La parfumerie française
L’art des parfums est un des arts sur lesquels les plus vieux livres nous renseignent le mieux : l’Orient, la Grèce et Rome le portèrent à un grand degré de perfection, mais il est probable qu’il est aussi vieux que l’humanité, car le parfum des fleurs fut, dès les origines, une parure subtile pour la femme, parure invisible qui est celle qui peut, le plus, émouvoir.
Avec l’ère chrétienne ce fut un grand silence dans les livres, l’Église interdit toutes les satisfactions de la sensualité où le monde antique avait sombré et, après les invasions barbares, l’art et le goût des parfums que la Gaule romaine avait appris de ses vainqueurs furent complètement oubliés.
Les Arabes réapprirent à l’Occident la notion des parfums. Ils savaient distiller les fleurs et traiter els substances aromatiques suivant les formules secrètes, et dans ce choc de deux civilisations qui fait l’intérêt si prenant des croisades nos barons champenois, picards ou provençaux découvrirent l’un des charmes les plus subtils de l’Orient : les Parfums. Ils rapportèrent des essences précieuses et Thibault de Champagne acclimata alors, à Provins, la rose de Damas.
Et dans la barbarie du moyen âge, la femme reprend peu à peu son rôle de civilisatrice, autour d’elle les plus farouches barons rivalisent de courtoisie, les fleurs coupées entrent dans le château fort, parent des cathédrales blanches aux jours de procession. Les plus anciennes tapisseries, les enluminures des missels nous l’attestent.
En 1190, au moment où l’on vient de célébrer les premières messes au chœur de Notre-Dame de Paris, Philippe Auguste accorde des statuts à la première corporation des Parfumeurs. « Ils paieront leur métier 39 deniers, ils ne pourront rien colporter et devront vendre chez eux, soit à leurs étaux de Halles ».
Le 20 décembre 1357, le roi Jean confirme leurs privilèges et au début du XVe siècle leurs armes enregistrées à l’armorial général sont : « d’azur à un gant frangé d’or posé en pal, accosté de deux besants d’argent ».
Avec la Renaissance, c’est l’Italie, qui pénètre en France avec tous les parfums de la péninsule et ceux plus capiteux qui entrent par Venise, porte de l’Orient.
René le Florentin, amené par Catherine de Médicis, fait fortune dans sa boutique du Pont au Change, et du XVIe au XVIIIe siècle, les parfumeurs seront avec les orfèvres et les soyeux, de tous les artisans, de tous les marchands, ceux les plus étroitement mêlés à la vie de ce monde aristocratique et élégant qui sut porter la civilisation française à une perfection inégalée et avec les grands ébénistes, tous ces métiers d’art, développant leur culture, participeront à former, à cette époque dans la nation, ce « goût » dans lequel le monde entier alors reconnaîtra que les Français sont passés maîtres. Jusqu’à la Révolution, le Commerce de la Parfumerie ne peut se développer en raison des entraves qu’apportaient des règlements qui défendaient aux parfumeurs de débiter aucun autre parfum que ceux qu’ils avaient, eux-mêmes confectionnés et de les vendre en dehors de leur échoppe.
La Révolution vint disperser aux quatre coins de l’Europe les survivants de cette noblesse raffinée qui avait donné au monde le sens du goût et de l’élégance, et la Parfumerie sombra dans la tourmente ! Elle reparut avec le Directoire et ses Incroyables et reprit un essor nouveau avec l’Impératrice Joséphine qui l’aimait en Créole passionnée.
Au cours du XIXe siècle, la parfumerie s’industrialise, se développe et ses progrès furent en harmonie avec une orientation du goût public dont nous pouvons suivre l’évolution dans la littérature, en nous souvenant notamment, depuis Baudelaire, des pages de Huysmans, des vers exquis de Samain où de Mme de Noailles, des notations éparses dans Flaubert, dans Maupassant et dans l’œuvre de cet écrivain, le plus direct peut-être dont s’honorent les Lettres françaises : Mme Colette.
Depuis le début de XXe siècle, la Parfumerie française a pris tout son essor au moment où les progrès de la chimie ont apporté au parfumeur des notes nouvelles que la nature ignore et qui ont permis, avec plus de personnalité dans l’œuvre du parfumeur, une plus grande diversité dans la création des parfums.
