Sept fois sur dix les crimes d’empoisonnement ont des femmes pour auteurs
À propos du procès de Liège
Le procès de Marie Becker, qui se déroule en ce moment devant les Assises de Liège, réveille le souvenir de toutes les affaires de poison dont les femmes furent les tragiques héroïnes. Onze assassinats et cinq tentatives de meurtre, tel est le bilan des forfaits de l’empoisonneuse belge. Jamais une Cour d’assises n’eut à juger, dans ce pays, pareille série de crimes.
De Locuste à la veuve Becker
Le professeur Gilbert, de l’Académie des sciences, qui fit d’importants travaux sur la toxicologie, constatait naguère que, sept fois sur dix, les crimes d’empoisonnement avaient des femmes pour auteurs.
Depuis Locuste, que de femmes criminelles ont usé du poison! Autrefois, c’était surtout d’arsenic qu’elles se servaient. L’« acquitta di Napoli » ou « acqua Tofana », ainsi nommée de son inventrice l’empoisonneuse Tofana. qui fit à elle seule. s’il faut en croire les chroniques, plus de six cents victimes en Italie, au quinzième siècle, n’était autre chose qu’une dissolution limpide d’acide arsénieux.
De même que la « coco » aujourd’hui nous vient d’Allemagne, l’arsenic, en ce temps-là, était importé d’Italie. La Brinvilliers le faisait venir de Florence. La marquise, sûre de l’effet de son poison, tua successivement son père et ses deux frères, puis des amis, puis des indifférents. Tuer les gens était devenu un besoin de sa nature hystérique.
Quelques années plus tard éclate le scandale de l’ «Affaire des poisons ». La Voisin. la Vigoureux ne se contentent plus du banal arsenic. De leur laboratoire infernal sortent maintes préparations et décoctions de pavots. de mandragore, d’aconit, de belladone. Comme au temps des Médicis. on empoissonne| toutes sortes de vêtements et d’objets familiers, qui seront ensuite offerts aux personnes qu’il s’agit de faire mourir. Ces opérations criminelles se pratiquent au cours de « messes noires » ensanglantées par des sacrifices humains. La Montespan, qui fut mêlée à toutes ces abominations, avoua, à son heure dernière, qu’elle avait assisté, pendant les incantations de ces messes noires, aux meurtres d’un grand nombre d’enfants.
Le rot dut créer un tribunal spécial, la Chambre royale de l’Arsenal, ou Chambre ardente rien que pour juger les affaires d’empoissonnement. Et devant cette Chambre on s’aperçut que les victimes des empoisonneuses qui terrorisaient Paris se comptaient par centaines.
En vain, d’ailleurs, fit-on de sévères exemples. Le Brinvilliers eut la tête tranchée: la Voisin et la Vigoureux furent brûlées vives en Grève. D’autres empoisonneuses subirent le même supplice. Le roi repoussa toutes les demandes en grâce, car Mgr de Noailles, archevêque de Paris. était venu lui dire: « Sire. mes curés me signalent que chaque jour qu’une foule de femmes s’accusent en confession d’avoir voulu se débarrasser de leur mari par le poison. »
Mme Lafarge était-elle coupable?
Quand on évoque le souvenir des grandes affaires de poison, le nom de Mme Lafarge vient naturellement sous la plume.
Mais Mme Lafarge fut-elle coupable?… Ne le fut-elle pas?… En dépit de la condamnation qui la frappa, le procès reste toujours pendant devant l’opinion publique. On sait que Lafarge mourut après lavoir mangé d’un gâteau à la crème que sa femme lui avait envoyé qu’il se trouvait à Paris. Le chimiste Orfila, ayant examiné les viscères de Lafarge, déclara y avoir trouvé une quantité d’arsenic suffisante pour avoir causé la mort. Mais Raspail, reprenant après lui les expériences, prétendit que la quantité d’arsenic découverte dans les intestins de Lafarge était normale dans tout corps humain.
Depuis lors on a reconnu, en outre, que certaines crèmes, cessant d’être fraîches, secrètent spontanément des toxines capables d’empoisonner ceux qui les absorbent.
Mais, par contre, il est bien peu de procès d’empoisonneuses qui aient laissé quelques doutes sur la culpabilité des criminelles après leur condamnation.
Causes célèbres
Rappelons, parmi ces causes célèbres, quelques-unes des plus retentissantes.
L’arsenic reparaît en maître au procès d’Hélène Jegado, qui comparut à Rennes en 1851, accusée de vingt-huit empoisonnements, qu’elle avouait d’ailleurs avec le plus parfait cynisme. Cette Hélène Jegado était une « servante dévouée » qui n’avait qu’un tort : celui de mêler de l’arsenic à la cuisine qu’elle servait à ses maîtres. Cette abominable créature fut condamnée à mort et guillotinée.
En 1868, la Cour d’assises de Genève condamna à vingt ans de travaux forcés la garde-malade Marie Janneret, coupable de neuf empoisonnements. Celle-ci aussi tuait sans raison, et peut être considérée également comme une monomane du poison.
L’assurance
En 1887, on jugea à La Haye la femme Van der Linden, qui avoua avoir, en vingt ans, empoisonné cent deux personnes. Celle-ci avait, en commettant ses crimes, un but bien déterminé. Elle faisait inscrire, à leur insu, ses victimes désignées comme membres d’une société de secours mutuels. Elle faisait la demande en leur nom. payait une ou deux cotisations, puis leur administrait tout doucement de l’acide arsénieux, Elle touchait alors les secours de maladie, et. en cas de mort, les frais funéraires.
Puis c’est le procès de la demoiselle Bourette. Celle-ci avait envoyé des cachets empoisonnés à un de ses anciens amis, M. Doudieux.
Or il advint que le ténor Godard, de l’Opéra-Comique, se trouvant chez M. Doudieux, prit un de ces cachets, un jour qu’il avait la migraine, et en mourut. L’empoisonneuse avait raté son but, et tué un inconnu.
Au mois de novembre 1937, devant le jury de Cincinnati, composé de onze femmes et d’un homme, la femme Anne-Marie Hahn, d’origine allemande, fut condamnée à mort pour avoir empoisonné onze vieillards que ses charmes avaient affolés Elle finit ses jours sur la chaise électrique.
Enfin, le mois dernier, on arrêta à Vienne une femme Martha Marek, accusée de quatre crimes d’empoisonnement. Cette Brinvilllers autrichienne. pour toucher des primes d’assurances, aurait assassiné successivement son mari, sa fille, sa tante et une femme qui était sa locataire.
Et pourtant les statistiques criminelles assurent que, de nos jours, les crimes des empoisonneuses sont de moins en moins fréquents, Constatation consolante, et dont ii faut faire honneur à la science.
Car il n’est pas douteux que c’est la science, bienfaisante et protectrice, qui, en multipliant les moyens de découvrir le poison et de déceler le crime, retient la main des criminelles en leur enlevant tout espoir d’impunité.
Ernest Laut, Le Petit Journal, article paru le 3 juillet 1938.
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