La vie de Homère

Le palais de Nestor et la vie de Homère

Les fouilles archéologiques en Grèce donnent des résultats de plus en plus remarquables. Les Américains viennent aider les savants d’Europe dans ces travaux. Un professeur de Cincinnati, M. Bleguen, vient de découvrir le palais d’un des principaux personnages de l’Iliade, le roi Nestor… Ce professeur américain, en creusant dans des collines au nord de Navarin, qui est l’ancien Pylos, a mis a jour le palais de cet « harmonieux roi de Pylos que les Grecs écoutaient avec le plus de charme».

On a déjà déblayé plus d’une chambre, car Nestor avait une famille nombreuse. On admire la valeur des matériaux employés, comme le chêne ou bois du lit royal, que les siècles paraissent avoir laissé intact, et le seigle de marbre blanc d’où le vieux roi aimait a aller dès le matin contempler la mer. On a reconnu ses celliers où il garde du vin comme celui qu’il fit servir au jeune Télémaque. Dans sa chambre on a trouvé 620 tablettes écrites où il lisait peut-être des conseils aussi sages que ceux qu’il donnait à ses contemporains.

On peut se demander maintenant ce que l’on sait présentement sur Homère lui-même, « le plus génial des aèdes grecs ». Or, il a existé huit vies d’Homère dans l’antiquité. Bien des siècles ont passé depuis. Au XVIIIe siècle, des savants allemands nièrent son existence. Leurs livres firent illusion quelque temps, mais c’est fini. V. Bernard et André Mazone ont démontré son existence.

Les grands historiens grecs de l’antiquité étaient en même temps des voyageurs. Ces historiens grecs étaient: Pausanicès, Hérodote et Strabon, de la même ville d’Asie Mineure : Halicarnasse. D’Hérodote, la plus connue des vies d’Homère est celle attribuée à Hérodote.

Parce que cette vie diffère beaucoup avec un certain passage d’Hérodote sur l’époque où vécut Homère, dans son grand ouvrage, on la condamne.

Le meilleur éditeur du père de l’histoire est son dernier traducteur dans la collection Guillaume Bubé, M. Ph. Le Grand, correspondant de l’Institut, ancien professeur à l’Université de Lyon. Consulté par l’auteur de cet article, il a bien voulu lui répondre: « Ce pourrait être de Strabon. Il était de la même ville d’Halicarnasse que Hérodote. » On a encore de lui un Dictionnaire géographique de grande valeur, qui fait beaucoup regretter la perte de l’Histoire complète que l’on sait qu’il avait rédigée.

Le récit dont nous allons nous servir est bien rationnel, plein de faits tout naturels dans la vie d’un poète de cette époque. Les voyages d’Homère qu’il révèle montrent qu’il connaissait depuis longtemps les lieux où Ulysse devait poursuivre son odyssée jusqu’aux côtes d’Espagne et quand il en eut le premier projet. Lorsque l’on bâtit jadis la ville de Kyme, en Eolie, on vit venir des hommes de toute la Grèce. De la Magnésie vint le grand-père du côté maternel du futur aède. Il s’appelait Ménalopos. Il se maria avec la fille d’Omyretis : certes, ils n’étaient ras riches. Ils eurent une fille oui s’appelait Crithéis. Ils moururent jeunes. La jeune fille fut confiée à un ami de la famille, Cléonax. d’Argos. Dans la suite des temps, la jeune fille eut une liaison avec un homme marié. Les amis étaient fort ennuyés. On s’arrangea pour qu’elle partit pour Smyrne, ville nouvelle alors. Elle fut confiée à des amis, les Isménias. de Béotic. Un jour que Critheis, en excursion avec des amies à Kyme, se sentit prise des douleurs, elle avait un fils, à qui elle donna de nom de Mélésigène, parce qu’il était au bord du Mélés, un petit fleuve côtier de là-bas.

Smyrne était déjà une ville très intellectuelle. Il y avait, comme à Athènes, des écoles où l’on enseignait aux enfants les belles-lettres. Une de celles-ci était dirigée par un nommé Thémion. À cette époque, on payait surtout en nature; le professeur recevait beaucoup de laine en payement, des mains des élèves.

Un jour, il prit la jeune femme à son service pour lui filer cette laine. Il vit bientôt qu’elle s’en acquittait avec beaucoup de soin et d’adresse.

