La Lune des Crânes

La Lune des Crânes par Robert Howard

Une aventure de Solomon Kane (1930 The Moon of Skulls, traduction de François Truchaud). Extrait

Soudan le couloir bifurqua; un escalier étroit apparut sur sa gauche. Il monte en haut de celui-ci ; la lumière se fit de plus en plus forte. Bientôt il se trouvait sous la lumière éclatante du soleil d’Afrique. L’escalier aboutissait à une sorte de petite plate-forme ; il aperçut devant lui une fenêtre minuscule, munie de puissants barreaux. À travers elle, il vit le ciel bleu, teinté d’or par le soleil flamboyant. Ce spectacle lui fit l’effet d’un vin capiteux. Il aspira avec avidité de grandes bouffées d’air frais et pur, comme s’il voulait débarrasser ses poumons de l’aura de poussière et de grandeur décadente qu’il venait de traverser.

Il contemplait un paysage inconnu et bizarre. Loin sur la droite et sur la gauche se dressaient de grands rochers sombres : en contrebas, s’élevaient des châteaux et des tours de pierre, d’une architecture étrange… c’était comme si des géants venus d’une autre planète s’étaient livrés à une débauche de créations folles et chaotiques. Ces bâtiments étaient solidement adossés aux falaises : Kane comprit qu’il devait en être de même pour le palais de Nakari. Pour le moment, il se trouvait dans une sorte de minaret, donnant sur la façade extérieure de ce palais. Mais il n’y avait qu’une fenêtre et sa vie était limitée.

Au-dessous de lui, dans les rues sinueuses et étroites, allait et venait une foule de gens, ressemblant à des fourmis noires pour celui qui les regardait d’un haut. À l’est, au nord et au sud, les falaises formaient un rempart naturel : seule à l’ouest se dressait une muraille de construction humaine.

Le soleil descendait à l’ouest. À contrecœur, Kane se détourna de la fenêtre fermée par des barreaux et redescendit l’escalier. À nouveau, il suivi le couloir étroit et grisâtre, sans but et sans aucun plan, sur des milles et des milles, lui sembla-t-il. Il descendit de plus en plus bas, suivant les passages qui s’étendaient sous d’autres passages. La lumière se raréfia ; une matière suintante apparut, recouvrant les murs. Soudain Kane s’arrêta. Il avait entendu un léger bruit, provenant de l’autre côté de la paroi. Qu’était-ce ? Un léger cliquetis… cliquetis de chaînes.

Kane se rapprocha du mur ; dans la semi obscurité, sa main rencontra un ressort rouillé. Le manipulant avec précaution, il sentit bientôt la porte secrète s’ouvrir vers l’intérieur. Il avança la tête prudemment.

Atlantide et les Dieux

Dans les romans atlantidiens, l’atmosphère fantastique est souvent soulignée par nombre de références mythiques qui se mêlent parfois anachroniquement aux éléments du décor futuriste, soulignant la dualité profonde d’une Atlantide tournée à la fois vers l’avenir et vers le passé. Cette particularité renforce l’aspect eschatologique d’un mythe marqué par les schémas de destruction et de renaissance.

Par exemple, le mythe du Déluge dont l’événement a toujours été suivi d’une nouvelle humanité et d’une nouvelle histoire. En effet, le Déluge qui purifie et régénère comme le baptême, évoque l’idée de résorption de l’humanité dans l’eau, d’où les transpostions romanesques des Atlantides, gisant au fond des océans, abritant en leur seine une élite survivante (The Great Secret, A Child’s Story of Atlantis, La Ville du Gouffre, etc.), mais inéluctablement condamnée à disparaître à nouveau. L’Atlantide est frappée du sceau d’une malédiction divine suggérant que les « hommes finissent toujours, parce qu’ils ont laissé perdre les plus beaux des biens les plus précieux, par être chassés du paradis qui s’engloutit avec eux ».

Zeus qui a châtié l’Atlantide originelle, ne sauvera pas davantage la Nouvelle Atlantide qui s’enfonce dans une décadence fatale. Conformément à la chute originelle, le peuple atlante s’étiole, décrépit et stérile. Miraculés et maudits à la fois, les Atlantes sont décrits au gré des fantasmes évolutionnistes des romanciers. Les étranges mutations biologiques des Atlantes, emblématiques de leur déchéance morale, les renvoient parfois à une sous-humanité de type animal, comme les hommes-grenouilles de H. G. Wells (Dans l’abîme, 1896), les êtres aux pieds palmés de F. Ash dans The Sunken Island (1904), les créatures dégénérées de Visiak dans Medusa (1929), les divers types hybrides de Merritt dans Le Visage dans l’abîme, et les mutants amphibies de N. Schachner dans City Under the Sea (1939).

De même, la dégénérescence frappe les habitants de la Nouvelle-Atlantide décrite par R.H. Bolton dans In The Heart of the Silent Sea (1909), l’antique cité d’Opar évoquée par E. R. Bourroughs dans quatre aventures de Tarzan et le royaume de Yu-Atlanchi du Visage dans l’abîme. La cité maléfique de Negari, seul vestige d’Atlantis et de Mu, dans La Lune des Crânes (1930) de Howard, a aussi sombré dans une décadence qui a changé les hommes en démons. Solomon Kane, vengeur solitaire, aussi mélancolique que Kull, traque ces avatars de Satan au cœur des ténèbres africaines, dans une nouvelle échevelée, digne d’une bande dessinée.

