La forme de l’Univers : L’Univers, est il rond ou plat comme la table?
(Extrait de l’ouvrage « Le Mystère du satellite Planck. Qu’y avait-il avant le Big Bang » d’Igor et Grichka Bogdanov. Préface de Luis Gonzalez-Mestres, physicien, chercheur au CNRS. Éditions Eyrolles).
Pour l’heure, nous voici prêts à aborder le second grand mystère. Quelle est la forme de l’Univers? À quoi ressemble-t-il? Loin de ce que l’on croit et répète aujourd’hui, la réponse va, sans aucun doute, quelque peu vous surprendre.
L’Univers, est-il rond?
Il vous est sûrement arrivé, en levant vos yeux vers les étoiles, de vous demander à quoi ressemble le cosmos dans lequel vous vivez. Plus prosaïquement, si l’on va tout tout devant soi, que se passe-t-il? Est-ce que l’on avancera sans jamais rebrousser chemin, jusqu’à l’infini? Ou bien, au contraire, reviendrons-nous un jour à notre point de départ, au terme d’un immense voyage?
Ici, une bonne nouvelle : le satellite Planck apporte une première réponse, beaucoup plus précise – sept cents fois plus précise – que celles proposées par COBE et WMAP. Toutefois, disons-le sans détour : nous pensons que la présentation officielle publiée par les experts de Planck (et par la majorité des astrophysiciens) quant à la forme de notre Univers coïncide mal – très mal – avec la réalité observée.
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Quelle est la forme – autrement dit la « topologie » – de cet Univers que nous voyons tous les jours et dans lequel nous vivons? Le tout premier à avoir osé – quoique très indirectement – soulever cette question sous l’angle de la science s’appelle Bernhard Riemann. Un nom aujourd’hui mythique. Son empire s’étend sur toutes les mathématiques du XIXe siècle et bien au-delà.
Nous le retrouvons par une belle journée d’été, le 10 juin 1854, dans la salle des actes de la légendaire université de Göttingen. En cette saison, il fait beau en Basse-Saxe. La fenêtre est grande ouverte sur les arbres et le ciel. Ce fils de pasteur (lui-même ancien séminariste) n’a que vingt-huit ans. Dans la vie de tous les jours, il est d’une timidité maladive et il lui arrive parfois de bredouiller des paroles incompréhensibles à l’abri de sa barbe lorsqu’on lui pose une question. Mais tout s’arrange quand il est face à un tableau noir. Et c’est justement le cas ce jour-là à Gôttingen. Le jeune Bernhard doit présenter à ses pairs (des professeurs et quelques étudiants) le mémoire d’habilitation qu’a choisi Gausse – Kark Friedrich Gauss, l’un des plus grands mathématiciens de l’histoire. Ce fin connaisseur de l’enseignement sait qu’il a donné à son élève le sujet le plus difficile. Un monument de questions ouvertes, qui porte sur les fondements même de la géométrie. Gausse brûle de voir comment ce galopin de Riemann va s’en tirer avec quelque chose d’aussi compliqué. Et au moment où Riemann prend la parole, Gausse ne sait pas encore qu’il va vivre un moment historique.
À voix basse, Riemann se lance. Il commence par ce qu’il y a de plus simple au monde, un point dans l’espace. Suivent la ligne et le plan. Puis, peu à peu, sous les yeux médusés des savants, il reconstruit toute la géométrie. D’abord celle dont nous avons l’habitude, la géométrie plane. Déjà, ceux qui le suivent sont essoufflés. Va-t-il s’arrêter là? Certainement pas. Ce jour-là guidé par une grâce qui vient d’ailleurs, le jeune étudiant s’engage sur les pentes encore inconnues, jamais explorées, des espaces courbes. Et pour tous c’est le choc, Gauss en tête. En dehors du vieux professeur, littéralement subjugué par les calculs qui se succèdent au tableau noir, pratiquement aucun des auditeurs figés sur leurs bancs n’a compris un traître mot de ce que le candidat a raconté.
