
Sablier du Temps par Henry Rider Haggard
Extrait de Le jour où la Terre trembla (When the World Shook), par Henry Rider Haggard, traduction de Jacques Finné, roman paru en 1919
Qu’est la vie pour ceux d’entre nous qui, tels Bickley, se croient détenteurs de la science ? Un cercle, à la fois court et de longue durée, que nous devons arpenter en aveugle et en solitaire. Un inévitable moulin de disciplines auquel nous nous voyons condamnés pour une obscure raison qui remonte, sans aucun doute, aux mauvaises passions de nos ancêtres à présent tombés l’oubli et qui ont fait de nous, comme l’affirme la Bible, des créatures vouées au pêché – donc, à la punition. Nous marchons à pas lourds, sans savoir pourquoi et sans progresser d’un mètre, bien que nous fassions notre possible pour avancer. Un jour nous tombons, toujours sans savoir quand ni pourquoi.
Telle est la vie pour qui s’en tient à la surface des choses – et ce n’est pas notre connaissance physique que Bickley ne cesse de louer, qui parviendra à préciser cette conception floue. Nul prophète ne nous est apparu, jusqu’à présent pour chercher à nous expliquer les origines et les raisons l’existence. Même le plus Puissant de plus Puissants reste silencieux à ce propos. Grande est la tentation de nous demander pourquoi. Est parce que la vie, la plus importante de manifestations humaines, se révèle ou se révèlera trop vaste, trop multiforme, trop glorieuse, pour se limiter à une définition que nous pourrions comprendre? Est-ce parce que en fin comptes elle inclut pour certains d’entre nous, pour chacun d’entre nous peut-être, une majesté, une incompréhensible majesté, une gloire bien supérieure à la plus grande gloire qui pour le moment, dépensent les limites étroites de notre pensée ?
Les aventures que j’ai racontées dans ces pages éveillent en mon cœur l’espoir que cette hypothèse se vérifie. Combien d’autres, Bastin parle avec légèreté de l’Infini sans vraiment comprendre l’énormité qui se dissimule derrière ces propos badins. Il ne me paraît pas suffisant de définir l’Éternité – une quantité plus grande que n’importe quelle autre quantité fixée à l’avance, si grande soit elle, une durée qui ne comporte ni début ni fin et qui comprendrait l’immuabilité absolue de toutes choses. L’éternité est surtout en état au-delà de la compréhension humaine. La preuve : nous autres, mortels, ne pensons pas en constellations ni en éons, mais en concepts bien à la mesure de notre petite planète et du peu de jours que nous devons y passer. Nous ne pouvons vraiment concevoir une existence qui s’attendrait sur un millier d’années, comme celles qu’Oro prétendait avoir vécu ou que, même, la Bible accord à certaines races humaines très anciennes. Nous pouvons par conséquent moins comprendre encore ces deux cents cinquante mille ans de sommeil. Et pourtant, qu’est-ce quart de million d’années, sinon un grain dans le sablier du Temps, un jour dans la vie de notre Terre, dans la vie de n’importe quelle planète, dans la vie de notre père, le Soleil pour ne pas faire allusion à l’univers qui englobe ce corps céleste ?
Je suis entré en contact avec une existence prolongée, encore que limitée, et je cherche à transmettre les réflexions que cet extraordinaire événement a suscité en moi. Je brasse d’autre pensée sur Yva, sur la splendeur de son amour et sur toutes les manifestations de celui-ci – entre autres, son sacrifice final. Ces pensées, je les garde pour moi. Elles portent sur les mystères du cœur féminin, le microcosme des espoirs et de crainte, de désir et de désespoir de l’humanité entière dont en fin de comptes elle est la mère quelle que soit l’époque envisagée.

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