Elle vivait sage et modeste. Comme Phémion n’était pas encore marié, il lui proposa de l’épouser. Elle accepta. Entre autres raisons, il lui montrait qu’il pourrait fort bien faire de son fils un homme très remarquable, car lui, le professeur, avait remarqué l’heureux caractère de l’enfant. En effet, ses soins et une excellente éducation secondèrent les bonnes dispositions qu’il tenait de la nature. Il surpassa bientôt tous ses condisciples. Plus tard, il pouvait enseigner ia poésie et la littérature aussi bien que son maître. Phémion mourut en lui laissant toute sa fortune. Sa mère ne survécut pas longtemps à son mari.

Mélésigène succéda à son ancien professeur pour diriger son école. On admirait a Smyrne son art d’enseigner et ses premières poésies. Son école était fréquentée par beaucoup de gens et en particulier par des étrangers qui, leurs affaires terminées en ville ou dans le port, venait l’écouter parmi eux. il y avait un capitaine d’un navire marchand nui allait jouer un grand rôle dans sa vie: Mentès. C’était un homme très cultivé et très bon. Il venait de l’île de Lencade pour le commerce du blé. Un jour, il proposa au poète, qu’il admirait beaucoup, de le faire voyager, de l’emmener dans ses voyages. Comme il était riche, il proposa à son poète de lui donner des sortes d’honoraires. Il lui conseillait de profiter de sa jeunesse pour voyager et connaître les pays dont il aurait à parler plus tard. Le jeune homme accepta tout de suite.

Mélésigène quitta son école et s’embarqua à Smyrne avec Mentes. Il fit avec lui plus d’un voyage. IL savait se documenter auprès des habitants par des questions très intelligentes. Très observateur, il savait sc rendre compte de tout et couchait par écrit des notes pour l’avenir. Il parcourut une partie de l’Égypte de la Lybie, de l’Italie et de l’Espagne.

Ruine civilisation
Ruines d’une civilisation disparue à jamais. Photo de GrandQuebec.com.

Ils arrivèrent un jour dans l’Île d’Ithaque, à la fin de scs voyages. Par malheur, le poète souffrait déjà des yeux, et pour qu’il pût se guérir, on s’arrêta chez Mentor, personnage important dans l’ile, riche et bon.

Le capitaine Mentes était obligé de continuer son voyage. On soigna aussi bien que possible les yeux de l’aède, qui paraissaient guéris au bout de quelque temps.

Le poète s’était instruit avec soin de tout ce qui concernait Ulysse. Ils s’embarquèrent une autre fois pour un autre grand voyage et finalement arrivèrent à Colophon. Là, le pauvre aède devint complètement aveugle.

Comme Mélisigène ne pouvait rester à Colophon après ce malheur, il voulut rentrer a Smyrne. où il s’appliqua à la poésie. Depuis longtemps il préparait l’Iliade et l’Odyssée.

Mais la misère le poursuivait déjà comme tant de poètes connus. Il retournait à sa ville natale. Kyme, où il espérait retrouver des amis, quand il eut à traverser la plaine de l’Hermos ; il dut s’arrêter un jour au village de Néon-Tichos, qu’il savait fondé par une colonie de sa ville natale. Un soir, il aperçut un armûrier qui s’appelait Tychios et le reçut tout de suite fort bien. L’aveugle, qui se sentait accueilli avec bonté, le saluait par ces vers qui firent sur son hôte une profonde impression :

O vous, citoyens de l’aimable fille de Kyme.
Qui habitez au pied du mont Sardène,
Dont le sommet est couvert de bois a l’ombre bienfaisante
Et qui vous abrévez de l’eau du divin Hermos,
Respectez la misère d’un étranger qui n’a pas de maison
Où il puisse trouver un asile.

L’armurier, heureux de lui rendre service, résolut de partager avec lui ce qu’il avait; puis, ayant averti ses amis, il lui organisa une petite réception, où l’aéde malheureux pouvait réciter des vers. Ce fut l’Expédition d’Amphiarios contre Thébes, qu’il leur débita. Tous étaient dans l’admiration comme à Chios, à Smyrne.

Tant qu’il fut dans ce village, ses poésies lui permirent de subsister. Pondant très longtemps, à Néon-Tichos, on montrait l’endroit ou il avait l’habitude de s’asseoir pour réciter ses vers. Mais, a cette époque, ou il n’y a pas encore de fortune; elle et ses amis ne pouvant plus l’aider, le poète reprit son projet de retourner dans sa ville natale; là, il l’espérait, il y aurait plus de ressources pour lui.

Le chemin le plus court passait par Larisse. C’est là que l’aède composa l’épitaphe de Midas, le fils, mort jeune, de Gordius, roi de Phrygie, à la prière de la famille royale.

