Notre univers et l’astronome Vesto Slipher
Dans les années 1780 et 1790, l’astronome britannique William Herschel répertorie un grand nombre de nébuleuses. Il pense que certaines d’entre elles sont semblables à la Voie lactée par leur taille et leur nature. Dans ses hypothèses, Herschel suit la suggestion du philosophe allemand Emmanuel Kant, selon laquelle les nébuleuses pourraient être de grands disques d’étoiles, des « univers îles » indépendants de la Voie lactée et qui en seraient très éloignés.
En 1842, le physicien autrichien Christian Doppler établit que la fréquence d’une onde perçue change quand la distance de l’émetteur et du récepteur varie dans le temps. Au XIXe siècle, grâce à l’amélioration des télescopes l’astronome britannique lord Rosse observe que certaines ont des bras disposés en spirale. Son compatriote William Huggins découvre que de nombreuses nébuleuses sont des masses d’étoiles (En 1868, William Huggins détermine la vitesse d’une étoile qui s’éloigne de la Terre grâce à l’effet Doppler). Toutefois, mis à part le fait qu’elles peuvent contenir des étoiles, on ne sait presque rien des nébuleuses au début du XXe siècle. C’est à cette époque que Vesto Slipher (1875-1969) un jeune scientifique de l’Indiana, aux États-Unis, commence à les étudier.
L’observatoire Lowell
À partir de 1901, Slipher travaille à l’observatoire Lowell de Flagstaff, en Arizona, fondé par Percival Lowell en 1894. L’astronome américain a choisi d’établir l’observatoire sur ce site, car l’altitude y est supérieure à 2100 m, la nébuleuse y est faible et la ville en est suffisamment éloignée.
Tous les paramètres sont réunis pour que les astronomes puissent observer le ciel dans les meilleures conditions de visibilité.
Engagé par Lowell pour une courte période, Slipher passe finalement toute sa carrière à l’observatoire. Les deux hommes travaillent bien ensemble. De nature discrète, Slipher œuvre en coulisse et laisse Lowell sur le devant de la scène. Ce grand mathématicien qui a d bonnes connaissances en mécanique installe de nouveau matériel spectrographique afin de développer de meilleures techniques de spectrographie.
L’étude des nébuleuses
Les mesures des décalages vers le bleu et le rouge des nébuleuses spirales prouvent que certaines se rapprochent de la Terre et que d’autres s’en éloignent. Si les nébuleuses spirales se trouvent dans la Voie lactée, elles se déplacent tellement vite par rapport au reste de la galaxie qu’elles ne peuvent y rester trop longtemps. Les nébuleuses spirales pourraient être des galaxies indépendantes de la Voie lactée.
Au début de son contrat, Slipher oriente ses recherches vers les planètes, mais à partir de 1912, et sur la demande de Lowell, il commence à étudier les mystérieuse nébuleuses spirales. Lowell pense que les nébuleuses sont des spirales de gaz qui fusionnent en nouveaux systèmes solaires. Il demande à Slipher de relever les spectres de la lumière provenant du bord extérieur des nébuleuses afin de déterminer si leur composition chimique s’apparente à celle des planètes géantes gazeuses situées dans le Système solaire.
En ajustant le mécanisme du spectrographie de Lowell, un instrument complexe de 200 kg fixé à la lentille de la lunette de 61 cm de l’observatoire, Slipher parvient à augmenter sa sensibilité. Durant l’automne et l’hiver 1912, il recueille une série de spectrographies de la plus grandes nébuleuse, située dans la constellation d’Andromède et connue alors comme la nébuleuse d’Andromède.
Le modèle des raies spectrales de la nébuleuse (l’empreinte digitale de sa composition) indique un décalage vers le bleu, à cause de l’effet Doppler. Il est donc certain que les ondes de la lumière provenant de la nébuleuses d’Andromède se condensent, ou se compriment, et que leur fréquence augmente, car la nébuleuse avance en direction de la Terre à une vitesse considérable. Les calculs de Slipher révèlent qu’elle se rapproche à une vitesse de 300 km par seconde. Si l’effet Doppler a déjà été mesuré sur des corps astronomiques, il n’existe alors aucun précédent d’un effet d’une telle magnitude. Slipher affirme « ne pas avoir d’autre interprétation pour le moment » et conclut que la nébuleuse d’Andromède se rapproche du Système solaire.
La découverte des effets Doppler
Dans les années qui suivent, Slipher étudie 14 autres nébuleuses spirales. Il découvre qu’elles voyagent presque toutes à une vitesse surprenante par rapport à la Terre. Plus extraordinaire encore, même si certaines se dirigent vers la Terre, la plupart présentent des spectres avec un décalage vers le rouge, ce qui signifiait qu’elles s’éloignent de la Terre. La nébuleuse M104 (ou NGC 4594), par exemple, s’éloigne à la vitesse impressionnante de pratiquement 1000 km/s, et une autre, connue sous le nom de M77 (ou NGC 1068), à 1100 km/s. Sur les 15 nébuleuses observées, 11 présentent un décalage significatif vers le rouge.
Effet Doppler
Les spectres des galaxies qui se rapprochent de la Terre montrent un décalage vers le bleu, et celles qui s’en éloignent un décalage vers le rouge, car les ondes lumineuses se contractent ou se dilatent lorsqu’elles sont vues depuis la Terre. C’est l’effet Doppler, du nom do physicien Christian Doppler, le premier à avoir expliqué ces phénomènes.
Si une galaxie ne se déplace pas par rapport à la Terre, les ondes lumineuses détectées sur la Terre arrivent à leur fréquence normale. Les raies d’émission du spectre d’une galaxie stationnaire coïncident avec les longueurs d’onde des gaz qui la composent.
