En 10 ans, Jean-Paul Vézina, un Montréalais n’a pas connu une seule nuit de sommeil
Par Dollard Morin
Sur les champs de bataille, le 2e conflit mondial a fait par millions des morts et des blessés. Mais, à l’arrière, il a également fait des victimes sans nombre et très souvent ignorées. Tel est le cas de ce jeune Montréalais qui, enrôlé dans le C.A.R.C., fut victime d’un accident en service. En conséquence, ce jeune homme a perdu sa santé et son avenir. Il doit endurer le martyre de l’insomnie; il n’a pas connu une seule nuit de sommeil depuis 10 ans.
Pourtant; Jean-Paul Vézina avait une santé de fer. Pendant 14 ans, il se livra aux sports avec un succès croissant. Excellent joueur de hockey, il faisait partie de l’équipe du patronage Le Prévost et pouvait passer 60 minutes sur la glace: en l’appelait l' »infatigable ». Il joua même contre Maurice Richard, alors avec le club Paquet.
Il se révéla aussi un cycliste de grande classe et gagna de nombreuses courses, guidé par son bon copain René Cyr.
Jean-Paul Vézina était aussi un excellent boxeur. Enrôlé dans le C.A.R.C. en 1941, il fut attaché au service des sports et remporta le championnat des « Golden Gloves » des forces militaires. Un jour, à la base aérienne de St-Hubert, où il était stationné, le jeune boxeur fut blessé au bras droit au cours d’un combat commandé. Ce devait être le début d’une longue série d’épreuves !
« On m’obligea à livrer de nouveaux combats, » nous relate Jean-Paul Vézina, « et ma blessure en fut aggravée; je souffrais d’une fracture du bras droit. Mais, pour éviter de passer pour braillard, j’acceptai mon envoi outre-mer.
Rendu à Halifax, mon bras enflé me faisait terriblement souffrir. Conduit au camp de North-Sydney, un médecin m’offrit mon licenciement ou l’opération; j’acceptai celle-ci. Mais je revins aussitôt à Montréal et consultai le Dr Antoni Samson qui découvrit une douloureuse infirmité dans mon coude droit. De retour au camp de Sydney, le commandant n’ordonna de travailler. Me sentant absolument incapable, je refusai; il me condamna au cachot pendant plusieurs jours. Enfin, découragé, j’acceptai le travail: balayer et faire le ménage. À cause de mon bras droit malade, j’étais fort malhabile. Il en résulta un autre accident: un réfrigérateur de 1,100 livres me tomba sur le dos, me fracturant le bassin et l’épaule.
Perte de sommeil
Ainsi, Jean-Paul Vézina, qui était habitué à une vie très active, fut alors immobilisé sur un lit d’hôpital, à Dartmouth, les jambes suspendues à des poids. “Les premiers temps, dit-il, on me donna des somnifères; puis, subitement — sans aucune explication — on me les coupa complètement. Je passai 5 mois sans fermer l’œil une seule nuit. Mais je conservai un bon moral et, au bd de ce temps, je recommençai 4 marcher. J’obtins un congé de 28 jours dans ma famille, 4 Montréal; ce furent 28 Jours de vacances encore sans dormir.
De retour au camp de Sydney, boitant et épuisé par le manque de sommeil, je fus de nouveau condamné au cachot, sur mon refus de travailler. »
De là, le jeune aviateur fut envoyé au camp de Greenwood (Nouvelle-Écosse), alors dirigé par des Anglais de la RAF. Le commandant comprit que le malade devait être licencié. Il affirma même au jeune Vézina : « Il t’a fallu une santé de fer pour résister à tout ce que tu as enduré ».
Licencié et incapable de travailler, Jean-Paul Vézina dut faire, auprès des autorités fédérales, démarche sur démarche pour obtenir une pension d’ancien combattant.
On ne lui accorda que 10 pc. d’incapacité; il ne reçut alors que $7.50 par mois! Gardant toujours son bon moral, le jeune Vézina ajoute: « Depuis 10 ans, j’ai complètement perdu le sommeil; c’est la conséquence des mauvais traitements reçus d’officiers incompétents. Aujourd’hui, je souffre d’épuisement général. J’avais demandé d’être admis à l’hôpital Reine-Marie; on m’a dit qu’il n’y avait pas de place et l’on m’a donné une petite pilule ! J’ai fait tous les efforts possibles pour me réhabiliter; je me suis trouvé un emploi de vendeur à domicile, je me suis acheté une auto pour circuler plus facilement, mais ce fut inutile: les forces me manquent. Admis finalement à l’hôpital Reine-Marie, un groupe de médecins a étudié mon cas et affirmé que je devrais recevoir une pleine pension pour invalidité complète. Un médecin-chef s’y est opposé; il a écrit à Ottawa que j’étais un « gambler » et un « tricheur ». Pourtant, Je possède des certificats irréfutables prouvant que mes malaises et mon incapacité sont survenus au cours de mon service militaire.”
Amaigri et affaibli, M. Vézina nous dit: “À cause du manque de sommeil et des mauvais traitements, j’ai été bien près à quelques reprises de m’enlever la vie. Et moi qui n’avais Jamais bu, j’ai tenté de trouver le sommeil par la boisson. A ne pas dormir, j’ai aussi perdu l’appétit. Mais j’ai repris courage et j’ai cessé de boire.
J’ai retrouvé le réconfort en me tournant vers le spirituel. Quand je me couche, c’est comme si j’entrais dans une cellule. Toute le nuit, sans fermer l’œil, mon esprit travaille et je sens même l’action de mon subconscient. Pendant les 3 ou 3 premières heures de la nuit, je dois me maîtriser et ne pas me forcer à dormir ‘ce qui m’épuise trop); je m’applique à penser à des choses qui me reposent. Mais ce n’est pas une vie! Ce qu’il me faut, c’est de la sécurité. C’est une petite chambre où je ne me sentirais à charge à personne où je pourrais me reposer quand j’en sens le besoin. Peut-être qu’ainsi je retrouverais le sommeil. Quand donc les autorités compétentes auront-elles enfin pitié de moi?
(Le Petit Journal, cet article a été publié le 25 janvier 1953).
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