Maigret et le marchand de vin
(Tout Simenon. Omnibus, janvier 2003. Œuvre romanesque, tome 14).
Il avait eu lieu dans la vieille maison de la rue du Roi-de-Sicile où Joséphine Ménard occupait deux pièces au troisième étage.
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A six heures du matin, déjà, on retrouvait Théo Stiernet sur un banc de la Gare du Nord, où il dormait.
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– Pourquoi as-tu choisi la Gare du Nord ?
– Je ne l’ai pas choisie. J’y suis arrivé par hasard. Il faisait très froid.
On était le 15 décembre. La bise soufflait, faisant voleter de minuscule flocons de neige qui glissaient sur les paves comme de la poussière.
– Tu voulais gagner la Belgique ?
– Avec les quelques francs qu’il me restait ?
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Fourquet appartenait au XVIIIe arrondissement, un quartier riche, gros bourgeois, où les crimes étaient rares.
– Un homme vient d’être abattu rue Fortuny, à deux cents mètres du parc Monceau. Il paraît, d’après ses papiers, que c’est une assez grosse légume, un important marchand de vin en gros.
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Plus tard, elle était devenue sous-maîtresse dans un appartement de la rue Note-Dame-de-Lorette où l’on était toujours sûr de rencontrer de jolies femmes.
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– Qui est Oscar Chabut ?
– Il faudrait mieux que vous fassiez montre de bonne volonté, sinon je serais obligé de vous emmener Quai des Orfèvres.
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– Où habitez-vous ?
– Rue Caulaincourt, près de la place Constantin-Pecqueur.
– Où sont les bureaux d’Oscar Chabut ?
– Quai de Charenton, après les entrepôts de Bercy.
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Au coin de l’avenue de Villers on apercevait l’entrée du métro Malesherbes d’où Lapointe revenait à grands pas.
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Il s’installa dans la petite voiture bien calfeutrée et Lapointe se mit au volant, regarda le patron, l’œil interrogateur.
– Place des Vosges.
Ils roulèrent un certain temps en silence. Au parc Monceau, la poudre blanche qui tombait toujours formait une mince couche au-delà des grilles à pointes dorées. Après les Champs-Élysées, ils prirent par les quais et ils ne tardèrent pas à s’arrêter place des Vosges.
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Puis il est devenu le bras droit d’un négociant de Mâcon qui avait une succursale à Paris.
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Elle était dactylo chez son patron. Au début, ils se sont installés dans un petit logement de la rue Saint-Antoine. Vous avez vu ses péniches sur la Seine, avec Vin des Moines en grosses lettres ?
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Aux entrepôts de Bercy, on pourrait sans doute vous en dire davantage.
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Elle savait qu’elle n’était pas seule à venir avec lui dans le petit hôtel particulier tout feutré de la rue Fortuny mais elle ne paraissait pas jalouse.
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Des images revenaient à l’esprit de Maigret, qu’il avait enregistrés inconsciemment. Par exemple, le portrait à l’huile, grandeur nature, qui occupait la meilleure place au mur du salon, place des Vosges.
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Quand il arriva Quai des Orfèvres, il était toujours en compagnie du marchand de vin, encore flou, à qui il s’efforçait de donner un semblant de vie.
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– El l’affaire de la rue Fortuny, dont il est question brièvement dans les journaux de ce matin?
– On en parlera davantage par la suite. La victime est un homme riche, connu. On voit des affiches pour le Vin des Moines dans les couloirs du métro.
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C’est vrai qu’il sortait d’une maison de passe ? – Vous avez lu le journal ? – Non. Mais je connais la rue Fortuny et j’ai aussitôt fait le rapprochement.
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– Où va-t-on? – Quai de Charenton. Ils longèrent le quai de Bercy, où, derrière les grilles, se dressaient les entrepôts.
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Il y a d’autres bureaux, fort différents, avenue de l’Opéra, avec une enseigne lumineuse sur toute la largeur de la façade.
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Nous formons une sorte d’état-major, alors que le gros du travail se fait avenue de l’Opéra.
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Il habite un pavillon tout au bout du quai, à Charenton, et il vient ici à vélo.
Dehors, le brouillard devenait légèrement rose, laissant deviner, au –delà, la présence du soleil, et la Seine fumait.