Quand il le put, il se rendit à Kyme aux assemblées de vieillards, où il leur déclamait des vers oui les frappaient d’admiration. Ravi de l’accueil que l’on faisait a ses oeuvres et de la douce habitude qu’ils avaient prise de venir les entendre et les applaudir, l’aède eut un projet qu’il communique à ses amis: « Si la ville consentait a l’entretenir comme un fonctionnaire municipal, il se contenterait de ce qu’il recevrait, et dans ses vers célébrerait la bonté de sa ville natale. » Ce projet bien conçu faillit réussir.

Dans le Sénat de la ville, il y avait bien des voix qui se prononcèrent en sa laveur, à l’exception d’un seul qui défendit si vivement son argument qui finit malheureusement par l’emporter : Si cet aveugle est un aide de génie et que nous lui faisons un traitement. cela se saura; tous les aveugles qui trainent leur misère dans la région nous envahiront pour être adoptés aussi. L’archonte, lui aussi, sc prononça contre le malheureux aveugle, malgré son génie, Dans la décision qui fut signifiée, rédigée en dialecte parlé a Kyme, « aveugle » se disait oméros.

C’est depuis lors que Mélésigène perdit son nom et demeura l’Homère ou l’aveugle le plus célèbre, que tout le monde plaignait.

Arrivé à Phocée. d’où partirent les fondateurs de Marseille, Homère y vécut comme ailleurs de la recette que lui procurait la déclamation de ses vers en public. C’est là qu’il composa une grande partie de l’Iliade.

Mais le pauvre aveugle avait besoin «l’un bras droit, d’un copiste; il crut bien faire en se servant d’un professeur de littérature, Testoridès, qui, un jour, sc révéla une dangereuse canaille après être parti pour l’île de Chio. En effet, son ancien secrétaire avait emporté à l’insu de son maître une copie d’une partie des oeuvres du pauvre aveugle. Il allait la lire dans la région comme étant de ses oeuvres à lui, ce qui lui attiraient pas mal de bénéfices. Un jour qu’il déclamait à Phocée de ces vers, des marchands de Chio lui dirent qu’ils les avaient déjà entendu chez eux et que Théstoridès les donnait comme les siens. Homère voulut aller à Chio pour poursuivre ce misérable. Il passa par Erythée où des marins le refusèrent d’abord, car il n’avait pas d’argent ; touchés de la beauté de la Prière à Neptune qu’il leur récita, ils l’embarquèrent le lendemain. Le malheureux aveugle finit par arriver à Patras, dans une région désertique.

oeuvre d'art
Photographie comme oeuvre d’art. Photo de GrandQuebec.com.

Un peu plus loin de la ville, il fut bien accueilli par un berger, Glauco. Celui-ci sur lequel le vieil aède avait fait une profonde impression le présenta à son maître. Cet homme, frappé de sa haute valeur et charmé des récits de ses voyages, résolut de lui confier l’éducation de ses enfants.

C’est là que commencèrent pour le grand poète bien des années heureuses. Son voleur avait pris la fuite devant son arrivée. Homère se rendit à la ville de Chio, y fonda une nouvelle école. Comme à Smyrne, il y traitait de la poésie. Il avait beaucoup de succès et les habitants montrèrent beaucoup d’amitié pour lui. Il acquit ainsi une honnête fortune, et un jour il se maria ; on ignore le nom de sa femme comme celui de ses deux filles dont l’une était déjà mariée à quelqu’un de Chio quand il mourut.

Ses oeuvres rendaient leur auteur célèbre dans toute la Grèce et lui amenaient beaucoup, de visites. Quand quelqu’un lui proposa de parcourir ce pays. il accepta tout de suite.

Homère se rendit d’abord à Samos pour passer en Grèce. C’était la fête des Apaturies dans l’ile. Un des habitants qui l’avait vu à Chio, dès qu’il l’aperçut à la descente du navire, retourna vers ses concitoyens on faisant les plus grands éloges du poète aveugle. Alors les autorités l’invitèrent à se joindre à elles et il accepta. Il fut admis dans la phratrie, sorte de communauté qui gouvernait l’île à cette époque encore bien primitive, comme administration. Il paya son écot de quelques poésies. Le lendemain, des potiers qui préparaient leur four pour la journée l’invitèrent à entrer dans leur atelier. S’il voulait lui chanter quelque chose, ils le prieraient de choisir quelque poterie à son goût. Il leur déclama le Fourneau, qui resta longtemps dans la littérature grecque et que les enfants da l’ile chantaient encore pendant de longues années quand ils guettaient pour la fête d’Apollon.

Au début d’un printemps, le vieil aède voulait se rendre a Athènes. Malheureusement, à peine embarqué a Samos, sur un navire, Homère se sentit bien malade. Il se savait atteint d’une maladie très grave, sans doute la consomption. On dut le débarquer sur le rivage le plus proche, celui de l’ile d’Ios. C’est là qu’il mourut,

Il fut enterré sur le bord de la mer par ses compagnons et quelques amis d’Ios.

