs de ciment.
D’autres sondages de surface, a l’aide d’électrodes ou de dynamite, ont par la suite été effectués par les compagnies Shell Oil et Gulf Oil. à une douzaine de milles de Causapscal. prés de Sainte-Marguerite.
En 1973, la compagnie Great Plant, de Calgary, a entrepris un forage de 10.000 pieds, prés des concessions forestières de la CIP, à 16 milles au sud-est de Causapscal.
Le maire Desrosiers comme d’autres citoyens, pense qu’il pourrait y avoir un lien entre ces forages, l’achat de plusieurs terres par les Américains dans la région de Causapscal et l’explosion du 28 mars.
(Le Soleil, mercredi, 11 mai 1977, page A3.)
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