Les jours gras jadis
Dans les derniers jours qui précédaient le carême et que l’on appelle plus spécialement encore le carnaval ou les jours gras, les chevaux s’attèlent, les carrioles glissent sur la neige et l’on va par bande festoyer gaiement chez les parents et les amis. Les violoneux battent la mesure de leurs talons, l’archet grince et chacun choisit sa compagnie. En avant, la danse! c’est la gigue, c’est le cotillon, qui font tourner les couples endiablés.
Quelquefois des masques, affublés de grossières défroques, feront irruption au milieu du bal : ce sont les mardi gras, et chacun leur fera la politesse tout en essayant de découvrir qui ils sont, car souvent le diable s’est présenté ainsi déguisé chez les braves gens qui avaient en lamé une gigue sur les premières heures du carême.
Les premiers voyageurs anglais qui visitèrent le Canada, gens mornes et taciturnes qui traînaient avec eux partout où ils allaient les tristes ennuis du climat brumeux de leur pays, ne pouvaient comprendre cette gaieté de l’habitant canadien, toujours exubérante, hachée de rires sonores.
Hélas! un temps viendra où cette belle gaieté disparaîtra. Le Canadien, imprévoyant comme le Sauvage qui coupait l’arbre pour avoir les fruits, pour avoir voulu trop fricoter, perdra comme le savetier de la fable ses chaussons et son somme, mais ce ne sera pas pour les mêmes raisons. Les mauvaises années se succéderont, les terres fatiguées rendront moins. La mollesse et le luxe, en donnant la main aux aubergistes du coin de la route à Dumais, crayonneront d’un trait noir et lugubre ces images d’abondance rurale et de copieux bonheur.
D’après J.- Edmond Roy, Histoire de la seigneurie de Lauzon, vol. IV, p.191.
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