La peste

La peste d’Albert Camus

Éditions Gallimard, 1947

Les curieux événements qui font le sujet de cette chronique se sont produits en 194., à Oran.

  • À première vue, Oran est, en effet, une ville ordinaire et rien de plus qu’une préfecture française de la côte algérienne.
  • Oran, au contraire, est apparemment une ville sans soupçons, c’est-à-dire une ville tout à fait moderne.
  • À Oran, comme ailleurs, faute de temps et de réflexion, on est bien obligé de s’aimer sans le savoir.
  • Mais à Oran, les excès du climat, l’importance des affaires, qu’on y traite, l’insignifiance du décor, la rapidité du crépuscule et la qualité des plaisirs, tout demande la bonne santé.
  • Quelques minutes plus tard, il franchissait la porte d’une maison basse de la rue Faidherbe, dans un quartier extérieur.
  • Les premières notes prises par Jean Tarrou datent de son arrivée à Oran.
  • Non, il avait la poitrine faible et il faisait de la musique à l’Orphéon.
  • Tarrou se demandait pourquoi Camps était entré à l’Orphéon contre son intérêt le plus évident et quelles étaient les raisons profondes qui l’avaient conduit à risquer sa vie pour des défilés dominicaux.
  • Il demanda alors à Richard, président de l’ordre des médecins d’Oran, l’isolement des nouveaux malades.
  • Toute la ville avait la fièvre, c’était du moins l’impression qui poursuivait le docteur Rieux, le matin où il se rendait rue Faidherbe, afin d’assister à l’enquête sur la tentative de suicide de Cottard.
  • J’ai fait une partie de ma carrière en Chine, et j’ai vu quelques cas à Paris, il y a une vingtaine d’années.
  • Le docteur se souvenait de la peste de Constantinople qui’ selon Procope, avait fait dix mille victimes en un jour.
  • Et une tranquillité si pacifique et si indifférente niait presque sans effort les vieille images du fléau, Athènes empestées et désertée par les oiseaux, les bagnards de Marseille empilant dans des trous les corps dégoulinants, la construction en Provence du grand mur qui devait arrêter le vent furieux de la peste, Jaffa et ses hideux mendiants, les lits humides et pourris collés à la terre battue de l’hôpital de Constantinople, les malades tirés avec des crochets, le carnaval des médecins masqués pendant la Peste noire, les accouplements des vivants dans les cimetières de Milan, les charrettes de morts dans Londres épouvanté, et les nuits et les nuits et les jours remplis, partout et toujours, du cri interminable des hommes.
  • Ils se dirigèrent vers la place d’Armes.
  • Pardonnez-moi, dit Grand au coin de la place d’Armes.
  • Rieux avait déjà noté cette manie qu’avait Grand, né à Montélimar.
  • Mais l’employé les quittait déjà et il remontait le boulevard de la Marne, sous les ficus, d’un petit pas pressé.
  • L’exode de l’arrêté annonçait, en effet, que quelques cas d’une fièvre pernicieuse, dont on ne pouvait encore dire si elle était contagieuse, avaient fait leur apparition dans la commune d’Oran.
  • Mais depuis quelques temps, il n’achetait plus que le journal bien pensant d’Oran et on ne pouvait même une certaine ostentation à le lire dans les endroits publics.
  • Seuls, les produits indispensables parvinrent par la route et par l’air, à Oran.
  • Comme il était recommandé (dans son métier, on a des facilités), il avait pu toucher le directeur du cabinet préfectoral et lui avait dit qu’il n’y avait pas de rapport avec Oran, que ce n’était pas son affaire d’y rester, qu’il se trouvait là par accident et qu’il était juste qu’on lui permît de s’en aller, même si, une fois dehors, on devait lui faire subir une quarantaine.
  • Pour finir, il avait essayé de consoler Rambert en lui faisant remarquer qu’il pouvait trouver à Oran la matière d’un reportage intéressant qu’il n’était pas d’événement, tout bien considéré, qui n’eût son bon côté.
  • Ils repartirent et arrivèrent sur la place d’Armes.
  • Le père Paneloux s’était déjà distingué par des collaborations fréquentes au bulletin de la Société géographique d’Oran, où ses reconstitutions épigraphiques faisaient autorité.
  • Ce n’est pas qu’en temps ordinaire les habitants d’Oran soient particulièrement pieux.
  • Paneloux, tout de suite après cette phrase, en effet, cita le texte d’Exode relatif à la peste en Égypte et dit : « la première fois que ce fléau apparaît dans l’histoire, c’est pour frapper les ennemis de Dieu.
