Certaines météorites contiennent-elles des fossiles?
La longue histoire des météorites
De tout temps on s’est intéressé aux météorites et pour des raisons très diverses. Ces pierres tombées du ciel furent longtemps des objets de superstition. De nos jours encore les Arabes vénèrent la fameuse pierre noire de la Kaaba encastrée dans les murs du tombeau de Mahomet, à la Mecque. Ils ont raison en un sens de lui attribuer une origine céleste car c’est une météorite.
Chose étonnante, la première observation scientifique de la chute d’une météorite ne fut faite qu’en 1803.
L’étude des météorites souleva beaucoup d’intérêt pendant le dix-neuvième siècle car avant l’âge des grands télescopes spectroscopiques, des radiotélescopes et des satellites interplanétaires, c’était encore les météorites qui nous apportaient les seuls renseignements sur la composition des corps célestes.
Les théories actuelles font provenir les météorites de la zone des astéroïdes, débris d’anciennes planètes qui gravitent entre Mars et Jupiter.
Jusqu’à maintenant on a identifié quelque 1,500 météorites. La plus grosse “en captivité”, trouvée en Afrique du Sud, pèse plus de 60 tonnes. On estime qu’il en tombe chaque jour 4 ou 5 sur la Terre. Il ne faut pas confondre les météorites avec les étoiles filantes qui ont la même composition et sans doute la même origine, mais qui se consument bien avant d’atteindre le sol. Le poids des étoiles filantes peut varier entre 4 grammes et 1 milligramme; plus petites, elles ne produisent pas assez de lumière pour être visiblesLes météorites n’ont pas toutes la même composition On connaît deux groupes de météorites : les météorites pierreuses ou aérolithes et les météorites métalliques ou sidérites. Ces dernières sont les plus fréquemment trouvées car elles résistent mieux à la chaleur en traversant l’atmosphère et elles se distinguent plus facilement des cailloux ordinaires par leur apparence et leur densité.
Nous nous intéresserons de plus près ici à un groupe particulier de météorites pierreuses que l’on nomme météorites charbonneuses, à cause de leur couleur noire et de leur composition. On en connaît seulement dix-neuf authentiques, dont la chute a été observée. Ce dernier fait est important car il nous fournit l’assurance que ces pierres n’ont pas séjourné longtemps sur le sol; elles ont été mises en collection dès leur arrivée sur la Terre.
On savait depuis longtemps que les météorites charbonneuses contiennent des matières organiques. À la fin du XIXe siècle, ces illustres chimistes Wohler et Berthelot y avaient décelé entre autres, des hydrocarbures saturés. Ces trouvailles firent beaucoup de bruit à l’époque et furent confirmées plusieurs fois depuis.
Une découverte surprenante
Il nous faut attendre trois quarts de siècle, jusqu’en 1961 précisément, pour que s’ouvre un nouveau chapitre de l’histoire des météorites charbonneuses. En effet, c’est l’an dernier seulement que deux Américains, un médecin, le Dr Claus et un chimiste, le professeur Nagy, eurent l’idée géniale de broyer des échantillons de météorites charbonneuses et d’examiner au microscope la poudre ainsi obtenue. Les résultats furent tout à fait remarquables. Dans un court article de la célèbre revue scientifique anglaise NATURE, Claus et Nagy rapportèrent la présence de ce qu’ils nomment simplement des “éléments organisés” dans deux des météorites charbonneuses examinées. Il s’agit plus précisément de particules microscopiques qui rappellent, par la complexité de leur structure, certaines algues fossiles. On y observe par exemple des détails d’organisation comparables, d’après les auteurs, à des membranes cellulaires doubles, des épines, des protubérances tubuleuses, des sillons, des pores, des vacuoles internes et même des flagelles ! Naturellement, les photos qu’on nous montre sont beaucoup moins explicites, mais elles n’en laissent pas moins entrevoir à l’imaginationClaus et Nagy poussent la précision jusqu’à décrire cinq types différents d’éléments organisés dont nous avons reproduit les plus caractéristiques. Le “type 5” est particulièrement impressionnant. Détail troublant, les éléments organisés ne se rencontrent que dans les météorites charbonneuses et cela en extrême abondance.
Deux des pierres examinées en contiennent environ trois millions par centimètre cube ! C’est, disent Claus et Nagy, une preuve de leur origine extra-terrestre.
On voit mal en effet, comment des microorganismes auraient pu se multiplier avec une telle luxuriance dans ces cailloux calcinés qui ont reposé, depuis leur arrivée sur la Terre, dans les armoires sèches et poussiéreuses des musées.
Claus et Nagy ne nient pas d’ailleurs que leurs échantillons aient été contaminés. Ils énumèrent avec minutie les bactéries, algues et autres particules “terrestres” qu’ils ont trouvées dans leurs préparations.