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La vraie facturation se fait avenue de l’Opéra, ainsi que le courrier avec les dépôts. Ici, on s’occupe surtout des achats, des rapports avec les viticulteurs qui montent périodiquement du Midi.
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Riolle vit dans une pension de famille du quartier Latin.
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Il y a bien M. Louceck, avenue de l’Opéra, qui est une sorte de conseiller financier.
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Hier soir, je suis allé quai de la Tournelle.
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Avenue de l’Opéra ! Nous avons oublié de demander le numéro.
Ils trouvèrent rapidement car de grandes lettre qui, le soir, devenaient lumineuses annonçaient : Vin des Moines. L’immeuble, lourd et imposant, abritait d’autres affaires importantes, dont une banque étrangère et une société fiduciaire.
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Je ignorais l’existence de ces bureaux et nous nous sommes rendus d’abord quai de Charenton.
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Il est donc probable que vous conserverez le poste et qu’en outre vous prendrez la direction du quai de Charenton ?
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Elle ne mettait pratiquement pas les pieds ici et je ne fréquentais pas la place des Vosges.
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J’aimerais que vous me fassiez parvenir au Quai des Orfèvres le nom et l’adresse de toutes les personnes qui travaillent ici ainsi que leur âge.
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Trop tard pour nous rendre place des Vosges. Rentrons au bureau. Nous mangerons ensuite un morceau à la Brasserie Dauphine.
Il entra dans la cabine téléphonique, demanda son numéro boulevard Richard-Lenoir.
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Une seule fois, car nous recevions le dimanche aussi dans notre villa de Sully-sur-Loire. L’été, nous allions à Cannes, où nous possédons les deux derniers étages d’un immeuble neuf, près du Palm Beach, ainsi que le toit que nous avons aménagé en une sorte du jardin…
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Ils ont un splendide appartement dans l’île Saint-Louis.
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D’autres noms, d’autres prénoms, un architecte, un médecin, Gérard Aubin, de la banque Aubin et Boitel, un grand couturier de la rue François-Ier.
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Il a voulu que son père abandonne son bistrot et il lui a offert de lui acheter une belle propriété à Sancerre, non loin de la ferme où le vieux est né.
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Ils se retrouvaient au théâtre, au restaurant, dans les boîtes de nuit, puis, le dimanche, dans des maisons de campagne qui se ressemblaient et, l’été, à Cannes ou à Saint-Tropez.
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Quelqu’un savait que Chabut serait ce mercredi-là rue Fortuny.
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Il ne devait d’ailleurs pas être venu en voiture puisque, son coup fait, il s’était précipité vers la station de métro Malesherbes.
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C’est le patron qui, chaque jour, passait une heure ou deux avenue de l’Opéra.
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Le plus souvent, il partait de chez lui vers neuf heures du matin, au volant de la Jaguar, laissant le chauffeur et la Mercedes à la disposition de sa femme. Il s’arrêtait d’abord quai de Bercy, où il allait jeter un coup d’œil dans les entrepôts où se font les mélanges et la mise en bouteille.
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Il nous arrivait de sortir ensemble et il me reconduisait même jusqu’à la rue Caulaincourt, à cent mètres de chez moi.
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Continuez à y penser. Essayez de savoir qui était au courant de vos visites rue Fortuny.
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Sur le moment, le commissaire n’y attacha pas d’importance, d’autant moins que l’instant d’après l’homme se dirigeait en traînant un peu la jambe vers la place Dauphine.
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A midi, il marcha jusqu’au boulevard du Palais et pénétra après une courte hésitation dans le café du coin.
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Il fallait attendre qu’il appelle à nouveau. Peut-être même téléphonerait-il ici car les journaux avaient souvent parlé de son appartement du boulevard Richard-Lenoir. En outre, presque tous les chauffeurs de taxi connaissaient son adresse.
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– Caucasson, l’éditeur d’art ?
– Au même cinéma des Champs-Élysées que le ministre.
– Maître Poupard ?
A un grand diner avenue Gabriel par l’ambassadeur des États-Unis.
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Il y a encore une Mme Japy, Estelle Japy, veuve ou divorcée, qui habite boulevard Haussmann et qui a été longtemps une des maîtresses de Chabut.