Cet art du parfum est le plus mystérieux de tous les arts. L’homme qui est parvenu à connaître et à discipliner la plupart des forces de la nature qui étaient pour lui, à l’origine, des mystères redoutables, qui a su pénétrer le secret de la lumière en décomposant le spectre lumineux, et formuler en tel ou tel nombre de vibrations sonores les harmonies les plus exquises, n’a pu, jusqu’alors, expliquer par quelle suite de phénomènes une matière odorante vient donner à notre nerf olfactif, plus loin même à notre esprit, une sensation agréable.
Ce mystère qui entoure notre sens olfactif, l’ignorance où nous sommes, des lois qui le régissent, expliquent pourquoi l’art des parfums est délicat, impossible à définir, si subtil qu’il n’y a pas de mots particuliers pour exprimer les sensations odorantes et que nous devons emprunter pour elles le vocabulaire qui traduit les caractères des sons et des couleurs.
Cela explique pourquoi la création d’un parfum est une œuvre d’art faite d’intuition et d’imagination, où la science et la technique n’ont rien à voir, et cela explique aussi pourquoi un parfumeur créateur qui n’a besoin d’être ni chimiste, ni ingénieur, est incapable de former des disciples auxquels in ne saurait transmettre des théories qu’il ignore ou des principes qui ne reposent sur aucune base. On naît parfumeur, cela veut dire qu’on est capables de créer une des sensations les plus évocatrices pour l’esprit. Un parfum nous rappelle un paysage, un souvenir d’enfance, éveille dans notre imagination ces contrées où nous rêvons d’aller…
Un bon parfum est une question de dosage heureux et de bon équilibre. C’est en cela d’abord que la parfumerie est un art français, car le mot équilibre exprime un des dons les plus reconnus et les plus enviés peut-être de notre race. Les notes parfumées sont semblables aux touches d’un clavier qui comprendrait plusieurs centaines de notes.
Pour tirer d’un instrument aussi compliqué des accords harmonieux, il faut, certes, un don précieux et une longue pratique, mais il faut surtout une inspiration heureuse, ce goût, cette sensibilité aux moindres dissonances qui sont le privilège des vieilles civilisations.
Mais d’autres raisons ont fait de la Parfumerie une industrie spécifiquement française. D’abord, la richesse florale de la terre de France. Il n’est pas, jusqu’ici, de contrée au monde qui puisse présenter une pareille richesse florale que le littoral méditerranéen européen. Là-bas, les fleurs constituent la synthèse d’une terre féconde et d’une lumière divine, et qui a vu Grasse et ses environs au moment de la cueillette des jasmins, des orangers ou des roses, comprend pourquoi la France est le berceau de la parfumerie. Et cette richesse s’augmente encore de celle de la Communauté française qui peut fournir en huiles essentielles et en matières naturelles odorantes tous les produits nécessaires au parfumeur.
Enfin, une raison de la supériorité de la Parfumerie française se trouve dans l’art de la présentation du parfum et sa mise en valeur.
À cet égard, les artistes français ont pris, depuis plusieurs siècles, la première place parmi les artistes du monde et particulièrement dans le flaconnage. Ils témoignent là d’une fécondité d’invention d’une virtuosité technique, d’un goût parfaite de nos grandes, toujours égal à lui-même, de qualité qui ont été rarement égalées.
À côté des maîtres verriers d’autres artistes concourent à la présentation des marques. Il n’est pas un détail de cette présentation, étiquette, cartonnage, écrin qui ne témoigne de ces qualités si françaises : le bon goût, la note juste, l’harmonie. Ainsi, pour toutes ces raisons, jamais ne s’est mieux affirmée que dans notre industrie, la solidarité qui unit le travail des savants et l’effort des artistes de la France.
Le monde peu à peu retrouve son équilibre économique, les principes de libéralisme l’emportent sur le protectionnisme et le dirigisme qui paralysèrent longtemps les échanges internationaux, les barrières entre les peuples s’abaissent et la France ayant retrouvé son équilibre, gardé son activité et son génie créateur. Son industrie est assurée de conserver son prestige et de maintenir sa place sur les marchés du monde.
Par R. Bienaimé.
