Vous ne le saviez pas !

ADN: la technique miracle

ADN: la technique miracle

ADN: j’irai chercher jusque sur vos tombes

Oubliez le gros bon sens d’Hercule Poirot, la patience légendaire de Maigret et même les brillantes élucubrations de ce cocaïnomane (occasionnel) de Sherlock Homes — les grands flics de romans sont aujourd’hui menacés de chômage.

La police (et la justice) française a découvert — en même temps que les États-Unis d’ailleurs — la technique miracle qui, dans de sombres affaires criminelles, peut maintenant dispenser des traditionnelles qualités de flair, de psychologie et d’esprit de déduction qui, depuis la nuit des temps, faisaient les grands détectives et les palpitants romans policiers.

Pour peu que le criminel ait bavé sur sa victime, laissé un quart de poil sur les lieux de son méfait ou transpiré, il a désormais laissé sa signature ADN, son empreinte génétique, un « code-barres » personnel totalement exclusif. Il suffit d’une cellule grosse de quelques millièmes de millimètre pour obtenir cette configuration strictement personnelle de son ADN. Jusqu’à tout récemment, un perceur de coffres-forts se contentait de mettre des gants et une cagoule pour avoir la paix. À partir de maintenant, il faudra opérer en combinaison de la NASA pour être sûr de ne rien laisser de compromettant derrière soi.

Les temps s’annoncent également bien difficiles pour les grands affabulateurs de l’Histoire, ces imposteurs farfelus qui déboulaient sur le devant de la scène en se déclarant issus de la cuisse de Jupiter, de Napoléon, de Jeanne d’Arc ou du frère André. N’importe quel laboratoire de police de quartier vous démontrera, structure de l’ADN en main, que vous n’avez strictement rien à voir avec la célébrité dont vous vous réclamez. Ainsi cette fantaisiste qui, pendant une dizaine d’années, avait défrayé la chronique et vendu ses confidences aux grands magazines européens en se faisant passer pour la grande-duchesse Anastasia, fille du tsar Nicolas II soi-disant réchappée du massacre des Romanov en 1918. Un bout de cheveu de la prétendue Anastasia, comparé à un autre bout de cheveu de n’importe quel arrière petit-cousin, et voilà la supercherie qui s’effondre. À moins que, bien entendu, vous soyez vraiment la grande-duchesse en question !

Parmi les illustres disparus qui ont suscité des vocations sur les affabulateurs, Louis XVII, fils du roi décapité pendant la Révolution française, mort dans sa prison du Temple à Paris en 1795 à l’âge de 10 ans, tient sans doute le premier rang.

Pendant toute une moitié du XIXe siècle, on vit apparaître une centaine d’aventuriers qui, à tour de rôle, prétendaient être bel et bien le fils de Louis XVI, évadé du Temple grâce à des complicités et remplacé par un faux. Persévérant dans la tricherie, un certain Naunsdorf, horloger et prussien, réussit à entretenir un vrai doute et eut des partisans. Sur sa tombe on peut lire : « Ci-gît Louis XVII, duc de Normandie, roi de France et de Navarre. »

Depuis le 19 avril dernier, cette fameuse « énigme du Temple » est définitivement résolue. Grâce à cette révolutionnaire technique de l’empreinte génétique, et à des circonstances historique rocambolesques.

Arraché à sa mère en 1793 à l’âge de huit ans, confié un temps au cordonnier Simon pour qu’il en fasse un révolutionnaire, l’enfant avait été enfermé dans des conditions abominables au Temple, dans une pièce noire où on le laissa dépérir au milieu de ses excréments, avant que la tuberculose osseuse ne l’emporte.

À sa mort, et avant qu’on ne le jette dans une fosse commune, l’un des médecins qui avaient pratiqué l’autopsie… subtilisa son cœur et le cacha dans sa poche. En 1828, il le donna à l’archevêque de Paris, qui devait le rendre à la famille des Bourbons. Deux ans plus tard, la mini-révolution de 1830 vit la mise à sac de l’archevêché, et l’urne de cristal contenant le cœur fut fracassée. Mais six jours plus tard, des visiteurs fouillant les décombres retrouvèrent le fameux cœur dans un tas de sable. Le susdit organe prit en 1895 la direction de l’Espagne où régnaient encore de coriaces Bourbons. Il ne revint en France qu’en 1975 pour être exposé à la basilique de Saint-Denis, lieu de sépulture des rois de France.

Plus de deux siècles après la mort de Louis XVII, son cœur « a parlé » comme disent les policiers. On disposait de cheveux de Marie-Antoinette et de ses deux sœurs, on a également fait des prélèvements sur deux descendants actuels des Bourbons : pas de doute possible, ont conclu deux laboratoires indépendants. La structure de l’ADN de chaque individu est non seulement unique (sauf rarissime similitude dont la probabilité est de un pour 100 milliards de milliards !), mais encore elle vous dévoile avec certitude tout l’album de famille — c’est ainsi qu’on sait maintenant avec certitude que le président américain Jefferson avait effectivement un enfant avec sa maîtresse Sally Hemings, esclave et noire. Et que la pauvre Aurore Drossart, qui se prétendait la fille d’Yves Montand, n’a rien à voir avec lui, même s’il a fallu pour en avoir la preuve aller déterrer le cadavre au Père-Lachaise.

Comme aux États-Unis, la nouvelle technique a aussitôt été mise au service d’enquêtes criminelles. En 1996, on identifie de cette manière un violeur en série puis en 1998, un tueur en série de l’Est parisien.

Le plus beau est peut-être à venir. En 1984, le meurtre du petit Gregory, retrouvé noyé dans une rivière, avait passionné la France. Il y avait des haines familiales, un « corbeau » qui envoyait des lettres anonymes. Le cousin Laroche, soupçonné puis relâché, avait été assassiné par le père de Gregory.

Sa mère, Christine, avait à son tour été soupçonnée et emprisonnée. L’enquête avait été bâclée, et le mystère était opaque. On en avait parlé dans les journaux pendant deux ou trois ans.

On en saura peut-être plus maintenant. Au milieu des pièces du dossier de l’instruction subsiste une lettre du fameux « corbeau » (peut-être également assassin) : pour poster la lettre, il a dû l’affranchir, donc coller un timbre sur l’enveloppe, et par conséquent laisser de la salive sur le timbre-poste. Donnez-moi deux ou trois cellules en état convenable, même 15 ans après, et je vous tirerai le portrait du tueur.

Peut-on faire plus élémentaire, mon cher Watson ?

(Ce texte date du mois de mai de 2000. Publié dans le journal La Presse).

Voir aussi :

Mystères du Vieux-Montréal. Photo de GrandQuebec.com.
Mystères du Vieux-Montréal. Photo de GrandQuebec.com.

1 commentaire

  1. Nicole dit :

    En effet, cette découverte a tout changé! Mais nous lisons toujours nos romans. La réalité est une chose, la littérature en est une autre.

Laissez un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *