La guignolée : l’efficacité au détriment de la tradition
La guignolée n’est plus ce qu’elle était. Les plus vieux d’entre vous se souviendront de ces berlines, carrioles, sleighs, voitures à chevaux qui passaient avec leurs grelots par les cam pagnes ou même par les vieilles rues de la ville, frappant à chaque mai sonnée, et chantant la « Ignolée« , cueillant boîtes de conserves, jambons, poulets entiers, des sacs de pomme de terre, des quartiers de viandes complets parfois, victuailles qui étaient ensuite distri buées aux familles pauvres des paroisses. Cela se passait il y a 25, 30 ou 40 ans, dans les vieilles rues de Québec et dans certaines paroisses de campagne. A cause des chansons, du petit coup, des chevaux, des grelots, la guignolée avait un petit air de fête, la charité était joyeuse.
HISTOIRE ANCIENNE
L’origine de la guignolée remonte à nos ancêtres les Gaulois alors que les druides cueillaient les feuilles de gui sur les chênes de leurs forêts sacrées au cri de « Au gui l’an neuf ” . C’est d’ail leurs ce cri de ralliement qui devait devenir, par déformation, au cours des ans, « À la guignolée ” : les Gaulois attribuaient aux branches de gui des vertus thérapeutiques et c’était un symbole de chance au combat. Le druide Panoramix, dans les bandes illustrées Astérix est toujours vu cueillant des feuilles de gui avec sa serpe d’or. Ces manifestations païennes devaient s’étendre à toute la France et nos ancêtres de Poitou, de la Saintonge ou de la Normandie couraient la guignolée mais en lui donnant un sens chrétien au passage du christianisme tout en conservant un relent de « barbarie » encore aujourd’hui dans la chanson de la guignolée :
« Bonjour le maître et la maîtresse,
Et tout le monde de la maison ;
Pour le dernier jour de l’année
La Ignolée vous nous devez
Si vous voulez rien nous donner, dites-nous lé-e
On emmènera seulement la fille aînée ;
On lui fera faire bonne chère,
On lui fera chauffer les pieds ;
On vous demande seulement une chignée
De vingt à trente pieds de long
Si vous voulez-e
LA IGNOLEE, LA IGNOLOCHE, METTEZ DY LARD DEDANS MA POCHE !
Quand nous fûmes au milieu du bois, nous fûmes à l’ombre ;
J’entendais chanter le coucou et la colombe.
Rossignolet du vert bocage,
Rossignolet du bois joli,
Eh va-t-en dire à ma maîtresse
Que je meurs pour ses beaux yeux.
Toute fille qui n’a pas d’amant, comment vit-elle ?
Elle vit toujours en soupirant et toujours vieille. »
En Nouvelle-France, on rapporte que l’on courait la guignolée dans les rues de Montréal au début de 1800 et que c’étaient des jeunes gens un peu trop fêtards qui devaient en amener la disparition pré maturée car ils fêtaient un peu trop fort et même se pillaient entre bandes rivales.
À Québec, on retrace la guignolée en 1884 alors que des groupes de jeunes gens se réunissaient dans la vieille maison Lapierre et ils auraient ainsi organisé la première guignolée, une tournée plutôt tapageuse bien que bien intentionnée qui devait leur rapporter la modeste collecte de $130 en argent et des marchandises de quoi remplir six voitures à chevaux. Pour une première tournée, c’était tout un succès. On aurait répété l’expérience une dizaine d’années puis la guignolée serait à nouveau tombée dans l’oubli, au grand déplaisir des familles pauvres qui s’étaient habituées à une certaine douceur durant les fêtes. C’est pour cette raison d’ailleurs que quelques années plus tard, le Cercle des voyageurs de commerce de Québec décida de faire revivre cette tradition, et 75 ans plus tard, nous lui devons toujours la popularisation de cette collecte. Même que le Cercle des voyageurs de commerce fit enregistrer La Guignolée en leur nom, La Guignolée devenant ainsi officiellement leur œuvres humanitaire.
Aujourd’hui encore des gens organisent des quêtes de la guignolée dans les paroisses. Par groupes de 4 ou 6, munis de bas de Noël spéciaux ils vont de commerces en commerces à l’approche des Fêtes en chantant afin d’amasser des fonds qui seront remis aux démunis et en feront la distribution : on répartit ainsi, selon les besoins, les montants des paroisses mais sans nécessairement redistribuer sur place ce qui y a été collecté.
Interrogés à cet effet, quelques-uns des plus anciens membres expliquent ainsi l’abandon de la pratique voulant qu’on amasse des victuailles au profit de simples collectes d’argent : il devenait de plus en plus difficile de trouver des volontaires, on s’apercevait que les victuailles n’étaient pas toujours utilisées à bon escient, les conserves et autres biens de consommation nécessitaient des facilités d’organisation et d’entreposage trop onéreuses.
Quant à savoir si on devait ressusciter la tradition des cueillettes de victuailles, des bénévoles sont d’avis que les collectes d’argent rapportent davantage et nécessitent moins d’organisation : aujourd’hui, avec la multitude de produits sur le marché, on risque de faire des paniers de Noël qui seront plus ou moins adéquats et on manque de volontaires pour organiser tout cela.
La guignolée n’est plus ce qu’elle était : si elle a gagné en efficacité, elle a perdu son folklore.
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