Un bon exemple de journalisme des années quarante du XXe siècle. Cinq questions et cinq réponses
Voici le texte paru au journal Le Canada, le 27 août 1940 :
Voici cinq questions. Pouvez-vous y répondre ? Notes les réponses que vous croyez bonnes… et tournez à la page 5 du Canada de ce jour, où se trouvent les réponses exactes. Faites la comparaison.
Questions (dernière page de l’édition du 27 août 1940)
- Ce n’est qu’un vaurien, dites-vous de quelqu’un. Et moi, je vous assure que tout homme vaut quelque chose, que j’en sais d’avance la valeur et qu’elle est la même pour tous. Comment puis-je le savoir ?
- Est-ce la coutume, chez les animaux, que la chair soit à l’intérieur du corps et les os à l’extérieur. Comment peut-il exister de tels monstres? En connaissez-vous ?
- Il existe dans la nature des ouvriers capables de construire des édifices qui aient mille fois leur propre hauteur. Où trouverait-on ces champions de l’industrie du bâtiment ?
- Les plus célèbres prisons du monde, il y a quelques siècles, étaient les « plombs » de Venise. Pourquoi ce nom bizarre ? pourquoi aussi cette célébrité ?
- On lit dans les manuels d’histoire que dans Rome, autrefois, tout grand seigneur avait de nombreux client. Et pourtant, il ne leur vendait rien. Alors pourquoi parler de clients?
Réponses aux questions posées en dernière page
- La chimie est là pour me l’apprendra et vous le répéter. Elle nous a fixé une valeur qui ne varie guère d’un individu à l’autre ; mais il est bon de dire immédiatement qu’il ne s’agit ni d’une valeur morale, ni d’une valeur intellectuelle. Elle a évalué les ingrédients dont notre corps se compose. Le décompte en fut rapide. Le voici, dénué de toute poésie mais en tout cas avec une franchise contre laquelle nous ne saurions protester, car la règle dit qu’il faut se connaître soi-même. Dix gallons d’eau ; assez de carbone pour en faire la mine de six mille crayons ; assez de graisse pour en tirer sept pains de savons ; assez de soufre pour en entourer le bout de deux mille deux cents allumettes; assez de fer pour en faire un clou de trois pouces ; assez d’arsenic pour… débarrasser un chien de ses puces et, pour couronner le tout, une pincée de magnésium. Renseignez-vous auprès de quelque pharmacien. Vous aurez le tout pour un peu moins de quatre-vingt-dix sous… et il fera encore un large profit. Cela serait décourageant d’être homme s’il n’y avait que 1a valeur commerciale…
- Nous en avons tous vus et sans nous en étonner. Ce que c’est qat !t force de l’habitude !… Mais que faites-vous de l’huître, de la moule et de tous les crustacés ? N’aillons garde d’oublier le crabe et l’écrevisse. Voilà tous des gens fort anomaux, d’après notre propre système. Les os nous sont donnés pour que, par leur enchevêtrement, ils nous aident à accomplir tous les gestes et les mouvements auxquels nous pensons. La chair vient les envelopper, en déguiser les contours qui seraient trop anguleux. Le rôle que joue pour nous ce précieux engrenage, c’est la coquille qui le joue chez les êtres que j’ai surnommés. Mais le Créateur a voulu que, pour l’huître, la moule, la clovisse, elle fut toute d’une pièce, ce qui limite le nombre des mouvements et la facilité de déplacement mais assure une plus grande résistance aux coups. Il est encore une autre particularité : c’est que, pour eux, elle a suivi la venue dés organes et des viscères. ce que nous pourrions appeler la chair ou la pulpe. C’est la chair sécrété la coquille et elle peut sans cesse chez eux en créer une nouvelle, s’il fallait abandonner l’ancienne.
