Cinq questions et cinq réponses aux lecteurs – Un exemple du journalisme et de la presse d’opinion des années 1940
Voici cinq questions. Pouvez-vous y répondre ? Note: les réponses que vous croyez bonnes… Ces questions et réponses exactes se trouvent sur la page 5 du journal Le Canada du 23 août 1940. Faites la comparaison.
Questions :
- Parmi les ordres de chevalerie, il en est un qu’on appelle: Ordre de l’Étoile Polaire. Est-ce chez les Esquimaux qu’on l’attribue? Et l’ordre du Christ, n’est-ce pas une création des Papes?
- Au nombre des guérisons célèbres, on cite toujours celle du Pape Sixte-Quint (ou Sixte-V). Mais la maladie et la guérison étaient-elles toutes deux réelles?
- Dans quel pays pouvait-on voir avant la guerre de 1914, une province posséder un Parlement, alors que le gouvernement fédéral n’en avait pas?
- La Grosse Bertha menace de devenir le principal acteur de la lutte européenne. Pourquoi ce nom de Bertha? Le canon en question est-il vraiment très gros?
- Quel est l’homme qui commanda la plus grande armée du monde, sans jamais posséder aucun grade? Ce nom devrait être présent à vos esprits en ce moment (en août 1940).
Réponses :
- Non, les Esquimaux n’ont pas le bénéfice d’être décorés de l’ordre de l’Étoile Polaire, car c’est un ordre d’institution suédoise. Ce n’est pas tellement loin du Pôle, comme on voit. L’ordre du Christ, lui, n’a rien à voir avec les Souverains Pontifes, du moins pour ce qui est de sa fondation. Il faillit au contraire, dès son début, encourir leurs foudres. Ce n’était rien moins, en effet, que l’ancien ordre des Templiers, reconstitué sous un autre nom et, cette fois, au Portugal. Cette communauté, mi-laïque, mi-cléricale, avait, par ses incroyables richesses, provoqué la jalousie des rois de France et d’ailleurs, qui se trouvaient souvent à court d’argent en ces temps de guerre, quasi-permanente. Philippe le Bel lança contre eux des accusations de sacrilège, de sorcellerie et de vie licencieuse, et confisqua le trésor. Quoi qu’il en soit de la véracité de ces délits, dont plus d’un historien se permet de douter, les Templiers n’avaient pas bonne réputation. Ils refaisaient trop rapidement leur fortune, au gré du roi qui ne vit rien de mieux que de se proclamer lui-même grand maître de l’Ordre du Christ. Le pape de l’époque approuva les nouvelles constitutions à condition de pouvoir nommer lui-même quelques chevaliers, ce qui en fit un ordre romain.
- Ce fut une des plus remarquables supercheries qu’ait enregistré l’histoire. La maladie, si l’on peut dire, était « diplomatique »; aussi la guérison fut-elle instantanée. Félix Peretti, qui devint pape sous le nom de Sixte-Quint, était de la plus humble origine; dans sa jeunesse il garda les pourceaux. La charité des franciscains de son village lui permit de recevoir l’instruction qu’il méritait. Devenu cardinal et son mérite étant reconnu, il fut écarté des affaires par son prédécesseur, Grégoire VIII, qui le craignait, à cause de son ambition. Les autres cardinaux partageaient ce sentiment. Sixte-Quint, qui n’était pas facile à décourager et avait gardé sa matoiserie paysanne, feignit alors d’être abattu par l’âge et les infirmité. On vit peu à peu sa taille s’affaisser, son teint se jaunir; il en vint à s’appuyer sur une béquille. À la mort de Grégoire, les cardinaux étaient divisés dans leur choix et n’hésitèrent pas à élire le cardinal Peretti dont la faiblesse présageait un court règne, ce qui leur permettrait de mieux se préparer pour le choix suivant. À peine le scrutateur eut-il proclamé le résultat que l’on vit le cardinal Peretti, le même qu’on avait dû traîner de force au conclave, se redresser de toute sa hauteur, si violemment que ses voisins manquèrent d’être renversés, jeter au loin sa béquille et entonner le Te Deum d’une voix à faire trembler toutes les vitres du Vatican. Sixte-Quint put alors se donner aux grandes réformes qu’il méditait dans l’administration de l’Église.
