Histoire de la civilisation : Le premier observateur aérien
En 1794, Lazare Carnot, créateur des quatorze armées pour la défense du territoire, eut l’idée d’appliquer les aérostats a l’observation des forces et des manœuvres des troupes ennemies.
Il créa donc deux compagnies d’aérostiers et en donna le commandement a l’ingénieur Coutelle.
Ce choix était judicieux. Âgé de quarante-six ans, Jean Coutelle avait depuis son enfance étudié la physique et l’électricité, placé même sur 1a maison de son père le premier paratonnerre érige au Mans, sa ville natale. Il suivait avec un intérêt passionné depuis onze ans les expériences aérostatiques engendrées par la découverte d’Étienne de Montgolfier, et cherchait à résoudre le problème de la locomotion aérienne au moyen d’appareils planant comme les oiseaux, quand Carnot l’appela auprès de lui.
Coutelle gagna Paris, où Carnot, de cinq ans son cadet, lui confia son projet. Coutelle l’ayant approuvé, Carnot réunit une commission de savants, composée de Monge, Berthollet, Guyton de Morveau, Fourcroy et Lavoisier. Ce dernier proposa de mettre en pratique ses travaux sur la chaleur et les propriétés des corps gazeux, pour le gonflement des ballons.
L’expérience faite au laboratoire, puis sur le terrain, ayant donné satisfaction, Coutelle parti en poste pour le Quartier Général de Jourdan, commandant en chef de l’armée de Sambre et Meuse, afin de lui proposer ses services. D’abord Coutelle a la malchance de tomber sur le représentant de la Convention, lequel ne comprend pas l’utilité d’un aérostat militaire, menace de faire fusiller comme suspect le nouveau venu. Jourdan prévenu, survient, emmène Coutelle, le complimente de son dévouement et lui demande de faire diligence, l’ennemi pouvant attaquer d’un moment a l’autre.
Les premières ascensions de Coutelle ont lieu à la pointe du jour et permettent au courageux observateur de renseigner Jourdan, au moyen de signaux convenus, sur les travaux exécutés par l’ennemi pendant la nuit et sur les nouveaux groupements des forces adverses.
Il y a trente-deux cordes autour de l’équateur du filet qui enveloppe de ballon. Chaque aérostier tient sa corde, et l’équipe marche en deux groupes de seize hommes sur les bas côtés de la route. Ainsi, la cavalerie et les équipages militaires passent aisément sous la nacelle. Les jours de grand vent les équipes sont doublées à raison de deux hommes par corde.
Ces ascensions ne sont pas sans danger. Le cinquième jour, une pièce de 17 embusquée, embusquée dans un ravin, tire sur le ballon dés qu’il est aperçu. Le boulet passe par dessus. Un second se prépare. Coutelle voit charger la pièce et y mettre le feu. Cette fois, le boulet passe si près de l’aéronaute qu’il croit son ballon percé. Au troisième coup, le boulet passe sous la nacelle.
Quand Coutelle, son observation terminée, donne le signal de le ramener a terre, ses aérostatiers font une telle diligence que la pièce ne peut tirer que deux coups.
Le lendemain matin, la pièce n’est plus en position, mais les fusils ennemis ne cessent de tirer sur l’aérostat.
Voici les précieux renseignements obtenus par Coutelle et consignes dans son rapport: « L’armée ennemie, commandée par le duc Frédéric-Josias de Saxe-Cobourg, feld-maréchal autrichien, est divisée en cinq corps.
« Le premier place a l’extrême droite, sous les ordres du prince d’Orange, fait face à la division Kléber. Le second, à la tête duquel est le général Quasdanovich, a pour adversaire la division Morlot. Le troisième, commandé par le vieux prince de Kaunitz, est place devant la division Championnet. L’archiduc Charles, troisième fils de l’empereur Léopold II, a massé ses troupes devant celles de Marceau. Enfin, le général belge de Beaulieu, qui sert dans l’armée autrichienne, a pris position en face de la division Montaigue ».
Le 27 juin 1794, l’action s’engage dès 3 heures 30 du matin. Le prince d’Orange obtient d’abord l’avantage et repousse Kléber jusqu’à la Sambre. Mais Kléber place ses batteries sur les hauteurs et attaque les Autrichiens en tous sens. Vainement leur cavalerie charge nos artilleurs, elle est foudroyée par la mitraille de nos batteries.