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Quelqu’un, pourtant, un homme, d’après Mme Blanche, avait fini par en avoir assez et par l’attendre devant l’hôtel particulier de la rue Fortuny.
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L’assassin appartenait-il au groupe du quai de Charenton ? Ou au personnel de l’avenue de l’Opéra ?
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Ils assistaient à une générale au théâtre de la Michodière. Puis, Trouard, l’architecte, qui dînait chez Lipp avec un promoteur connu.
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Le corps a dû être ramené hier en fin d’après-midi place des Vosges. Au fait, si nous allions jeter un coup d’œil ? Un peu plus tard, ils roulaient tous les deux en direction de la place des Vosges.
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Tout se faisait alors quai de Charenton. C’est Louceck qui a conseillé d’installer des bureaux avenue de l’Opéra et de multiplier les dépôts en province afin d’augmenter le nombre de points de vente.
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Vous connaissez ma boutique de la rue Saint-André-des-Arts ?
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Le film n’a commencé qu’à neuf heures et demie et vous aviez tout le temps de parcourir le chemin entre la rue Fortuny et les Champs-Élysées.
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Je suppose qu’il les conservait place des Vosges ou, peut-être, quai de Charenton.
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Au fait, saviez-vous que votre ami Chabut se rendait chaque mercredi vers la même heure rue Fortuny.
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Quand il rentra dans son bureau, il demanda la communication avec la place des Vosges.
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Trois voitures nous conduiront directement au cimetière d’Ivry.
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Il recevait très peu de courrier à l’appartement et les gens s’adressaient le plus souvent quai de Charenton.
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Dites-moi, y a-t-il un coffre-fort dans l’immeuble du quai de Charenton ?
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Monsieur le commissaire principal Maigret Chef de la Brigade criminelle 28, quai des Orfèvres.
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C’était-il contenté de gagner les Grands Boulevard ou un autre quartier éclairé et d’entrer dans un bistrot pour se réchauffer et fêter tout seul le succès qu’il venait d’obtenir ?
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De retour au Quai, il appela la place des Vosges et demanda à parler à Jeanne Chabut.
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Je crois me souvenir qu’ils ont une petite maison quelque part en Bretagne, dans un village surtout fréquenté par des peintres.
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Après une demi-heure environ, je regarde la partie de la place des Vosges entourée des grilles.
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J’ai pénétré dans le square et j’ai commencé à me diriger vers lui mais je n’avais pas fait dix pas qu’il quittait le banc et disparaissait dans la rue de Birague.
J’ai couru, à la grande surprise de deux vieilles dames qui discutaient sous un même parapluie. Quand je suis arrivé rue Saint-Antoine, il n’y avait plus aucune trace de mon bonhomme.
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La pluie tombait plu dru, crépitait sur la chaussée, et il n’y avait pour ainsi dire pas de passants boulevard Richard-Lenoir.
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Il avait le choix entre la prunelle et l’eau-de-vie de framboise. Toutes les deux venaient de chez sa belle-sœur, en Alsace.
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Il est fiancé à une jeune fille de son pays. Il est de Nevers. Ils ne pourront se marier que quand il sera augmenté, car il ne gagne pas assez d’argent pour se mettre en ménage…
– Elle continue à habiter Nevers ?
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Lapointe se dirigeait machinalement vers le Quai des Orfèvres quand Maigret s’en aperçut.
– Nous ne rentrons pas tout de suite. Conduis-mois d’abord 57 bis, rue Froidevaux.
Ils prirent le boulevard Saint-Michel, tournèrent à droite en direction du cimetière Montparnasse.
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Il vivait dans un hôtel meuble du quartier Latin.
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Oscar Chabut a été tué mercredi dernier par un homme qui l’attendait devant une maison de passe de la rue Fortuny.
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Il inscrivit l’adresse du père de Pigou, rue d’Alésia, retrouva Lapointe dans le petit bar où il lisait le journal de l’après-midi.
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– Tu me déposes rue d’Alésia, où j’aimerais avoir une courte entrevue avec son père.
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C’est un ancien caissier du Crédit Lyonnais à la retraite. Il a cessé de s’entendre avec son fils quand celui-ci s’est marié.