Or, parmi les hypothèses qui tournoient vers l’infini, deux touchent de plein fouet la cosmologie. Et éclairent d’un jour tout nouveau la question :
En premier lieu, comme galvanisé par le verre de liqueur dans lequel il a trempé ses lèvres le matin, Riemann énonce sur un ton de plus en plus hardi que si notre Univers est caractérisé par une courbure constante et positive, alors il peut être représenté par une sphère à trois dimensions. Une « hypersphère », conne il le murmure à son maître avec un sourire humble. L’exploit est déjà démesuré puisque c’est ce modèle d’espace sphérique à trois dimensions que va utiliser tel quel Einstein, pratiquement sans modifier une virgule.
Faut-il s’en étonner? Bien plus tard, Einstein lance à propos des idées révolutionnaires de Riemann : « Seul le génie de Riemann, solitaire et incompris, avait déjà ouvert la voie vers une nouvelle conception de l’espace. » Et il n’est pas le seul à le penser puisque l’un des maîtres de la théorie quantique, le prix Nobel Max Born, a déclaré à son tour que l’idée de représenter l’Univers par une sphère à trois dimensions est « l’une des plus grandes idées sur la nature du monde qui ait jamais été conçue. »
Mais la seconde idée de Riemann va encore plus loin. Elle est à peine esquissée à l’oral, en réponse à une question, mais elle a de quoi clouer sur place ceux qui l’entendent. Qu’affirme-t-il avec le plus grand naturel? Tout bonnement que rien n’empêche la sphère qui représente l’Univers de changer de rayon. Celui-ci peut grandir avec le temps sans que le modèle sphérique soit jamais remis en cause. À ce stade, la présentation de Riemann devient proprement renversante. Car de quoi nous par-t-il? De rien d’autre que d’une représentation possible de l’espace-temps en expansion? À ceci près qu’il a cent cinquante ans d’avance.
Justement, nous ne sommes qu’au milieu du XIXe siècle. La vision a beau s’inscrire dans les mémoires (notamment celle de Gauss) en lettres de feu, elle passe largement au-dessus de ce qu’on était alors prêt à absorber. Aussi l’image étincelante va-t-elle disparaître à l’horizon, tel un bolide qui file dans la nuit.
Pourtant, tout n’est pas perdu, loin de là. Nous allons voir pourquoi dans les linges qui suivent.
(Igor Bogandov est diplômé de l’École des hautes études en sciences sociales et Docteur en physique théorique. Grichka Bograndov est diplômé de l’Institut d’études politiques de Pars et Docteur en mathématiques.Ils occupent actuellement la chaire de cosmologie à l’Université Megatrend des sciences appliquées de Belgrad. Ils sont auteurs de plusieurs ouvrages à succès dont « Le visage de Dieu » (éditions J’ai lu, mai 2011) et « La pensée de Dieu » (éditions Grasset, juin 2012). Luis Gonzales-Mestres est physicien théoricien, chercheur au CNRS et spécialiste de cosmologie primordiale.
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Mais avant cela, il est temps de revenir vers notre satellite. Que nous dit-on sur la forme de l’Univers? Que l’espace à trois dimensions est plat.
Plat comme la table!
Étrangement, ce point de vue (qui prend le contre=pied des idées de Riemann et d’Einstein) est partagé par une majorité d’astrophysiciens. Sur le site de Planck, on peut même lire cette affirmation pour le moins dérangeante dans la présentation de la géométrie de l’Univers :
« Quant à la géométrie, l’espace est plus plat que jamais ». Pourquoi cette sorte de jubilation? Ce commentaire officiel, repris partout, fait vaguement penser à quelque chose comme une curieuse victoire sur l’Univers, aplati « comme un crêpe » (selon une expression à présent en vogue dans les milieux astrophysiques).
Revenons à la réalité, celle des chiffres. Les données exploitables fournis par le satellite conduisent à une interprétation sensiblement différente du discours officiel. Laquelle? Les résultats des mesures débouchent sur une intéressante conclusion, qui prend le contre-pied de ce que martèlent depuis le 21 mars 2013 les équipes du satellite : l’espace à trois dimensions, selon nous, n’est pas – ne peut pas être – rigoureusement, exactement, plat. Affirmer que l’Univers est plat nous semble aussi déraisonnable que de croire que la Terre est plate.
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