La controverse est engagée
À l’époque des sputniks et des astronautes, la découverte de Claus et Nagy venait à point pour éveiller l’intérêt des hommes de science. Les articles se succèdent à un rythme de plus en plus élevé et la discussion est maintenant bien engagée. Les uns sont franchement sceptiques; pour eux les particules en question ne sont que des agrégats cristallins ou des figures de précipitation de substances organiques dont la complexité n’est pas plus grande, après tout, que celle d’un banal flocon de neige. Dans le camp opposé, on s’ingénie, avec un succès variable, à découvrir des particules organisées dans toutes les météorites pierreuses disponibles. Nous présentons en tableau les résultats obtenus dans ce domaine. Ce qui est beaucoupplus significatif, c’est que des savants aussi réputés que le professeur Urey, astrophysicien à l’Université de Californie, ont pris très au sérieux la possibilité qu’il s’agisse de véritables fossiles et ont même convoqué, en mai dernier, une réunion internationale à l’Académie des Sciences de New York en vue d’éclaircir la question.
Un fait au moins semble bien établi : il ne peut s’agir d’une contamination terrestre; les particules organisées des météorites charbonneuses nous sont arrivées avec elles. Elles proviennent donc de l’espace interplanétaire.
S’agit-il de fossilles cosmiques ?
La question de leur véritable nature devient alors capitale. Si ce sont de simples curiosités organiques ou minérales, les astronomes, chimistes et astrophysiciens en feront leur profit et tout sera dit. Il en est tout autrement de la possibilité — encore très réelle — qu’il s’agisse d’authentiques fossiles. Il faudrait alors nous demander où ont bien pu vivre les êtres dont ils sont les restes ? Avec Harold Urey, nous pouvons sur ce point envisager quelques possibilités :
- Les Astéroïdes : ou plutôt la ou les planètes dont ils faisaient partie à l’origine.
- Mars : qui, selon certains, supporte encore une vie rudimentaire.
- La Lune : on ne s’accorde pas encore sur son origine.
L’hypothèse courante prétend que la Lune a été “capturée” par la Terre lors d’une rencontre fortuite des deux astres. Au moment de cette quasi collision, des fragments de la croûte terrestre ont pu se détacher pour être à leur tour capturés par la Lune. Si, par contre, comme on le pensait il y a une cinquantaine d’années, la Lune est un immense fragment qui s’est détaché de la Terre — en laissant comme cicatrice l’Océan Pacifique — la présence sur la Lune de matériel terrestre contenant des fossiles primitifs pourrait aussi s’expliquer.
Remarquons que, dans les deux cas, les conséquences de l’hypothèse “lunaire” sont les mêmes : les fossiles des météorites charbonneuses (si fossiles il y a), se seraient formés il y a très longtemps sur la Terre et nous reviendraient après un séjour plus ou moins prolongé dans l’espace avoisinant. Quant au cas le plus simple, celui d’êtres vivants ayant vécu sur la Lune, il apparaît tellement improbable qu’il ne vaut même pas la peine de le considérer.
Il serait vain de s’attarder plus longtemps sur ces hypothèses puisque nous ne savons pas encore s’il est nécessaire de les poser. Disons simplement que le professeur Urey considère l’hypothèse de “capture lunaire” comme la plus plausible, le cas échéant, et le savant professeur se base sur des raisons qu’il serait trop long d’exposer ici.
L’œuf de Colomb
Au point où nous en sommes, il est difficile de prévoir quel sera le statut définitif des éléments organisés de Claus et Nagy, mais au rythme où vont les événements nous pourrions bien être fixés avant longtemps.
Quoi qu’il en soit, cette histoire demeurera un bel exemple d’une découverte rendue possible, non par le progrès de la technique ou même de la théorie, mais par la simple curiosité ou l’intuition de deux savants.
Un peu comme l’œuf de Christophe Colomb : c’était simple…, mais il fallait y penser ! La météorite d’Orgueil est entre les mains des savants depuis 1864 et personne, avant Claus et Nagy, n’avait eu la simple idée de l’examiner au microscope!
Bibliographie
- CLAUS, G. et B. NAGY, A. Microbiological examination of some Carbonaceous Chondrites, NATURE, Vol. 192, pp. 594-596; 1961.
- MORRISON, P. Carbonaceous snowflakes and the origin of Life. SCIENCE, Vol. 135, p. 663; 1962.
- SINGER. F. The origin of Meteorites. SCIENTIFIC AMERICAN, Vol. 191, pp. 36-41, Nov. 1954.
- UREY, H.C. Life-forms in Meteorites. NATURE, Vol. 193, pp. 119-133; 1962.
- UREY, H.C. Lifelike forms in Meteorites. SCIENCE, Vol. 137, pp. 623-628; 1962.
Par Pierre Couillard, article paru dans la revue Le Jeune scientifique, en novembre 1962).
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