Après
Jean-Pierre Charland
(Extrait)
Jean-Pierre Charland sort des sentiers battus avec ce roman d’anticipation. Et il le fait avec brio.
Elliot Lewis est bibliothécaire dans une petite université américaine. Durant ses vacances d’été, à la suite d’un divorce très difficile, il décide de se couper du monde avec son chien Eugène en faisant du camping sur une vaste terre agricole au bord d’un lac.
Quand il sort de sa retraite pour commencer l’année scolaire, il trouve la ville presque entièrement déserte et jonchée de cadavres. Bouleversé, le jeune homme comprend que la population a été victime d’un virus foudroyant. Les seuls survivants qu’il rencontre font preuve d’une grande violence. Le mince vernis de civilisation a craqué.
Elliot veut à tout prix retourner se cacher avec son chien dans un endroit inaccessible. Cependant, il croise sur sa route Kate, une autre rescapée du virus. Celle-ci est convaincue qu’il existe, quelque part, des communautés où subsistent des traces d’humanité. Les deux ont une vision bien différente de la situation et ils devront réussir à s’entendre pour survivre.
Jean-Pierre Charland est un écrivain prolifique et aimé du public. Il est l’auteur de plusieurs séries historiques à succès, dont Les Portes de Québec, Félicité, Sur les berges du Richelieu ou encore Odile et Xavier. À ce jour, ses romans se sont écoulés à près de 800 000 exemplaires au Québec et en France.
Le lendemain matin, Elliot parcourut les derniers milles de son trajet. Un échangeur lui permit de quitter la route pour s’engager dans l’avenue University. Sur sa gauche, il vit les vestiges d’une église, et sur sa droite, un musée. Le temple avait été incendié, il ne restait que des pans de mur noircis. Comme si une guerre de religion sévissait dans la capitale du Wisconsin.
Un peu plus loin, il bifurqua sur Campus Drive. Là aussi, de grands édifices avaient été incendiés. Après avoir pris la rue Henry Mall, il se retrouva dans la section du campus occupée par la faculté de biologie et des laboratoires. Tout autour, il voyait de beaux bâtiments au recouvrement de pierre, de brique et de verre, certains datant de la fin du XIXe siècle. L’écran de son GPS indiquait la présence d’un grand lac un peu plus loin, vers le nord.
Au bout de cette rue, en empruntant Linden Drive, il repéra le numéro 1525. Le laboratoire Robert M. Bock. C’était un édifice de briques rouges comptant sept étages ai dessus du rez-de-chaussée. Il s’arrêta pour regarder Eugène.
Tu te rends compte? Les gens chez qui nous logeons travaillaient là. Enfin, le père et la mère. Le fils étudiait encore.
Elliot roula un moment sur Linden Drive, pour voir bientôt la faculté d’agriculture, et un peu plus loin, l’entrée d’un stationnement souterrain. Remarquant que la barrière devant en interdire l’accès était défoncée, il s’y engagea. De très rares véhicules s’y trouvaient encore : bien peu de gens avaient eu l’idée saugrenue de venir mourir sur les lieux de leur travail. Comme l’électricité était coupée, l’endroit était très sombre dès que l’on s’éloignait de l’entrée. Il alluma ses phares pour en faire le tour.
Ici, c’est discret, mais pour se rendre au laboratoire, il faudra marcher à la vue de tous.
Eugène ne le contredit pas. Elliot sortit du stationnement pour décrire un long rectangle en roulant lentement, allant un peu au sud pour emprunter la rue Babcock, et à nouveau Campus Drive et l’avenue University. Cela lui donna l’occasion de voir les départements de biochimie et d’horticulture ainsi que les pavillons des sciences et des biotechnologies.
De retour sur Linden Drive, il s’arrêta à nouveau devant le laboratoire Bock, puis décida de le longer vers le sud. Une allée conduisait vers le pavillon de biochimie. Et à l’arrière de celui-ci, il y avait trois grandes portes métalliques, et au-dessus, les mots « réception de biochimie. » Évidemment, dans des laboratoires de science, du matériel de recherche et de l’équipement très volumineux exigeaient des installations de ce genre.
