Médias au Québec

Ode à La Presse

Ode à La Presse

Ode à La Presse

Par Raymond Guérin

(Raymond Guérin détint, pendant de longues années, une chronique humoristique à la page 3 du quotidien montréalais La Presse. Ensuite, il a occupé les fonctions de rédacteur principal au service des nouvelles Air Canada).

Rotativement parlant
Ah! La Presse!
Sacrée vieille Presse!
Te voilà donc, séculaire et honorable,
Consacrée tradition québécoise
Au même titre que le sirop d’érable
Et peut-être le père Ambroise.
Sans que ton âge paraisse,
Toi, tu parais depuis cent ans,
Toujours bien remplie, parfois un peu épaisse
(Dans le bon sens du mot, s’entend!).
Tu nous as toujours offert une savoureuse bouillabaisse
De l’actualité depuis les jours d’antan.
Tu es avant tout une chronique de la faune montréalaise :
Monde ordinaire, artistes, clochard, bourgeois à l’aise,
Drogués s’adonnant au méprisable hash, à la vile mari
Qu’ils extirpent de leurs jeans prêt-à-poter
(Doux Jésus! Les origines de Ville-Marie
Ne prévoyaient pas une population aussi capotée).
Mais tu es aussi une véritable macédoine
De tout ce qui se passe au Québec et ailleurs,
Jusque par delà les douanes,
Jusque dans les pays pacifistes ou guerroyeurs.
Mais surtout, tu as été fidèle à notre patrimoine prestigieux.
Et cela compte plus devant l’Éternel,
Qu’une victoire fortuite de nos Glorieux.
Il y a des choses à préserver
Qui méritent un combat farouche :
Tout le monde, ne tient-il pas à conserver
La recette de la tarte à la farlouche?
Ah! Tu es bien encrée dans nos habitudes
(Le premier « e » dans « encrée » est voulu)
Et d’est en ouest, du nord au sud,
Tu nos stimules comme un café bien moulu,
À chaque matin, dès qu’on est débout,
De Drummondville à Wabush,
De Chibougamau à Mascouche,
Et ça vaut mieux qu’une rasade de caribou.
Rappelle-toi, ô estimable centenaire,
Comme tu nous en as raconté, des affaires !
Rappelle-toi nos légendes, nos quadrilles
Et nos belles grosses familles.
Eh, oui, bien des Ginette ont fait passer
Dans  leurs cerceaux
Nos ancêtres empressés
Et ça été ça, la r’vanche des berceaux!
(C’était avant l’heure
De Morgenthaler)
Mais autrefois… Scapulaire!
Défense de se tirer en l’air!
Aujourd’hui, on fait l’amour à la sauvette
Et on fabrique des bébés éprouvette;
Un numéro, une classification
… Et hop! L’immatriculée-Conception!
Oh! Mais rappelle-toi la volupté du péché
Dénoncé par tous les évêchés.
La faute, le remords, la confesse
Et puis bof! Swing la baquaisse!
Bein voyons donc! Et que l’fun
Continue d’être parmi nous,
Et prendre un verre de bière, mon minou,
Aïe – prends-en donc une bonne!
Ah, oui, la religion, pauvre d’elle,
Depuis longtemps bat de l’aile.
C’est qu’elle a reçu un grand coup de pied au culte
Et naturellement, cela a causé un certain tumulte
Chez un peuple, qui, né d’agriculteurs,
S’est vu transformé en une masse d’hosticulteurs.
Des filles qui naguère auraient été ingénues
Se retrouvent aujourd’hui danseuse nues,
Ce qui assurément est une vocation discutable
(Notez que pour $5, elles dansent à vos tables
Dans des contorsions pas trop compliquées
Mais qu’elles imaginent très soffessetiquées).
Ah, oui, rappelle-toi, et ça remonte loin,
To ce dont tu as été témoin
Et qu’on retrouve dans tes reportages et ta publicité.
Voyons un peu ce qu’on pourrait bien citer…
Ah, oui, tu as été témoin des p’tits chars et des gros chars
Et puis de Maurice et Henri Richard,
De la laiterie J.J. Joubert
Et d’Yvon Robert
Et du chapelet à la radio à 7 heures
Et de la Commission des Liqueurs
(Devenue la Satiété des Alcools)
Et de l’ancien bienfaisante de Robol.
Et rappelle-toi la Commission des Tramways
Et les « tourist rooms » aux chambres à louer,
Et Octave Crémazie
Et la famille Soucy
Et nos belles danses carrées
Et les remèdes de l’abbé Warré,
Et les mitasses, les capines et les tuques
Et les turlutages de la Bolduc.
Rappelle-toi la construction de l’Oratoire,
Et la lutte à la télé le mercredi soir.
Et les jumelles Dionne, de l’Ontario,
Et les nuits glorieuses de Mocambo,
Et Aurore, l’enfant-martyr,
Et les « bons-soirs pour sortir »,
Et Ti-Coq,
Et les millions de p’tits coqs,
Et le sirop du Dr. Lambert,
Et Dupuis frères…
Vraiment, la nomenclature peut aller s’éternisant,
Mais il faut revenir au présent
Et passer du Titanic
Au Spoutnik
Et du savon Barsalou
Au triomphe de « Broue ».
Aujourd’hui, tu nous parles de Vitagro
Et de Jean-Guy Moreau,
Et du PQ,
Qui analyse son vécu.
Et tu fais des éditoriaux
À l’endroit de la RIO
Ou de la Royale Gendarmerie
Ou des problèmes des garderies
Ou du sort des allophones
(Ce sont ceux qui répondent « allo » au téléphone).
Ou de quoi encore? Ah, tu ne seras jamais à pied
Pour traiter des sujets de l’heure!
D’ailleurs, cela fait cent ans que tu nous en passes en papier,
Et comme papier, cela commence à en faire plusieurs.
Mais continue! Et que beaucoup d’eau
Coule au-dessous
Du pont Jacques-Cartier
Avant que tu ne sois rendue au bout
De tes rouleaux!

Raymond Guérin, décembre 1983.

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Archives de La Presse. Photo : © GrandQuebec.com.

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