L’appartement de la rue d’Alésia était un peu plus cossu et, au grand soulagement de Maigret, il y avait un ascenseur.
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Il a perdu son emploi au mois de juin. Pendant trois mois, il a suivi le même horaire que quand il travaillait quai de Charenton et il rapportait la même somme d’argent.
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Depuis que j’ai commencé à enquêter sur la mort d’Oscar Chabut au moment où il sortait d’une maison de la rue Fortuny, un homme paraît s’intéresser à mes faits et gestes.
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Prenez son nom et son adresse, Lourtie. Je vous dirai tout à l’heure pourquoi. Liliane Pigou, 57 bis, rue Froidevaux. C’est en face du cimetière Montparnasse.
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Votre secteur est la place des Vosges, autour de la maison des Chabut.
A Lucas, à présent. Toi, Lucas, tu couvriras le quai de Charenton.
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Jusqu’en septembre, il a quitté son appartement aux mêmes heures que d’habitude, est rentré aux mêmes heures aussi, de sorte que sa femme ignorait qu’il ne travaillait plus quai de Charenton.
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Il lui fallait bien trouver ne fût-ce que quelques francs par jour pour manger. Or il y a un endroit qui attire irrésistiblement les êtres à la traîne : Les Halles. Je ne sais pas où ils iront, quand, dans quelques mois, elles seront transférées à Rungis.
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Il allait et venait à travers Paris, sa patte folle, sans se faire remarquer, et il disparaissait comme par magie dès qu’on le reconnaissait.
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Où en étais-je? Au, aux Halles. C’est l’endroit de Paris où il y a le plus de chances de retrouver en homme en train de couler.
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Un matin, Maigret avait aperçu, dans l’aquarium, la salle d’attente vitrée des Quais des Orfèvres, un petit monsieur d’un certain âge qui attendait patiemment.
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Les hommes du Quai avaient déjà dû prendre leur poste dans les endroits qu’il leur avait assignés. Maigret avait failli ajouter : – Vous en mettrez aussi en face de chez moi, boulevard Richard-Lenoir.
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Un jour, à Meung-sur-Loire, alors que le commissaire était étendu dans un transatlantique, un écureuil était descendu du platane, dans le fond du jardin.
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A certain moment l’homme avança d’un pas mais, presque aussitôt, il fit demi-tour et, après un dernier regard à la fenêtre, il s’éloigna dans la direction de la rue du Chemin-Vert.
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Jusqu’à il y a quinze jours, Pigou a occupé une chambre, si on peut appeler ça une chambre, rue de la Grande-Truanderie.
Maigret connaissait cette rue qui, la nuit, rappelle le temps de la Cour des Miracles. On n’y voit que des déchets humains qui s’entassent pour y boire du vin rouge ou du bouillon, dans des bistrots puants.
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Il était à l’Hôtel du Cygne. Trois francs par jour pour un lit de fer et une paillasse. Pas d’eau courante. Les cabinets dans la cour.
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– Il y a quelques minutes, Pigou était ici, boulevard Richard-Lenoir.
– Vous l’avez vu ?
– De ma fenêtre. Il était arrêté en face, sur l’autre trottoir.
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On sait maintenant où Pigou a passé plusieurs semaines, sinon plusieurs mois. Dans un taudis des Halles qu’on appelle poétiquement l’Hôtel du Cygne.
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Vous avez fait un pas en avant, puis vous êtes parti vers la rue du Chemin-Vert.
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J’avais peur de me rendre au Quai des Orfèvres. Et je ne pouvais pas continuer à marcher seul dans les rues de Paris.
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Elle est lymphatique. Ses sœurs sont comme elle.
– Elles vivent à Paris ?
– Une est à Alger, mariée à un ingénieur spécialisé dans les pétroles. Une autre habite Marseille et a trois enfants.
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Mon père aurait voulu que j’entre comme lui au Crédit Lyonnais, mais j’aurais subi la comparaison avec des gens beaucoup plus brillants que moi. Quai de Charenton, j’étais tranquille dans mon coin et on ne s’occupait pratiquement pas de moi.
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Vous avez quitté le quai de Charenton. Où êtes-vous allé d’abord ?