- Pas chez les humains, en tout cas !… Pas plus en effet que nous ne pouvons l’emporter sur aucun animal pour ce qui en est de la vitesse et de la force, ni même l’égaler, nous ne saurions faire aussi bien que la fourmi dans la construction du logis de sa tribu. Fi donc ! le mieux qu’ait réussi l’homme dans ce genre d’activité qu’est l’art de l’architecture, c’est d’édifier des bâtisses et des structures qui aient cent cinquante à deux cents fois sa propre hauteur. Longtemps, malgré le Woolworth de New-York et ses soixante étages, la tour Eiffel donnait a la France et à l’Europe la suprématie dans le domaine de la verticale. Elle a trois cents métrés, ce qui t près de neuf cents quatre-vingt-quatre pieds. Si l’on accord à l’homme une taille moyenne de cinq pieds six pouces, nous ne sommes donc pas éloignées d’une proportion de cent quatre-vingt à un dans le rapport de la tour à notre homme moyen. Selon la même échelle, l’édifice Empire State et ses cent deux étages comptent douze cent cinquante-quatre pieds, soit deux cent vingt-huit homme mis bout à bout. Songez qu’une fourmi, longue de cinq millimètres, soit un cinquième de pouce, bâtit une fourmilière de cinq mètres, près de seize pieds et demi, mille fois sa propre longueur, par conséquent!
- Ce qui mérita aux prisons de Venise le nom particuliers de plombs, c’était une particularité de la construction qui avait bien son rôle à jouer dans le régime pénitentiaire. En fait, seules pouvaient porter ce nom, les cellules placées au dernier étage du palais dogal, non pas dans les caves ou soubassements comme à l’habitude mais dans les combles, immédiatement sous les toits. Il n’y avait donc pas de plafond : mais, pour le remplacer, le toit lui-même, fait de lames de plomb. Or Venise est située sous un climat presque toujours chaud. Cela voulait dire que, particulièrement en été, la station sous un abri de cette espèce devenait vite intolérable. L’étroitesse du cachot et surtout son manque de hauteur empêchait le prisonnier d’éviter de quelque maniéré cette chaleur d’étuve. Le système était appliqué de préférence aux accuses récalcitrants dans leurs aveux et leurs témoignages. Quelques semaines, le plus souvent quelques jours seulement de cette cuisson inlassable et le pauvre était mûr pour toutes les confessions, même de crimes i qu’il n’avait jamais commis. Les bourreaux bolcheviks de Barcelone avaient plus d’ingéniosité encore; mais, comme on sait l’histoire leur fournissait de magistraux exemples. M’est avis que Hitler, en créant le camp de concentration de Dachau, devrait lui aussi se souvenir de tortures semblables.
- Mais si! Il leur vendait bien quelque chose : sa faveur. Le mot client vous étonne. C’est le traducteur lui avait conservé son premier sens, celui de protégé. Nous ne connaissons généralement que le sens analogique, employé pour ceux qui confient leurs intérêt, à un homme d’affaire ou un homme de loi. Quant aux acheteurs dans un magasin ou une ne devrait pas les appeler des clients, mais des chalands. À Rome, client était le nom donné à ceux qui se mettaient au service personnel d’un grand personnage ; généralement, c’étaient des affranchis, de pauvres gens, des vaincus de la guerre ou des étrangers qui n’auraient ou participer à la vie politique d’une manière efficace ni éviter facilement les nombreux ennuis auxquels les exposait leur indigence ou leur sang différent. Le client s’engageait à voter pour son patron, dans les élections ; à le défendre devant les tribunaux, ne pas témoigner contre lui, ni lui intenter de procès, ni se coaliser pour la dot des filles du patron, pour les amendes auxquelles il pouvait être condamné, pour sa rançon en cas de capture à la guerre, à lui léguer ses biens s’il était sans enfants. En retour le patron devait pourvoir aux besoins de son client et l’appuyer de son influence. Ça n’a pas tellement changé…
Pour en apprendre plus :
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