Jourdan, dont l’armée compte 60 000 hommes tient en réserve les divisions Lefebvre et Hatry, plus toute la cavalerie, commandée par le général Dubois. À 3 heures de l’après-midi, il donne ordre à Coutelle de s’élever et de suivre les mouvements des deux armées en présence.
Pendant l’ascension, un bataillon français qu’on déplace passe sous la nacelle.
« J’entends, écrit Coutelle plusieurs voix répétant avec humeur qu’on les fait battre en retraite. Puis je distingue une autre voix qui crie: « Tas d’imbéciles! Si nous battions en retraite, le ballon ne serait pas là! » Et les murmures cessent aussitôt ».
La première observation de Coutelle, signalée à Jourdan, est le départ précipité des troupes du prince d’Orange, qui, on l’a su plus tard, vient d’apprendre la perte de Charleroi. Puis Coutelle voit avec inquiétude la division Morlot tournée par celle de Quasdanovich, dont les artilleurs prennent d’avantageuses positions. Après avoir longtemps résisté, Morlot doit se replier.
Coutelle signale tout à coup à Jourdan ce fait imprévu: « Le corps Kaunitz suit celui de l’archiduc Charles qui se dirige sur Fleurus ».
Aussitôt Jourdan lance contre eux la division de réserve Harty et une partie de sa cavalerie.
Mais c’est surtout entre Lefebvre et Beaulieu que Coutelle voit s’engager la lutte la plus acharnée. Beaulieu n réussi à repousser la division de Marceau, qui rallie quelques bataillons et s’appuie à la Sambre pour soutenir l’aile droite de son armée. Le combat devient féroce. Les feux se multiplient avec une telle rapidité que Coutelle ne distingue plus les coups. Les baraques du camp s’enflamment… On lutte au milieu d’un incendie… Une bombe fait sauter un caisson de poudre… Coutelle a l’impression que la division Lefebvre est enveloppée par les flammes… Il entend la grosse voix de Lefebvre: « Non! hurle-t-il. Pas de retraite! Nous retirer quand nous pouvons vaincre! Jamais! » Ces fortes paroles galvanisent les soldats qui reprennent bientôt l’avantage sur tous les points. Moreau et Kléber ont réussi à couvrir la Cambre. Morlat s’est remis en ligne. Championnet a pris de l’avance.
Coutelle signale alors que plusieurs ennemis se dirigent vers Charleroi. Mais de ce côté-là Jourdan est sans inquiétude… Le feu de la place apprend, en effet, a ses escadrons que Charleroi n’est plus au pouvoir des Autrichiens. Ceux-ci reviennent au galop apprendre la nouvelle au duc de Saxe-Cobourg, que le prince d’Orange n’a pus encore prévenir.
Le feld-maréchal-duc voit 1a partie perdue et ordonne la retraite générale, afin de ne pas compromettre ses moyens de communication.
En récompense de ces services exceptionnelles, Coutelle fut nomme colonel. Il deviendra général inspecteur et mourra, en 1835, à quatre-vingt ans.
« Les généraux autrichiens et leurs officiers. écrit-il, ne cessaient de s’étonner de ma manière de les observer, qu’ils appelaient aussi savante que hardis. – Il n’y a que les Français capables d’imaginer et d’exécuter une pareille surprise! M’ont-ils expliqué.
La seconde conquête de la Belgique fut pour les Français le prix de la sanglante journée au cours de laquelle l’observation aérienne fit son apparition et prouva son utilité. Cet essai n’eut pas de suite. Napoléon ne comprit point le parti qu’il pouvait tirer de l’aérostation militaire.
Quant à la bataille, elle fut appelée « bataille de Fleurus » non à cause du rôle secondaire joué en 1794 par ce modeste village, mais en raison de l’illustration que le maréchal de Luxembourg avait attaché en 1690 au nom de Fleurus, en y battant le prince de Waldeck, maréchal général des troupes de Hollande.
N’est-ce pas le plus bel hommage rendu par des jeunes recrues, commandées par des généraux de vingt-cinq à trente ans, à ce glorieux maréchal de l’ancien régime, surnommé si justement « Le Tapissier de Notre-Dame »?
Max de Marande, Le temps, 1940.
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