– Il était onze heures du matin. Je n’étais jamais dehors à cette heure-là. Il faisait très chaud. J’ai marché à l’ombre des platanes le long des entrepôts de Bercy, je suis entré dans un bistrot, près du pont d’Austerlitz, et j’ai bu deux ou trois cognacs, je ne sais plus.
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Je luis ai dit que le personnel m’avait offert l’apéritif parce je venais de monter en grade et de passer avenue de l’Opéra.
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Ceux qui entrevoyaient la possibilité de m’embaucher me demandaient où j’avais travaillé. Après les menaces de Chabut, je n’osais pas le leur dire.
– Un peu partout. J’ai vécu longtemps à l’étranger.
Il fallait que je précise que c’était en Belgique, ou en Suisse, car je ne parlais que le français.
– Vous avez des certificats ?
– Je vous les enverrai.
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– Tu es drôle, ces derniers temps, remarqua ma femme. Tu parais plus fatigué que quand tu était quai de Charenton.
– Parce que je ne suis pas encore habitué à mon nouveau travail. Il faut que j’apprenne à travailler avec les ordinateurs. Avenue de l’Opéra, ce sont les points de vente qu’on contrôle et il y en a plus de quinze mille.
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Elle est partie pour un mois. Elle a passé quinze jours chez ses parents, à Aix-en-Provence, où son père est architecte, puis quinze jours dans la villa louée, à Bandol, par une de ses sœurs, celle qui a trois enfants.
Je me sentais tout perdu dans Paris. Je continuai à aller lire les petites annonces rue Réaumur et je me précipitais aux adresses données. Toujours avec aussi peu de succès.
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Je suis allé rôder devant chez lui, place des Vosges, sans raison, juste pour l’apercevoir, mais il était en vacances, lui aussi, à Cannes, sans doute, où ils ont un appartement.
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Elle est rentrée du Midi fin août. Je lui ai remis ce qui était censé être ma paie.
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Vous êtes allé tout de suite rue de la Grande-Truanderie ?
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Je savais où il était de telle à telle heure et je rôdais avenue de l’Opéra, place des Vosges ou quai de Charenton. Je n’ignorais pas non plus que presque tous les mercredis il allait rue Fortuny avec sa secrétaire.
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– Il est venu de lui-même?
– Je ne me vois pas courant après lui boulevard Richard-Lenoir.
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J’ai d’abord dû quitter mon hôtel de la Bastille et c’est alors que je suis allé rue de la Grande-Truanderie. Cela a été très dur. Je rentrais au petit jour, après avoir déchargé des légumes aux Halles, et je pleurais chaque fois avant de m’endormir.
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Pendant la journée, il m’arrivait encore de me traîner place des Vosges, quai de Charenton, avenue de l’Opéra et, deux ou trois fois, je suis même allé guetter Liliane en me cachant dans le cimetière Montparnasse.
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Moi, je descendais rapidement la pente. Le seul complet que j’avais emporté de la rue Froidevaux était de plus en plus fripé, couvert de taches. Mon imperméable ne me protégeait pas suffisamment du froid mais je n’avais pas de quoi acheter un manteau même chez un fripier.
J’étais sur le quai, à une certaine distance, quand j’ai vu Liliane pénétrer dans les bureaux de la quai de Charenton. Sans doute était-elle allée d’abord avenue de l’Opéra puisque c’est là que j’étais supposé travailler.
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– Quand êtes-vous allé pour la première fois rue Fortuny ?
– Vers la fin de novembre. J’étais obligé d’épargner même les tickets de métro.
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C’est une curieuse sensation, vous savez, de n’avoir pas d’argent en poche et de savoir qu’on ne vivra jamais plus comme tout le monde. Aux Halles, on rencontre surtout des vieillards, mais il y a quelques jeunes aussi, qui ont déjà le même regard.
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Mercredi dernier, vous saviez, en vous rendant rue Fortuny, que ce serait la dernière fois ?
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– Je luis passe les menottes ?
Maigret se tourna vers Pigou.
– On ne se méfie pas de vous, murmura-t-il. On vous les retirera au Quai des Orfèvres. C’est le règlement.
Epalinges (Vaud), le 29 septembre 1969. Première édition : Presses de la Cité, 1969.
Voir aussi :
