Trois Jours à Taurus-Littrow sur la Lune
Si tout se passe bien, le module lunaire Challenger d’Apollo 17 effectuera l’approche finale pour un atterrissage sur la Lune dans la région de Taurus-Littrow, il se posera dans un paysage spectaculaire : une large vallée gardée par trois montagnes massives et bien arrondies qui culminent à plus de 2 000 mètres. « Une fois que nous serons là, insiste le commandant d’Apollo 17, Gene Cernan. « Je vais nous faire atterrir ».
Il aura peu de marge d’erreur, à seulement quelques kilomètres de la trajectoire de plané du Challenger se trouvent les imposantes montagnes Taurus. Au nord-est se trouve le cratère géant Littrow. Autant le site d’atterrissage de la sixième (et dernière) expédition américaine prévue à la surface de la Lune mettra à l’épreuve les compétences de pilotage des astronautes, autant il devrait être un défi scientifique encore plus grand. Combinaison d’anciennes hautes terres et d’une vallée de basses terres plus jeune, le site de la vallée de Taurus-Littrow promet de fournir aux marcheurs lunaires deux prix scientifiques majeurs : les roches les plus jeunes et les plus anciennes jamais trouvées sur la Lune. (Le site de Taurus-Littrow a été nommé d’après la constellation céleste du Taureau et l’astronome-mathématicien autrichien Johann von Littrow du XIXe siècle).
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La route vers Taurus-Littrow sera inhabituelle. En raison des positions relatives de la Terre, de la Lune et du Soleil au début de décembre, Apollo 17, suivant la trajectoire standard de la lune, resterait dans l’ombre de la Lune pendant neuf heures. Le vaisseau spatial subirait, en effet, une éclipse solaire totale, qui le masquerait complètement des rayons du Soleil et le priverait de chaleur essentielle. Ainsi, pour éviter d’endommager les systèmes d’Apollo, le vaisseau spatial sera envoyé sur une trajectoire qui raccourcit son « trempage froid » à deux heures acceptables.
La route la plus longue ajoutera une demi-journée au temps de vol total (85 heures et demie). Ce changement – ainsi que les exigences de la NASA pour l’angle solaire approprié sur le site de Taurus-Littrow pendant l’atterrissage – rend nécessaire le lancement d’Apollo 17 de nuit. Au début du programme Apollo, un lancement de nuit aurait donné à la NASA matière à réflexion ; en cas d’abandon peu après le décollage, les astronautes devraient être repêchés des eaux de l’Atlantique dans l’obscurité. Mais la NASA a maintenant une telle confiance dans ses techniques de lancement et de récupération qu’elle considère qu’un ramassage de nuit est une procédure relativement sûre.
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Apollo devrait se mettre en orbite lunaire à 14h49, heure de l’Est, le dimanche 10 décembre. Le lendemain, laissant Ron Evans derrière lui dans le vaisseau de commandement America, Cernan et Jack Schmitt monteront à bord du module lunaire Challenger, se sépareront deux heures plus tard et, à 14h54, se poseront sur la poussière noire de la vallée de Taurus-Littrow.
Moins de quatre heures plus tard, Cernan sortira de l’écoutille du Challenger. Sa descente le long de l’échelle de l’atterrisseur et les activités habituelles après l’atterrissage ne seront pas vues sur Terre. Pour économiser du poids pour les expériences scientifiques et du carburant pour le vol stationnaire, les planificateurs de la mission ont supprimé à la fois les connexions TV sur le côté du LM et le trépied volumineux sur lequel la caméra était montée plus tard.
La transmission d’images vers la Terre commencera environ une heure après le début de la première EVA (pour activité extravéhiculaire), lorsque la caméra de télévision couleur contrôlée par Houston sera finalement installée sur son support à l’avant du rover lunaire.
Taurus-Littrow
Peu de temps après, Schmitt sera probablement vu emportant le paquet familier d’équipement scientifique en forme d’haltère appelé ALSEP (pour Apollo Lunar Surface Experiment Package). Sur un site situé à environ 100 mètres à l’ouest du Challenger, le géologue Schmitt, avec l’aide de Cernan, installera les cinq expériences ALSEP, donnant aux scientifiques de l’espace leur cinquième observatoire automatique sur la Lune.
L’expérience ALSEP que les scientifiques sont particulièrement désireux de surveiller implique deux sondes qui mesurent le flux de chaleur provenant de l’intérieur de la Lune. Lors d’Apollo 16, cette expérience à 1 200 000 $ a échoué lorsque l’astronaute John Young a trébuché sur l’un des câbles contenant les sondes vers l’émetteur et a détaché le fil. Pour éviter la possibilité d’un accident similaire, on a équipé tous les fils externes d’ALSEP d’amortisseurs de tension. Il s’agit des plis repliés dans les fils qui se déferont s’ils sont tirés trop fort.
