Spirale

Spirale (par Paul McEuen, extrait)

Le directeur adjoint du FBI et Lawrence Dunne étaient assis face à face dans une limousine blindée mais les deux hommes n’avaient pas prononcé une parole depuis un quart d’heure. En fait, il n’y avait pas grand-chose à dire.

Sur la I-68, le véhicule atteignit les 135 kilomètres à l’heure. Gyrophares allumés mais éteintes, la police de l’État de Virginie le escortait devant et derrière. Ils venaient de quitter l’aéroport de Morgantown pour le pénitencier fédéral de Hazelton. Encore huit kilomètres et ils y seraient. Sur le siège à côté de Dunne, une boîte Luccite contenait deux des pigeons de Kitano. Les autres se trouvaient dans le coffre.

Kitano l’attendait dans sa cellule. On l’avait prévenu de son arrivée. C’était lui qui avait demandé à le voir

Dunne était censé obtenir de lui qu’il accepte de se livrer.

Le plan concocté par l’armée était d’une simplicité enfantine : donner l’argent à Orchidée, lui remettre Hitoshi Kitano et les envoyer tous les deux brûler en enfer.

Dunne songeait à la dernière fois qu’il avait vu Kitano en liberté, dans sa villa du Maryland, à l’ouest de Washington. La propriété de Kitano était relativement modeste pour une demeure de milliardaire. C’était un ensemble de bâtiments de style contemporain aux toits mansardés, juchés au sommet d’une colline et reliés entre eux par des passerelles de verre.

Un Japonais servant de secrétaire l’avait escorté vers le corps principal où Kitano résidait. L’aménagement intérieur était spartiale. Sol en bambou, murs blancs garnis de quelques peintures abstraites et d’une collection de sabres japonais. Jadis, pour éprouver la qualité d’un sabre, les guerriers samouraïs tranchaient des cadavres de criminels empilés les uns sur les autres, après leur exécution. Kitano avait une passion pour les sabres et – comme la plupart des nationalistes japonais – vénérait toutes les lames. Une citation de Nietzsche lui revint en mémoire : « L’assassin aime son couteau. »

Dans la pièce principale, une gigantesque baie vitrée donnait sur quatre hectares de pelouse parfaitement tondue et de jardins paysagers. Dunne revoyait nettement la scène. Kitano était sorti dans le jardin. Il regardait vers le bas de la colline tout en caressant le jabot d’un pigeon.

À l’époque, Kitano n’était déjà plus le nabab intouchable d’autrefois. Inculpé de fraude fiscale au niveau fédéral, on lui avait interdit de quitter le pays. Son empire était exsangue. Ses investisseurs, ses associés avaient retiré leurs billes. Ils le fuyaient. L’univers si parfaitement ordonné de Kitano avait reçu un coup fatale et, cette fois, c’était Dunne qui avait tenu le couteau.

Derrière la porte de verre coulissante, l’automne était frais mais ensoleillé. Sur une table de teck près de Kitano, Dunne vit deux verres, une bouteille de scotch et une assiette de pâté. Il reconnut l’alcool ambré. Macallan, réserve spéciale, 1945. Une bouteille à 10 000 dollars.

  • Je t’en prie, dit Kitano.

Dunne se versa un verre. Kitano laissa le pigeon s’envoler.

  • Regarde, dit-il.

L’oiseau décrivit un cercle plus effectua un genre de salto arrière. Il réitéra son acrobatie et revint se poser sur le bras de Kitano.

Il ne sont pas très doués pour la vitesse mais c’est quand même un plaisir à regarder, n’est-ce pas?

  • Une nouvelle race ?

Grands dieux, non! C’est un pigeon culbutant anglais à bec court. Ils existent depuis des siècles. Charles Darwin a écrit de nombreuses pages sur eux.

Le plus funeste aveuglement est celui du cœur. Photo de Megan Jorgensen.
Le plus funeste aveuglement est celui du cœur. Photo de Megan Jorgensen.

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