- C’était en Russie. La province en cause était en fait plus qu’une province. C’était la Finlande qui, sous le titre de grand duché, était passé de la domination de la Suède à celle des Russes, lors du Traité de Fredrikshamn, en 1809. Les Finlandais furent d’abord bien traités par leur souverain, le tsar Alexandre 1er, qui succombait assez facilement à l’emprise des idées de la Révolution française, particulièrement quant au droit des peuples à disposer d’eux-mêmes. Il se proclama souverain personnel des Finlandais, sous le nom de Grand-Duc de Finlande et leur accorda de nombreuses franchises. Le sort des Finlandais ne devint malheureux que sous son petit-neveu, le tsar Alexandre III, qui en tenait pour une répression énergique de tous les instincts de rébellion, quelque honorable qu’en fit le motif. Nicolas II était plus doux et se repoussait pas tout à fait la démocratie. Les Finlandais obtiennent donc la création d’un sénat consultatif qui fut transformé en Parlement en 1906. Les Russes eux-mêmes n’en obtinrent un que l’année suivante; mais la Douma – c’était son nom – eut d’abord une vie malaisée, essuyant dissolution sur dissolution.
- Cette appellation de Grosse Bertha est un surnom qui fut donné au premier canon de ce genre en l’honneur de Bertha Krupp, fille et héritière d’Alfred Krupp, le grand manufacturier d’armes d’Essen. Il faut croire que ses millions lui donnaient beaucoup de charmes, puisque son époux, le baron von Bohlen, demanda à prendre son nom et ne s’appelle plus, depuis, que Krupp von Bohlen und Holbach. Mais l’on a dit : la grosse Bertha n’est pas tellement grosse. Elle lance des obus qui ont six et huit pouces de diamètre. C’est assez faible auprès des pièces de marine qui peuvent tirer des projectiles de quinze pouces de diamètre (quatre fois plus gros par conséquent, car la surface s’apprécie par le carré du diamètre multiplié par un facteur constant). Où la Bertha reprend ses avantages, c’est dans la portée. La portée certifiée des bouches à feu de ce genre employées au cours de la dernière Grande Guerre fut de cent vingt-cinq kilomètres, soit soixante-seize milles anglais. On peut croire qu’elle a encore été perfectionnée depuis. L’idée qui permit aux ingénieurs en balistique de lui donner un tir aussi allongé fut de lancer l’obus aussi haut que possible dans les airs. Dans la stratosphère, l’air est raréfié, comme chacun sait, et ledit obus rencontre moins de résistance. Il circule à une hauteur de quarante mille pieds, soit environ huit milles au-dessus de la terre, ce qui est assez joli…
- C’était un petit juif d’Ukraine, nommé Lev Davidovitch Bronstein, mais on le connaît mieux sous le nom de Léon Trotski. Agitateur socialiste comme son contemporain, Pilsudsky, qui devait devenir maréchal et libérateur de la Pologne, il manifesta, comme lui encore, les plus grandes dispositions pour un métier où seules les circonstances le plaçaient; mais, tandis que Pilsudsky s’éloignait du socialisme pour rentre dans l’ordre et se faisait de l’armée une carrière, Trotski évaluait dans l’autre sens, passant de la Deuxième Internationale Socialiste à la Troisième, qui est communiste, pour en arriver à fonder lui-même la Quatrième, franchement anarchiste. Son rôle militaire, il le tint de 1918 à 1921, alors que le régime communiste cherchait à consolider son pouvoir et devait lutter à la fois contre le corps expéditionnaire des Alliés à Arkhangelsk, contre les légions Tchèques et contre les armées de Youdenitch, de Koltchak et de Wrangel, chefs des Russes blancs ou tsaristes. L’entreprise alliée d’Arkhangelsk ne fut pas poussée assez loin pour l’inquiéter; mais les Russes Blancs lui donnèrent du fil à retordre. Pour venir à bout de ces débris de l’ancienne armée impériale, il fut forcé de proclamer une stricte discipline et le rétablissement des divers grades, malgré les promesses, si souvent faites, d’égalitarisme complet. Manœuvrant sur les les lignes intérieures, comme les Allemands l’avaient fait chez eux, il dispersa et détruit à tour de rôle ses adversaires qui ne surent pas s’unir et finirent leur belle résistance par la simple chouannerie.
Voir aussi :
- Presse d’opinion au Québec
- Questions aux lecteurs et réponses
- D’autres questions et réponses (de 1940)
