Science lunaire : Lumière parmi la chaleur
Avant le premier alunissage de l’homme, la majorité des scientifiques considéraient la Lune comme une pierre de Rosette : un réservoir intact d’indices précieux qui aideraient à dévoiler son origine et son histoire. Sans parler d’offrir de nouvelles perspectives sur l’évolution de la Terre et des autres planètes. Après les premiers alunissages réussis, l’Humanité a réalisé la plupart de ces espoirs les plus chers. Les missions Apollo ont rapporté 594 livres de roches et de sol lunaire. Ainsi que des milliers de photographies. Et également un flot de données qui ont changé certains des concepts fondamentaux de l’homme sur la Lune. Mais de nombreux mystères subsistent. En effet, le simple acte d’exploration a créé de nouvelles énigmes lunaires. « La Lune », a déclaré un jour le géophysicien Gerald Wasserburg, dont le laboratoire à Caltech a daté de nombreuses roches lunaires, « nous donne des réponses pour lesquelles nous n’avons même pas de questions ».
Les échantillons Apollo ont montré, par exemple, que la Lune et la Terre ont des compositions chimiques significativement différentes. Cette découverte a remis en question l’ancienne idée selon laquelle une force inconnue aurait arraché la Lune à la Terre. Pourtant, les scientifiques ne parviennent toujours pas à expliquer comment – ou quand – elle s’est formée. Les études paléomagnétiques des roches lunaires indiquent que la Lune possédait autrefois un champ magnétique étonnamment fort.
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Ainsi donc un grand noyau de fer fondu. Pourtant, des données tout aussi valides suggèrent qu’un noyau d’une taille significative n’aurait pas pu exister. Même les âges des roches présentent de nouveaux problèmes. Les spécimens les plus anciens montrent que la surface de la Lune a subi un événement violent il y a environ 3,9 milliards d’années qui les a remélangés. Pourtant les scientifiques débattent encore de ce qui aurait pu provoquer ce cataclysme.
Malgré toutes les critiques, les missions Apollo ont considérablement éclairé notre compréhension de la Lune. Elles ont révélé que la Lune – et vraisemblablement la Terre – ont subi un bombardement incroyablement intense par de gros fragments de débris spatiaux au cours des 600 à 800 millions d’années qui ont suivi leur formation, il y a 4,6 milliards d’années. Mais il y a 3,1 milliards d’années, ce bombardement s’est arrêté. Les preuves rapportées par Apollo montrent que la surface de la Lune est restée pratiquement inchangée pendant ces éons.
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Peut-être plus important encore, l’exploration de la Lune a démontré qu’elle n’est pas une simple sphère sans complexité, mais un véritable corps planétaire avec une histoire et une évolution propres. Comme la Terre, la Lune a été, au moins en partie, en état de fusion, ce qui a permis une différenciation (de nombreux éléments lourds se sont déplacés vers son centre, tandis que les éléments plus légers ont flotté à la surface pour former une croûte). Dans les mots du scientifique en chef d’Apollo dans les années 1970, Noel Hinners : « C’est un fragment de la marmite solaire à partir de laquelle toutes les planètes internes sont formées. Nous n’avions aucune idée de cela avant d’y aller. » En effet, c’est la richesse des données lunaires ramenées par Apollo qui rend la fin prématurée du programme si décevante pour de nombreux scientifiques lunaires.
Cela dit, toutes les missions ont été extrêmement productives sur le plan scientifique, et l’astronaute scientifique Harrison Schmitt a été le premier géologue professionnel à marcher sur la Lune. Le site d’atterrissage de Taurus-Littrow contenait ce qui pourrait être de petits cônes de cendres volcaniques. Ils semblent être des versions miniatures de caractéristiques terrestres comme le Diamond Head d’Honolulu.
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Ces cônes pourraient bien être les vestiges de ce que le géochimiste de la NASA, Robin Brett, a appelé « quelques-uns des derniers soupirs de l’activité lunaire avant que la Lune ne s’éteigne ». Les planificateurs d’Apollo 17 ont mis en place un programme d’expériences et d’observations bien plus sophistiqué que tout ce qui avait été fait lors des efforts scientifiques précédents sur la Lune.
Pour Apollo 17, on a inclu quatre instruments totalement nouveaux dans le package ALSEP : un spectromètre de masse pour mesurer la mince atmosphère lunaire. De plus un détecteur permettant aux scientifiques terrestres de surveiller le bombardement de particules de poussière cosmique et de micrométéorites sur la surface de la Lune. Un ensemble de quatre dispositifs d’écoute – géophones – capables de capter les ondes de choc des charges explosives qui ont été déclenchées après le départ des astronautes, et qui ont fourni des informations précieuses sur la sous-structure du site d’atterrissage. Finalement, un gravimètre extrêmement sensible conçu pour détecter des variations infimes de la gravité de la surface lunaire.
Ondes Gravitationnelles
L’enregistrement de ces minuscules variations sur la Lune a grandement contribué à résoudre une controverse parmi les physiciens. Dans les années 1960, le physicien de l’Université du Maryland, Joseph Weber, a étonné ses collègues en annonçant qu’il avait détecté des ondes gravitationnelles. Prédites par la théorie générale de la relativité d’Einstein en 1916, ces ondes sont supposées être les vecteurs de transmission de l’énergie gravitationnelle à travers l’espace. Les critiques affirmaient que les détecteurs de Weber captaient probablement certains des tremblements propres à la Terre. Mais si un détecteur sur la Lune et un dispositif comparable sur Terre enregistrent simultanément des variations soudaines de gravité, les résultats bien pourraient réduire les sceptiques pourraient au silence.
Lors de leurs déplacements à travers le site de Taurus-Littrow, les astronautes Cernan et Schmitt ont également réalisé plusieurs nouvelles expériences dites de « traversée ». Ils ont effectué des mesures sur place pour déterminer les fluctuations locales du champ gravitationnel lunaire. Ils l’ont fait en effet dans l’espoir d’en apprendre davantage sur la densité et la structure du matériau sous le site.
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Grâce aux données provenant d’un dispositif appelé « sonde neutronique », les scientifiques ont pu calculer depuis combien de temps un échantillon particulier se trouve sur ou près de la surface lunaire. Les astronautes ont également envoyé des micro-ondes pénétrantes dans la surface lunaire grâce à un système émetteur-récepteur radio. Le schéma des signaux réfléchis pourrait, entre autres, indiquer la présence éventuelle d’eau jusqu’à une profondeur d’un kilomètre sous la surface.
Alors que ses camarades travaillaient sur la Lune, Ron Evans apporta sa contribution scientifique depuis les hauteurs, à bord d’America. En plus de prendre intensivement des photos avec des caméras manuelles et automatiques, il examina la Lune à l’aide d’une batterie d’expériences, incluant un spectromètre ultraviolet qui mesurait la fine atmosphère lunaire et permettait une comparaison avec les données du spectromètre au sol ASLEP, ainsi qu’un scanner infrarouge qui relevait en continu les températures de la surface lunaire (avec une marge d’erreur de 2 degrés Fahrenheit). Evans réalisa également une description détaillée de ce qu’il observait en dessous de lui.
De plus, ce sont des observations directes faites par Al Worden d’Apollo 15 qui permirent de découvrir les fascinants éléments en forme de cônes de cendres dans la région de Taurus-Littrow, jouant un rôle clé dans le choix de ce site comme lieu d’atterrissage pour la dernière mission lunaire du XXe siècle.