Mérycistes

Les mérycistes et leur phénomène

Les journaux anglais ont annoncé la mort, à Wolverhampton, d’Hadji Ali, qui fut surnommé tantôt « l’homme aux deux estomacs », tantôt « le volcan humain », ou encore « l’homme autruche et qui était un des mérycistes les plus parfaits que l’on pût voir. Tout comme d’autres dont nous parlerons plus longuement, il avalait billets de banque, poisons vivants, etc. et les restituait à la demande. C’est là un phénomène auquel il nous a été donné d’assister assez fréquemment, et qui, s’il mérita quelques explications, n’est pas aussi extraordinaire que beaucoup le pourraient supposer.

Le mérycisme est une anomalie physiologique grâce à laquelle l’homme, faute sans doute de pouvoir faire l’ange, fait en quelque sorte la bête, en ce sens qu’il rumine à la façon de pas mal d’animaux. Chez le « privilégié » de ce genre, les aliments remontent facilement l’estomac dans la bouche où ils peuvent être déglutis une seconde fois. Il est curieux de constater que cet acte, que nous considérons volontiers comme répugnant, ou ne détermine chez le méryciste aucune sensation particulière ou bien lui est agréable, au témoignage de quelques-uns, dont le regretté professeur Raphaël Blanchard, qui déclarait que savourer une fois de plus un plat fin est une jouissance redoublée.

Si l’on a pu étudier à loisir dans les détails (comme on le verra) le mécanisme de cette anomalie, c’est qu’assez souvent les mérycistes s’exhibent en public – et en tirent des bénéfices appréciables – et qu’ils n’hésitent pas à se prêter aux recherches de tout ordre qui nous ont amplement renseignés à leur sujet. Le mérite de ce bizarrerie (s’il en est un) revient le plus souvent à la nature, car on naît méryciste, et il est rare qu’on le devienne. L’hérédité joue, à n’en pas douter, un rôle en l’affaire. On a, en effet, rapporté l’histoire d’un homme ruminant depuis son jeune âge qui avait trois frères lui ressemblant à cet égard et qui a procréé six enfants présentant la même particularité. Toutefois on a noté qu’une sorte de contagion morale pouvait entraîner les mêmes conséquences, ce qui démontre qu’il y a parfois des mérycismes non plus innés, mais acquis. On a raconté d’autre part qu’un physiologiste en était arrivé là bien malgré lui à la suite des nombreuses expériences qui consistaient à avaler une éponge retenue à un fil à seule fin de se procurer des échantillons de son propre suc gastrique. Il eut d’abord des régurgitations qui devinrent ensuite spontanées, pendant un certain temps tout au moins.

La première observation de mérycisme qui ait été publiée l’a probablement été par Fabrice d’Acquapendente, célèbre anatomiste et chirurgien, qui professa à Padoue au seizième siècle. Depuis lors on en a pu lire de nombreuses. Elles restèrent des curiosités tenues pour difficilement explicables jusqu’au jour où l’on s’attacha à en dissiper le mystère en mettant à profit toutes les occasions d’étudier le phénomène et aussi tous les moyens d’investigation que la science a mis à notre disposition. Des médecins ont même exposé leur cas personnel comme Raphaël Blanchard dont on rappelait tout à l’heure l’opinion originale et dont l’auto-observation est fort instructive.

Avant d’aborder ce chapitre, n’oublions pas qu’il ne faut pas confondre le mérycisme vrai, qui ne s’accompagne d’aucun effort, avec les régurgitations des dyspeptiques et de certains aérographages où l’on observe un côté pathologique indéniable et où les aliments ont, lors de leur retour, une saveur franchement désagréable, sinon plus.

D’autre part, il est des sujets dont la rumination est naturelle, qui agissent ainsi involontairement après chaque repas, poussés par ne sensation de plénitude gastrique ou quelque autre avertissement indéfinissable, disent-ils, qui les fait demeurer « la tête penchée en avant, la langue collée au palais » dans l’attente du bol alimentaire qui va remonter spontanément.

Il sied de ne pas oublier non plus que le mérycisme se voit assez souvent sous forme de symptôme transitoire dans l’enfance chez certains sujets au système nerveux héréditairement touché, mais disparaît dans le plus grand nombre des cas à l’âge adulte. Nous arrivons, après cette discrimination, aux grands premiers rôles, ceux qui ruminent à volonté et le font soit pour étonner leur entourage, soit pour en tirer quelque profit, et qui entretiennent soigneusement en eux cette particularité. Ce sont ces derniers qui ont été le mieux étudiés et dont on s’occupera de façon exclusive.

Voici, par exemple, un Russe, Roginsky, lequel fut l’objet d’un examen minutieux aux rayons X de la part de M. Chalier. Ce qu’il pouvait faire était des plus curieux. Il avalait avec facilité des quantités énormes d’eau, jusqu’à cinq litres, et les restituait sous la forme d’un jet d’eau plein de grâce à l’extrémité duquel il se plaisait, à l’instar de ce que l’on voit dans les tirs forains, à faire danser une coquille d’œuf. D’autres fois, il ingurgitait de la sorte un litre de pétrole et le projetait ensuite sur une flamme qui allumait le jet sans que l’homme parût le moins du monde gêné. Mais le spectacle était infiniment plus goûté encore lorsqu’il se transformait en homme – aquarium, avalait une forte quantité d’eau puis des poissons rouges et à volonté rendait au jour un ou plusieurs de ces petits animaux qui demeuraient parfaitement vivants. Il couronnait ses exercices en absorbant, enveloppés dans de petits sacs de caoutchouc, des billets de banque de valeur variable et les restituait dans l’ordre où on les réclamait sans jamais se tromper ni frustrer ceux qui s’étaient risqués à les lui confier. Il est bien certain qu’à première vue tout cela paraissait un peu sorcier. On l’a cependant expliqué très simplement…

Passons maintenant à l’explication de cette bizarrerie. Bon nombre de ces sujets présentèrent, quand on mit en jeu les rayons X, un estomac particulièrement intéressant. « Estomac d’une forme normale, disait M. Desternes interprétant les clichés pris sur Norton, s’adaptant parfaitement à son contenu et doué d’une tonicité et d’une élasticité remarquables ainsi que d’une musculature puissante renforcées encre en certains points, notamment dans la région sus pylorique, possédant enfin une contractilité très marquée… bref, l’estomac idéal », et cette description nous démontre, s’il en était besoins, qu’il n’y dans la bouche ce qui est dans l’estomac est seulement une affaire de contraction musculaire, nous comprendrons qu’un individu aussi bien doué à cet égard puisse accomplir des choses que le commun des mortels considérerait comme au-dessus de ses moyens, et cela surtout lorsque l’entraînement intervient.

Voir aussi :

LISETTE : Oh, il a tort d’être fat ; mais il a raison d’être beau./ SILVIA : On ajoute qu’il est bien fait ; passe./ LISETTE : Oui-da, cela est pardonnable. (Marivaux Le jeu de l’amour et du hasard.). Photographie de Megan Jorgensen.
LISETTE : Oh, il a tort d’être fat ; mais il a raison d’être beau./ SILVIA : On ajoute qu’il est bien fait ; passe./ LISETTE : Oui-da, cela est pardonnable. (Marivaux Le jeu de l’amour et du hasard.). Photographie de Megan Jorgensen.

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