Le monde atlante a parfois préservé ses créatures légendaires : « hommes fleurs » dans A Queen of Atlantis (1899) de F. Aubrey, amazones fabuleuses dans the Power of Ula, jardin des Hespérides dans The Great Secret, réactualisation du mythe de Méduse dans Medusa, a story of Mystery, découverte du corps d’Atlas, dernier roi d’Atlantis, dans A Bit of Atlantis de D. Erskine (John Buchan ?). Polaris et Minos de Sardanes dans Polaris and the Immortals, cité atlante d’Athensi au cœur de l’Atlas dans Radio Boys Seek Lost Atlantis (1923) de G. Breckenridge, où cité gréco-atlante de Troyana dans The Drums of Tapajos et Troyana (1930-1932) de S. P. Meek.

Le mythe originel

Grossi par le folklore ou la légende, contaminé par d’autres croyances, le mythe originel est parfois perverti par l’exotérisme romanesque, mais, fondamentalement, il est à l’image même de l’archétype atlantidiene : en perpétuelle renaissance. À cet égard, la topologie des mondes perdus atlantidiens manifeste une certaine cohérence par rapport au mythe platonicien (la cardinalité) car la majorité des œuvres évoquées se situe à l’Ouest, fidèlement à l’axe défini par Platon : Atlas/Atlantide/Atlantique. Cette constatation prend toute son importance à la lumière des innombrables théories pseudoscientifiques s’évertuant à placer le siège d’Atlantis dans les lieux les plus surprenants de la planète, sans oublier le délire imaginatif de romanciers en mal d’inspiration.

Cette dernière défaillance tient souvent à la contamination des mythes brassés par les romanciers de mondes perdus. Ainsi s’expliquent par exemple les trois Atlantides polaires de R. Hatfield (Geyserland), E. L. Orkutt (The Divine Seal) et C. Stealson (Polaris and the Immortals), réactivations romanesques du mythe de Thulé ; les quatre Atlantides asiatiques de E. C. Vivian (People of the Darkness, 1924), T. Mundy (The Nine Unknown, 1924 et Jimgrim, 1930) et D. H. Keller (The Boneless Horror), liés aux mythes du « savoir perdu » et de Shambhala ; les Atlantides africaines de Burroughs, G. Breckenridge (Radio Boy Seeks the Lost Atlantis), C. H. Gibbons (The Marbled Catskin), R. E. Howard (La Lune des Crânes) et J. Mann (Coulson Goes South, 1933), qui doivent autant au potentiel fabulateur de l’Afrique fantôme qu’au mythe du continent englouti.

L’un de ces syncrétismes les plus insolites de la science-fiction, celui de la légende de saint Brandon et du mythe de Thulé, nous est offert par Jean Ray dans Le Formidable Secret du pôle (1936). Au terme de ses navigations, Brandon découvre les secrets de la civilisation de Thulé, païenne et dépravée, enfermés dans une sphère de métal, poursuivant une ronde éternelle dans les eaux polaires. Cette arche sous-marine émerge parfois, libérant de leur léthargie d’étranges créatures à l’allure de robots.

Plus d’une trentaine de romans du genre s’inspirent de la tradition topologique proposée par Platon, douze d’entre eux prolongeant directement l’orientation platonicienne en plaçant leurs Nouvelles terres atlantidiennes sur le continent américain. En outre, deux topologies sont directement liées au thème du continent perdu.

La première, le motif insulaire, concerne des îles dans l’Atlantique où survivent des colonies atlantes et se confond parfois avec le mythe de la mer de Sargasses. Le deuxième sous-thème, qui s’enracine dans les légendes de l’« autre monde » celtique, est celui de la cité subaquatique, construction fantasmatique fondée sur l’engloutissement de l’Atlantide originelle (plongée régressive), mais tournée parallèlement vers l’avenir que représente l’architecture futuriste du dôme sous la mer (utopie du conte et de la légende, mais qui bifurque vers la science-fiction, de l’Atlantis d’André Laurie à The City Under the Sea (1939) de N. Schachner.

Les profondeurs sous-marines continuent d’exercer une fascination chez le poète qui se laisse griser par l’ivresse du monde du silence, celle du monde des origines. En bâtissant leurs utopies sous-marines, les romanciers atlantidiens présentent confusément la conquête future du milieu océanique, source de vie pour une humanité menacée. La technologie actuelle laisse entrevoir la possibilité de construire des cités sous-marines perfectionnées, où se réfugierait l’humanité survivante après quelque apocalypse. Alors tout recommencerait…

(D’après Lauric Guillaud).

À lire aussi :

« Les civilisations sont mortelles, les civilisations meurent comme les hommes, et cependant elles ne meurent pas à la manière des hommes. La décomposition, chez elles, précède leur mort, au lieu qu’elle suit la nôtre. » Georges Bernanos (1888-1948). Photo : ElenaB.
« Les civilisations sont mortelles, les civilisations meurent comme les hommes, et cependant elles ne meurent pas à la manière des hommes. La décomposition, chez elles, précède leur mort, au lieu qu’elle suit la nôtre. » Georges Bernanos (1888-1948). Photo : Megan Jorgensen.

Laisser un commentaire