Il demande de retourner au bagne

L’ex-roi des escrocs de l’Europe demande de retourner au bagne

Paris, 3 mai – Plutôt la Guyane que la prison, cela peut paraître invraisemblable, et c’est pourtant la surprenante requête que vient de présenter, devant le tribunal des appels correctionnels, un vieillard à l’âge d’ivoire, presque élégant, qui étonna l’assistance tant par sa réelle distinction que par sa faculté d’élocution.

Il s’agit de l’ex-roi des escrocs Gutmann. Voici en quels termes il conta sa vie : « Monsieur le président, je suis Maurice Georges Gutmann, qu’autrefois on surnomma le roi des escrocs. Triste royauté! Mes débuts datent de 1892. Depuis lors, j’ai fini par être relégué et suis parti pour la Guyane.

En arrivant là-bas, révolté, lassé, étais décidé à tout braver. Je n’ai réussi qu’à me faire enfermer dans la section des incorrigibles et j’y étais sans doute mort si un journaliste charitable qui visitait le bagne ne m’avait pris en pitié. Je luis exposai ma peine et il s’entremit en ma faveur. Une expérience fut tentée qui donna de bons résultats : c’est-à-dire que du régime de la relégation individuelle. À partir de ce moment-là, j’ai refait ma vie…

Je rencontrai en effet des commerçants qui s’occupaient de l’exportation des papillons. Ils m’employèrent et je gagnais aussi de 40 à 50,000 francs (environ $2,000) par an. Dès lors, je me conduisis de façon exemplaire. C’est ce qui m’a perdu!

On avait, en effet, une telle confiance en moi que lorsque la maison eut besoin d’un homme sûr pour une représentation en Europe, on me désigna. Par faveur, j’obtins un congé de six mois et je visitai l’Angleterre, la Suisse et ka France. Je ne devais que passer à Paris. Hélas! J’y suis resté.

Le délai écoulé, je ne suis pas reparti. J’eus peur de ne pas savoir expliquer cette défaillance; j’accumulai les fautes. Bref, je suis entré chez un agent de publicité, M. Marigny. Et il se trouva un jour que j’avais de nouveau commis des escroqueries…

J’ai comparu en correctionnelle, j’ai été condamné à quatre ans de prison…

Je n’ai pas d’excuse, monsieur le président, je le sais. Je suis revenu devant la cour pour demander non pas une absolution impossible, mais une réduction de peine. Je suis vieux, fatigué, miné. Ces quatre années de prison, je ne pourrai les supporter.

Je vous demande donc de me renvoyer à la Guyane. Je partirai, si vous le voulez bien, avec le prochain convoi qui quittera l’île de Ré, et j’irai reprendre, là-bas, la place laisse vide. Mes amis, les exportateurs de papillons m’attendent. Laissez-moi repartir, je vous en prie… »

(Ce récit a été publié dans le journal Le Petit Journal, Montréal, 4 mai 1930).

Il nous reste rappeler les mots de René Descartes, prononcés dans ses Méditations : « Je me suis aperçu que, dès mes premières années, j’avais reçu quantité de fausses opinions pour véritables, et que ce que j’ai depuis fondé sur des principes si mal assurés, ne pouvait être que fort douteux et incertain soit que je veille ou que je dorme, deux et trois joints ensemble formeront toujours le nombre de cinq, et le carré n’aura jamais plus de quatre côtés. » (René Descartes Les méditations). 

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La connaissance est une torche fumante Qui n’éclaire guère qu’à un pas Une nuit de peur et de mystère. (George Santayana, Sonnets et Autres Poèmes.). Photo de Megan Jorgensen.

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