Si une galaxie se rapproche de la Terre, les ondes lumineuses détectées sur la Terre sont condensées (leur fréquence est plus élevée). Les raies d’émission du spectre se déplacent vers les longueurs d’onde bleues, plus courtes : c’est le décalage vers le bleu.
Si une galaxie s’éloigne de la Terre, les ondes lumineuses détectées sur la Terre sont dilatées et elles ont une fréquence plus faible. Les raies d’émission du spectre se déplacent vers les longueurs d’onde rouges, plus longues : c’est le décalage vers le rouge.
En 1929, Edwin Hubble établit une relation entre la vitesse de récession des galaxies spirales et leur distance.
En 1998, Saul Permutter et ses collègues découvrent que l’expansion de l’Univers s’est accélérée durant les derniers 5 milliards d’années.
biographie de Vesto Slipher
Né à Mulberry, dans l’Indiana, en 1875, Vesto Slipher commence à travailler à l’observatoire Lowell d’Arizona peu de temps après avoir obtenu sa licence et y effectue la totalité de sa carrière. L’astronome étudie les périodes de rotation des planètes et établit, par exemple, que Venus tourne très lentement.
Entre 1912 et 1914, Slipher fait sa plus importante découverte en déterminant que certaines nébuleuses spirales se déplacent à une très grande vitesse. En 1914, il découvre la rotation des galaxies spirales et mesure une vitesse de rotation de centaines de kilomètres par seconde. Il prouve également qu’il existe du gaz et de la poussière dans l’espace interstellaire. Vesto Slipher dirige l’observatoire Lowell entre 1916 et 1952. Il y supervise des recherches sur les planètes transneptuniennes qui amènent à la découverte de Pluton par Clyde Tombaugh en 1930.
Ouvrage clé : 1915. Spectographie Observations of Nebulae.
En 1914, Slipher soumet ses résultats à l’Union américaine d’astronomie, qui l’ovationne.
Lorsque Slipher présente son article sur les nébuleuses spirales en 1917, la proportion de nébuleuses avec un décalage vers le rouge et un décalage vers le bleu est de 21 pour 4. Dans cet article, Slipher explique que cette vitesse moyenne à laquelle elles se rapprochent ou s’éloignent (leur vitesse radiale) s’élève à 700 km/s.
Cette vitesse est nettement supérieurs à celle de toutes les étoiles qu’on a mesuré le mouvement relatif à la Terre jusqu’alors. Pour Slipher, il devient alors inconcevable que les nébuleuses spirales puissent traverser la Voie lactée à ces vitesses. Il affirme : « Pendant longtemps, on a pensé que les nébuleuses étaient des systèmes stellaires observés à de grandes distances… Cette théorie, selon lui, joue en faveur de ces observations. Slipher rejoint ainsi Kant, qui avait présumé que certaines nébuleuses, en particulier les spirales, pouvaient être des galaxies indépendantes de la Voie lactée.
En 1920, à la suite des découvertes de Slipher, un débat formel est organisé à Washington. Il porte sur la possibilité que les nébuleuses spirales soient des galaxies indépendantes situées en dehors de la Voie lactée. Au cours de ce que l’on a nommé le Grand Débat, deux astronomes américaines défendent des positions opposées. Harlow Shapley soutient que les nébuleuses spirales font partie de la Voie lactée, ce que récuse Heber D. Curtis, qui affirme pour sa part qu’elles en sont très éloignées. De nombreux astronomes prennent parti pour l’hypothèse de Curtis.
L’héritage de Slipher
Les découvertes de Slipher ne font pas toutefois l’unanimité auprès de la communauté des astronomes de l’époque. Pendant plus de 10 ans, Slipher est le seul astronome à étudier l’effet Doppler sur les nébuleuses spirales.
En 1924, un article d’Edwin Hubble tranche le débat sur la nature des nébuleuses spirales. Après avoir détecté un type d’étoiles appelées « céphéides » dans certaines nébuleuses, comme celle d’Andromède, Hubble établit que la nébuleuse d’Andromède et d’autres semblables sont tellement éloignées qu’elles ne peuvent faire partie de la Voie lactée et doivent donc être des galaxies qui se trouvent en dehors de celle-ci.
Dans environ 4 milliards d’années, la galaxie d’Andromède heurtera la Voie lactée, le ciel nocturne aura éclaté.
Hubble prouve ainsi que les hypothèse de Slipher, qui remontent à 1917, sont justes. Quand Hubble publie son article, Slipher a mesuré la vitesse radiale de 39 nébuleuses spirales, dont la plupart révèlent une vitesse de récession élevée (jusqu’à 1125 km/s). Hubble utilise les mesures de Slipher concernant le décalage vers le rouge du spectre des galaxies, prouvant qu’elles se trouvent en dehors de la Voie lactée, et trouve un lien entre leur décalage vers le rouge et leur distance.
À la fin des années 1920, Hubble utilise ce résultat pour confirmer que l’Univers s’étend. Le travail effectué par Slipher en 1912 et 1925 a joué un rôle crucial dans ce que l’on considère aujourd’hui comme la plus grande découverte astronomique du XXe siècle. Ses travaux ont ouvert la voie aux recherches sur le mouvement des galaxies et à d’autres théories cosmologiques basées sur un Univers en expansion. Quant à la galaxie d’Andromède, on prévoit qu’elle heurtera la Voie lactée dans environ 4 milliards d’années et formera avec elle une nouvelle galaxie elliptique.
(Extrait de L’Astronomie, les grands concepts expliqués. 2017, Dorling Kindersley Limited, a Pengun Random House Company).
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