La gloire de son nom n’a pas tardé à se répandre à travers le monde. On sait que bien des villes disputèrent l’honneur do l’avoir vu naître. Un jour, quelqu’un assura qu’il était né aux Indes. Le moqueur bien connu Lucien s’amusait de ces diversités sur le lieu d’origine, dans son Histoire véridique. t. II, xx, et Prolus à la même époque, disait plaisamment : Il serait plus simple d’appeler Homère le citoyen du monde !

Ses œuvres naquirent chez le peuple doué le plus du sens de la beauté. À cette époque , dans les intelligences, tout se tournait en poésie : où le moyen de connaître était l’observation immédiate de la nature physique. Puisées directement à un succès, elles gardent un élément de vérité naïve et complète, parce que spontanée, et que le plus heureux effets de l’art ne peuvent retrouver.

Depuis lors, l’Iliade et l’Odyssée demeurent les plus grandes créations poétiques de l’esprit humain. Les dates manquent un peu dans la vie d’Homère, d’après les sources qui nous testent.

On sait que l’antiquité a connu huit vies de cet aède de génie. L’Université d’Oxford les a publiés dans son cinquième volume de son édition magistrale le des Opera Homeri, dans leur état actuel, mais sans essai d’interprétation ou de traduction : c’est un vieux dialecte ionien.

En tout cas, il est certain que c’est par la récitation publique et non par la lecture qu’ils se répandirent dans le monde grec : d’abord chez les grands personnages qui se prétendaient descendre des héros de l’Iliade; plus tard, comme Athènes, devant des assemblées populaires : un rapsode déclamait des poèmes d’Homère.

Maints grands chefs se rendirent coupables d’interpolations dans ce texte, afin d’y voir nommer leur famille, qui n’y avait nul droit. Les textes devinrent tels que les Pistrates, qui gouvernaient alors Athènes, en ordonnèrent une révision complète qu’ils confièrent à une Commission de savants très connus s cette époque et présidée par Aristarque d’Alexandrie. Ainsi fut préparée la première édition sérieuse des oeuvres d’Homère.

Le meilleur buste est celui qui est au Vatican, dans le musée des Muses, plus intelligemment posé que celui du musée de Naples, No 604, qui est bien connu aussi. On admirera toujours Homère tel que l’ont peint, dans de magnifiques tableaux, à la bibliothèque de Boston, Puvis de Chavannes, et Ingres au Louvre.

On peut croire qu’il s’inspire du célèbre bas-relief transporté au British Museum, l’Apothéose d’Homère, qui avait été découvert un jour dans les ruines du village de Boville, en Italie. Il est dû à un grand sculpteur grec, Archelaos de Priène : on voit 1a Terre, suivie des Muses, couronnant le poète assis, tourné vers la droite.

On sait que certains chants d’Homère servaient de livres de lecture dans les écoles de la Grèce antique. Alexandre le Grand était un des plus grands admirateurs du grand poète. Il savait par coeur ses chants de l’Iliade. Napoléon parlant d’Homère le mettait pour les opérations militaires bien au-dessus de Virgile : « à la façon dont il raconte certain Conseil de guerre il a dû les voir fonctionner », disait-il à Sainte-Hélène.

Aristote, le célèbre professeur du grand conquérant, avait aidé à établir une nouvelle édition, de ces œuvres que les copistes maltraitaient souvent. Il en donna un exemplaire à son royal élève que le roi enfermait dans une cassette et qu’il aimait à placer 1a nuit sous son lit avec son épée. À l’époque du siège de Caza, ses officiers lui avaient présenté un coffret magnifique, ce qui leur paraissait le mieux dans les dépouilles de Darius. Quand on lui demanda ce qu’il y mettrait de mieux, le roi répondit l’Iliade.

L’Égypte conquise, elle aussi, quand le jeune roi de Macédoine décida la construction d’Alexandrie, ville qui devait porter son nom, une vision de Homère lui apparaissait, le força à modifier ses plans. Il crut voir un vieillard à cheveux blancs, à mine vénérable qui lui conseilla d’enclore la petite île de Pharos dans un nouveau tracé.

(Albert Schuermans, La Croix, 1940).

Voir aussi :

L’angoisse est le vertige de la liberté. (Sören Kierkegaard, philosophe danois, Le concept d’angoisse). Photo: Megan Jorgensen.
L’angoisse est le vertige de la liberté. (Sören Kierkegaard, philosophe danois, Le concept d’angoisse). Photo: Megan Jorgensen.

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