
La ville de Trois-Rivières préindustrielle : L’espace urbain et la population
C’est presque un lieu commun de l’historiographie que de souligner la lenteur de la croissance de Trois-Rivières au début du XIXe siècle. Alors que les deux autres villes du Bas-Canada décollent, Trois-Rivières bouge peu et présente toujours l’apparence d’un « grand village » tel que décrit par Pehr Kalm à la veille de la Conquête. Sa population est d’à peine 1200 habitants au recensement de 1790 ; encore qu’il ne soit pas assuré que ce nombre n’inclue pas quelques centaines d’individus établis le long de la route qui conduit à la seigneurie Saint-Maurice où se situent les Forges et le long du chemin du Roi ou du chemin Sainte-Marguerite. Ces lieux-dits nommés Banlieue et Sainte-Marguerite s’étendent jusqu’aux limites de Pointe-du-Lac. Dans les recensements ultérieurs, les agents distingueront la paroisse de Trois-Rivières qui les regroupe et la ville dont les limites ouest et nord se situent à la hauteur actuelle du boulevard des Récollets.
On aurait cependant tort de comparer Trois-Rivières aux plus grosses paroisses rurales de la région. À Yamachiche, Rivière-du-Loup ou Maskinongé, qui dépassent Trois-Rivières avec respectivement 1669, 1820 et 1155 habitants, la population est dispersée sur des distances considérables, car le village en tant qu’habitat regroupé commence à peine à prendre forme dans la région, comme on a pu le voir précédemment. L’étendue de ces paroisses est telle que le chacune sera découpée en plusieurs autres ç compter des années 1830, lorsque le gouvernement consentira à reconnaître civilement les subdivisions religieuses.
À Trois-Rivières, l’habitat est concentré et le mode de vie est fortement marqué non pas par l’agriculture, mais par les activités administratives et commerciales, par les ateliers de fabrication et par une intense vie de relations que favorisent la proximité des habitations, la diversité des groupes qui y vivent et la présence d’un certain nombre d’institutions qui contribuent à animer la vie communautaire et à maintenir la cohésion.
Selon Benjamin Sulte que les a côtoyés, les Trifluviens des années 1780-1830 décrivent leur époque comme de « bonnes années ». Vraiment ce fut un demi-siècle d’abondance pour les moindres classes, estime-t-il lui-même, sans que nous puissions dire si ce jugement traduit la situation économique ou le climat social qu’il dépeint ensuite en des termes empreints de nostalgie : « De la liberté, du savoir-vivre, de la politesse, des habitudes conciliantes, une vie douce, des loisirs, du chant, de la musique, des sauteries, des fleurs, une bonne cuisine, des repas gais et prolongés, l’art enfin de se donner du bon temps, »
Voilà bien un témoignage qui nous change du tableau quelque peu morose auquel on nous a habitués. Mais aucunes archives ne nous permettent de corroborer ce jugement. Tout au plus pouvons-nous tenter d’esquisser un portrait de la ville à partir du recensement de 1831 et de la carte dressée par Joseph Bouchette en 1815. Cette dernière est précieuse en ce qu’elle situe chaque maison, identifie les lieux et trace les limites de l’habitat. Ce faisant, nous comptons jeter un peu de lumière sur l’atmosphère qui régnait à Trois-Rivières au début du siècle.
Trois-Rivières compte 3 118 habitants en 1831. La petite ville s’étire d’est en ouest le long de la rue Notre-Dame, de la confluence du Saint-Maurice jusque un peu au-delà du moulin à vent bâti sur les terres de la commune, qui s’élèverait de nos jours à l’extrémité ouest des installations portuaires. Au nord, le bâti atteint la rue Saint-Denis par les rues Saint-Georges, des Forges, Bonaventure et des Champs (Laviolette). À l’ouest, la rue Saint-Roche est tracée mais n’est occupée que par trois propriétaires, tandis qu’à l’est, Sainte-Hélène, qui rejoint Notre-Dame au-delà du couvent des Ursulines, n’a que huit propriétaires. Aucune maison n’est encore construite dans les rues Saint-Paul et Saint-Benoit qui verront naître un petit faubourg ouvrier au cours de cette décennie. Faut-il préciser qu’à l’intérieur de ces limites extrêmes, il reste encore des rues à tracer et de nombreux lots à bâtir.
(Source : Histoire de la Mauricie, par René Hardy et Normand Ségun, Éditions de l’IQRC, 2004.)

Rue Royale dans la ville de Tsrois-Rivières. Photographie de GrandQuebec.com.
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