Après de les attacher dans le rover, les astronautes poursuivront leur première EVA. Ils conduiront donc vers le sud-est sur environ un mille jusqu’au bord d’un cratère de 600 mètres de large appelé Emory.
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C’est ici que Schmitt espère récupérer du matériel sombre à grains fins. Il s’appele pyroclastiques (littéralement, brisé par le feu). Cela peut être un signe d’éruptions volcaniques relativement récentes.
Si l’œil exercé de Schmitt repère un matériau intéressant entre les arrêts prévus, il pourra le ramasser sans quitter son siège dans le rover. À portée de main se trouvera une perche d’extension avec un dispositif similaire à un porte-gobelet Dixie à son extrémité. Après avoir ramassé une roche ou de la poussière avec le gobelet le plus haut du support, Schmitt retirera le gobelet et son contenu. Ensuite il scellera le petit récipient et le rangera.
Au cours de cette EVA, les astronomes planteront les trois premiers des huit petits paquets d’explosifs. La NASA les appelle « les mines terrestres les plus sûres du monde ». Équipés de récepteurs radio et de minuteries, les paquets s’enflammeront actionnés par des signaux provenant de la Terre. Cela se passera après que les astronautes auront quitté la Lune. Les géophones de l’ASEP enregistreront leurs explosions. Ils fourniront ainsi des données sur l’intérieur de la lune. Le processus pourrait bien se voir sur Terre grâce à la caméra de télévision télécommandée au sommet du rover abandonné.
Éruption volcanique
Refroidis après une période de sommeil de huit heures, les astronautes devraient commencer leur deuxième EVA à 17h03 le mardi 12 décembre. Se dirigeant vers le sud-ouest, ils parcourront près de six kilomètres jusqu’à la base du Massif Sud. Là, ils prélèveront des échantillons d’une région parsemée de roches. Les scientifiques pensent en fait qu’un immense glissement de terrain des pentes supérieures aurait formé ces roches sur cette montagne il y a des milliards d’années.
Les scientifiques espèrent que les roches se constituent en grande partie de matériaux des hautes terres. Ils sont beaucoup plus anciens que les roches relativement jeunes du sol de la vallée. Sur le chemin du retour vers le LM, les astronomes s’arrêteront à un cratère de 90 mètres de large. On l’appelle Shorty, qui pourrait produire un matériau entièrement différent. En effet, ce sont des roches profondes qu’un impact de météorite ou une éruption volcanique ont éjecté. Ce phénomène se produit après que le glissement de terrain ait recouvert la zone.
La dernière promenade sur la lune commencera à 16h33 le mercredi 13 décembre. Cernan et Schmitt s’arrêteront à la base du Massif Nord pour prélever d’autres échantillons anciens. Ensuite, ils vireront vers l’est vers des pentes plus douces. Ils les ont surnommées les Sculptured Hills. Se dirigeant à nouveau vers le sud, ils s’arrêteront au cratère Van Serg de 80 mètres de large. (Le pseudonyme espiègle de l’un des professeurs de géologie de Harvard de Schmitt). Ils se frayeront alors un chemin à travers un champ de rochers géants qui pourrait éjecter le cratère Sherlock voisin.
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Dans la dernière heure de la troisième EVA, Cernan et Schmitt rassembleront leurs échantillons et leur équipement. Ils effectueront peut-être une dernière vérification de la station expérimentale. Par la suite ils gareront le rover suffisamment loin du Challenger pour protéger la caméra de télévision du décollage. Schmitt remontera le premier dans le Challenger, laissant brièvement Cernan seul à la surface de la Lune. Le dernier Américain à se tenir dans la poussière lunaire avant un certain temps. Selon des amis, Cernan prévoit de dire – et peut-être de faire – quelque chose d’approprié pour ce moment mémorable.
À 17h56 le jeudi 14 décembre, l’étage de remontée du Challenger décollera de la Lune avec Cernan et Schmitt à bord. Ainsi ils vont rejoindre Ron Evans dans le vaisseau America en orbite. La caméra du rover devrait photographier le lancement spectaculaire. Tôt le lendemain matin, on enverra l’étage de remontée du Challenger s’écraser sur les pentes supérieures du Massif Sud. L’impact donnera également aux sismologues un autre « coup d’œil » secouant à l’intérieur de la Lune.
Près de deux jours plus tard, alors que les astronautes passeront autour de la face cachée de la Lune pour la dernière fois, ils mettront à feu le moteur principal d’America. Ainsi ils feront sortir le vaisseau de l’orbite lunaire. Commencera le voyage de trois jours vers la maison. À 14h24 le mardi 19 décembre, America devrait amerrir dans les eaux douces du Pacifique Sud, à environ 560 kilomètres au sud-est des Samoa, mettant ainsi fin à la mission d’adieu du projet Apollo à la Lune.
Time, 11 décembre 1972.
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