  • Après une courte pause, le père reprit, sur un ton plus bas : « On lit dans la Légende dorée qu’au temps du roi Humbert, en Lombardie, l’Italie fut ravagée d’une peste si violente qu’à peine les vivants suffisaient-ils à enterrer les morts et cette peste sévissait surtout à Rome et à Pavie.
  • Vous avez maintenant ce qu’est le péché, comme l’ont su Caïn et ses fils, ceux d’avant le déluge, ceux de Sodome et de Gomorrhe.
  • « Il y a bien longtemps, les chrétiens d’Abyssinie voyaient dans la peste un moyen efficace, d’origine divine, de gagner l’éternité… »
  • Il rappela seulement qu’à l’occasion de la grande peste de Marseille, le chroniqueur Mathieu Marais s’était plaint d’être plongé dans l’enfer, à vivre ainsi sans secours et sans espérance.
  • « Par une belle matinée du mois de mai, une élégante amazone parcourait, sur une superbe jument alezane, les allées fleuries du Bois de Boulogne ».
  • Les images qui lui étaient les plus difficiles à porter alors, du moins selon ce qu’il en disait à Rieux, étaient celles de Paris. Un paysage de vieilles pierres et d’eaux, les pigeons du Palais-Royal, la gare du Nord, les quartiers déserts du Panthéon.
  • Il s’était arrêté à la gare la plus proche d’Oran, incapable de pousser plus loin l’aventure.
  • Par une belle matinée de mai, une svelte amazone montée sur une somptueuse jument alezane parcourait les allées pleines de fleurs du Bois de Boulogne.
  • Comme il n’avait jamais connu qu’Oran et Montélimar, il demandait quelquefois à ses amis des indications sur la façon dont les allées du Bois étaient fleuries.
  • Lui connaissait une filière et à Rambert, qui s’en étonnait, il expliqua que, depuis longtemps, il fréquentait tous les cafés d’Oran, qu’il y avait des amis et qu’il était renseigné sur l’existence d’une organisation qui s’occupait de ce genre d’opérations.
  • Il prirent le boulevard des Palmiers, traversèrent la place d’Armes et descendirent vers le quartier de la Marine.
  • – Pour quoi faire? – disait-il. – Il a sa femme en France.
  • – Déjeunez avec moi, demain, au restaurant espagnol de la Marine.
  • On parla donc du championnat de France, de la valeur des équipes professionnelles anglaises et de la tactique de W.
  • Le monument aux morts d’Oran se trouve sur le seul endroit d’où l’on peut apercevoir la mer, une sorte de promenade longeant, sur une assez courte distance, les falaises qui dominent le port.
  • Pour le reste, je crois que je saurais encore payer de ma personne, j’ai fait la guerre d’Espagne.
  • Le vent est particulièrement redouté des habitants d’Oran parce qu’il ne rencontre aucun obstacle naturel sur le plateau où elle est construite et qu’il s’engouffre ainsi dans les rues avec toute sa violence.
  • Mais à l’inverse, il ne fallait pas imiter non plus les moines de Caire qui, dans les épidémies du siècle passé, donnaient la communion en prenant l’hostie avec des pincettes pour éviter le contact de ces bouches humides et chaudes où l’infection pouvait dormir.
  • Ici, le père Paneloux évoqua la haute figure de l’évêque Belzunce pendant la peste de Marseille.
  • C’est ainsi que, dans beaucoup d’églises du Midi de la France, des pestiférés dorment depuis des siècles sous les dalles du chœur, et des prêtres parlent au-dessus de leurs tombeaux, et l’esprit qu’ils propagent jaillit de cette cendre où des enfants ont pourtant mis leur part.
  • Mais il était à même de vous dire exactement les heures de départ et l’arrivée du Paris-Berlin, les combinaisons d’horaires qu’il fallait faire pour aller de Lyon à Varsovie, le kilométrage exact entre les capitales de votre choix. Êtes-vous capable de dire combien on va de Briançon à Chamonix?
  • Cela m’amusait beaucoup, et je le questionnais souvent, ravi de vérifier ses réponses dans le Chaix et de reconnaître qu’il ne s’était pas trompé.
  • Jusqu’au jour où j’ai vu une exécution (c’était en Hongrie) et le même vertige qui avait saisi l’enfant que j’étais a obscurci mes yeux d’homme.
Quand on tient à ses souvenirs, on devrait fuir comme la peste les endroits où l'on a été heureux.”
(Paule Saint-Onge / Ce qu'il faut de regrets). Photo de Megan Jorgensen.
« Quand on tient à ses souvenirs, on devrait fuir comme la peste les endroits où l’on a été heureux.” (Paule Saint-Onge / Ce qu’il faut de regrets). Photo de Megan Jorgensen.

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