Elliot recula jusqu’à toucher l’une des portes. Comme d’habitude, tout à côté, il y avait une porte plus petite, faite pour permettre à un homme d’entrer. La masse d’acier empruntée à Voss devenait un instrument essentiel. Il défonça la fenêtre verticale au verre renforcé de fils d’acier, pour ensuite entrer le bras et ouvrir. Eugène entra le premier.
De l’intérieur, Elliot réussit à ouvrir l’une des grandes portes. Il recula son véhicule. Après avoir accroché son revolver à la ceinture, il revêtit son armure de policier antiémeute, casque compris, puis avec son calibre douze à la main, il dit :
Maintenant, nous explorons.
Ils quittèrent la section de la réception des marchandises pour marcher dans les couloirs du pavillon de biochimie. Partout, il voyait des traces d’effraction. Rien ne rappelait qu’un an plus tôt, des centaines d’étudiants se préparaient à leurs examens de fin d’année. L’Université du Wisconsin à Madison comptait parmi les établissements publics les plus importants du pays. Les sciences y prenaient beaucoup de place, en particulier les « sciences de la vie. »
Maintenant, l’endroit faisait penser à un grand temple de verre, de béton et de brique déserté par ses fidèles. L’atrium était particulièrement majestueux. Il vit les tables et les chaises où mangeaient les étudiants, et aussi les fauteuils aux formes modernes, pour les conversions. L’endroit devait bourdonner comme une ruche en temps normal.
En s’approchant de la sortie, il aperçut une librairie. On y vendait aussi du papier, de l’encre d’imprimante, et un peu de tout ce qui pouvait intéresser les universitaires. Des gens y étaient venus, mais une bonne partie de la marchandise ne les avait visiblement pas intéressés. Sur un présentoir, il prit deux chandails aux couleurs de l’université – rouge et blanc, avec une tête de blaireau. Machinalement, il en chercha deux autres pour une fille grande et mince, puis il secoua la tête de droite à gauche en grommelant « imbécile ». Il déposa ses chandails près de la caisse afin de les prendre en revenant.
C’est par l’entrée principale qu’il quitta le pavillon. Il se dirigea vers le laboratoire Bock. L’entrée était encadrée de béton blanc. À l’intérieur, il posa le doigt sur le bouton de l’ascenseur, évidemment sans résultat. Un grand panneau accroché dans le hall lui donna les coordonnées de tous les employés.
Il emprunta les escaliers pour monter au quatrième étage. Le secrétariat se trouvait au 413. Il entra et aperçut une hache de pompier, comme celles que l’on enfermait derrière une vitre « juste au cas où », plantée dans un Mac Pro de dernière génération. Le type d’appareil dont le prix pouvait attendre cinquante mille dollars. Les professeurs se payaient de l’équipement de ce genre avec leurs subventions de recherche. Et sur le mur, il put lire : « Assassins », « Meurtriers ». Elliot ne mit pas longtemps avant de comprendre l’évidence : alors qu’un virus effaçait l’humanité, des chercheurs en biologie moléculaire devenaient les premiers suspects.
La méfiance à l’égard des scientifiques ne datait pas d’hier dans cette université. Dans les années soixante, les étudiants avaient manifesté contre la présence de recruteurs de la Dow Chemical Company sur le campus. C’est cette entreprise qui fournissait le napalm pour la guerre du Vietnam. Des rassemblements réprimés violemment. Cette contestation ne connut aucune accalmie jusqu’en 1970. Le 24 août de cette année-là, pendant la nuit, une bombe avait explosé dans un pavillon. La cible était un centre de recherche de l’armée. Toutefois, les auteurs de l’attentat avaient pris la précaution de faire exploser la charge alors que le personnel était absent. Mais c’était négliger le zèle des étudiants postdoctoraux : dans un édifice voisin, Robert Fassnacht, trente-trois ans, avait été tué par la déflagration.
Elliot connaissait ces événements à cause du livre « They Marched Into Sunlight ». Se pouvait-il que les chercheurs du laboratoire Bock aient travaillé sur des armes biologiques?…
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