Les chevaliers de Saint-Louis au Canada
Par Hermas Bastien
Les archivistes constatent que dans les registres et actes notariés d’autrefois, parmi les titres et décorations que l’on énumère fièrement, il en est une qui semble comporter une particulière distinction : celle de chevalier de Saint-Louis. C’est en partant de ce fait que M. Aegidius Fauteux a écrit un ouvrage d’un extrême intérêt historique.
Le livre se divise en deux parties : a) l’histoire de l’Ordre royal et militaire de Saint-Louis ; b) la liste chronologique des officiers du Canada faits chevaliers de Saint-Louis. La première partie est d’une lecture savoureuse. On y apprend quel fut le rôle du grand Ordre chevaleresque fondé par Louis XIV. Un aspect de la vie militaire se dévoile à nos yeux, aspect qui vient compléter la connaissance fragmentaire que nous avons de notre passé.
Que l’Ordre de Saint-Louis ait occupé une grande place dans notre histoire, la liste des chevaliers le démontre abondamment. Entre 1693 et 1763, l’Ordre a déversé ses faveurs sur quelque cents quatre-vingts chevaliers qui ont servi au Canada. Le nom de chaque chevalier est accompagné d’une notice où l’historien a rassemblée des détails qui ont requis de minutieuses recherches. Enfin, l’index onomastique qui clôt le volume permet au lecteur de trouver facilement les notices des chevaliers qui l’intéressent.
Autant la première partie saura plaire au simple amateur, autant la seconde fera la joie des historiens qui prisent à son juste prix le côté technique et scientifique d’une œuvre.
Avant 1693, il existait en France des ordres de chevaleries. L`Ordre du Saint-Esprit, le plus élevé, était le lot d’un petit nombre de hauts personnages.
Il n’y a que le chevalier de Lévis qui en fit partie, une fois devenu duc. Les ordres de Saint-Michel et de Saint-Lazare, apanages de la naissance, étaient aussi fort répandus. Ils s’en trouvaient pour cela même quelque peu dépréciés.
En instituant l’Ordre des chevaliers de Saint-Louis, le grand roi voulut que la nouvelle récompense fût une récompense à la seule valeur. Elle était réservée aux militaires, et les titulaires devaient professer la foi catholique. Le patron même de l’Ordre, Louis IX, grand saint et grand guerrier, était proposé en modèle aux chevaliers. L`Ordre de Saint-Louis a existé cent trente ans. On a modifié les règlements quant au nombre de ses dignitaires, quant au chiffre des pensions à distribuer, quant à la durée du service requis. Jamais, on ne toucha aux deux règlements essentiels : la qualité d’officier et la profession de foi catholique.
Les futurs décorés, qui devaient être officiers et fournir des lettres de catholicité, étaient reçus chevaliers par le Roi lui-même qui était le grand maître de l’Ordre. Soit qu’ils fussent aux armées de terre ou sur mer, soit qu’ils servissent aux colonies, il arrivait alors que le roi chargeait un délégué pour présider à l’investiture. Le délégué devait être lui-même chevalier. C’est pourquoi M. de Calhères, nommé en 1694, ne put être reçu que quatre ans plus tard. Personne dans la colonie ne pouvait être délégué par le roi. Cet ordre avait des degrés. Il y avait place dans les cadres inférieurs, mais le nombre des commandeurs et des grands-croix était limité. Quand les promotions étaient impossibles, le roi accordait alors une expectative. Tel fut le cas pour le marquis de Montcalm. Une pension, variant de 6.000 à 2.000 livres sanctionnait les trois degrés, de grands croix, de commandeurs, de chevaliers.
Les membres de l’Ordre portaient une décoration. Cette décoration se décrit ainsi: « une croix d’or à huit pointes pommetées, émaillée de blanc, anglée de fleurs de lys d’or. Au centre de l’avers, sur un champ de gueules émaillé qu’entoure une bordure d’azur également d’émail avec cette inscription en lettres d’or :
Lud. Mag. Ins. 1693 (Luduvicus Magnus institut), on voit représenté un saint Louis cuirassé d’or et couvert du manteau royal, tenant dans sa droite une couronne de lauriers et dans sa gauche la couronne d’épines et les clous de la Passion. Au revers, aussi sur champ de gueules, une épée nue, flamboyante, la pointe passée dans une couronne de laurier, liée de l’écharpe blanche, le tout cerné d’une bordure d’azur avec ces mots en lettres d’or : Bell. Virtutis Praem. (Bellicae virtutis praemium) ».
Selon le grade, cette décoration se portait pendue à un ruban de couleur différente. Dans les cérémonies officielles et dans les assemblées générales de l’Ordre, grands-croix, commandeurs, chevaliers revêtaient un habit approprié à leurs degrés dans l’Ordre.
En vertu de l’édit de 1693, on pouvait solliciter la croix après dix ans de service. D’autres édits prolongèrent la durée de service requise. Plus tard, on fixa la durée de service à vingt-huit ans. Un officier pouvait alors prévoir à quelle date il recevrait la croix de chevalier, s’il n’y avait eu, durant ce laps de temps, rien de dérogatoire dans sa conduite. Aux officiers coloniaux, on comptait pour deux chacune de leurs années de service ingrat et pénible.
En 1793, la Révolution abolit l’Ordre de Saint-Louis qui constituait, à ses yeux, une caste. Lors de la Restauration, Louis XVIII ne put supprimer l’Ordre de la Légion d’honneur implanté solidement par Napoléon. Il voulut lui opposer la Croix de Saint-Louis. Par malheur, il y avait tant d’appétits à satisfaire, qu’une débauche de promotions discrédita l’Ordre de Saint-Louis. Celui-ci cessa d’exister en 1830.
Cet Ordre militaire a joui d’un grand prestige en Canada. Plusieurs historiens ont été frappés par ce fait. Aussi, d’aucuns, qui n’avaient pas étudié la question à fond, se sont-ils avisés de trouver des Chevaliers où il n’y avait que des aspirants.
M. Fauteux fait au cours de son exposé maintes corrections chez ces devanciers. L’ouvrage contient des mises au point importantes. La discussion sur les faits et les idées donne aux passages les plus techniques un ton vivant, personnel, d’une grande aménité dénotant une profonde connaissance de la question.
La seconde partie de l’ouvrage réveillera aux lecteurs l’archiviste-paléographe. Tout l’ouvrage est sous le signe de la plus scrupuleuse précision. Le souci du détail précis n’enlève cependant rien à l’intérêt de la lecture. D’une parfaite objectivité, le livre se lit avec délectation. Les lecteurs nombreux qui nous souhaitons aux « Chevaliers de Saint-Louis en Canada », apprendront comment commença, s’amplifia et s’éteignit la « flamme de cet incomparable foyer de vertu militaire qu’avait allumée, en 1693, cent onze ans auparavant, le grand roi Louis XIV ; l’Ordre royal et militaire de Saint-Louis ».
Hermas Bastien.
L`Action Universitaire, novembre 1940.

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